Chung Sang-hoon, père au foyer, Séoul, décembre 2015 © Reuters

Des pères osent l’impensable en Corée du Sud: rester au foyer

Le Vif

Stupéfaction, incompréhension et colère… Telles furent les réactions de sa direction quand le Sud-Coréen Kim Jin-Sung a demandé un congé parental pour élever ses enfants, dans un pays où les stéréotypes sur les rôles dans le couple ont la peau dure.

« Ils m’ont demandé 100 fois si j’étais sérieux », raconte-t-il dans le salon parsemé de jouets de son appartement de Séoul. « Ça a été difficile et au final, j’ai eu de la chance d’obtenir ce congé ». Naguère inconcevable, ce choix très minoritaire est toujours saugrenu dans une société patriarcale hypercompétitive où s’occuper des enfants a toujours été l’essence même du rôle de la femme.

Mais au moment où de plus en plus de Sud-Coréennes refusent de se cantonner au rôle que la tradition a prévu pour elles, ce choix est désormais encouragé par le gouvernement afin de lutter contre le vieillissement de la population et stimuler la natalité. Pour permettre aux couples d’avoir plus d’enfants, Séoul a entrepris d’importantes réformes sociétales qui incluent notamment -n’en déplaise aux entreprises- des aides pour inciter les hommes à prendre un congé parental. Les papas comme Kim Jin-Sung renoncent ainsi à leur salaire mais touchent une allocation équivalente à 40% de leur paie, plafonnée à un million de won (778 euros).

‘Mentalité du passé’

Car le gouvernement s’inquiète d’un vieillissement accéléré de la population de la quatrième économie d’Asie: le pays a l’indice de fertilité le plus faible au sein de l’OCDE (1,19 enfant par femme, contre une moyenne OCDE de 1,67).

La hausse perpétuelle du coût de l’immobilier, une culture de l’excellence dès le plus jeune âge et un marché de l’emploi hyperconcurrentiel poussent en effet nombre de Sud-Coréens à retarder le moment de se marier, voire à y renoncer carrément – une tendance notoire chez les femmes – ce qui n’encourage pas les naissances. En outre, l’engagement des hommes dans les tâches ménagères et les soins aux enfants reste faible en Corée du Sud, soit en moyenne 45 minutes par jour, la durée la plus basse parmi les pays de l’OCDE.

« Notre mentalité est toujours celle du passé, quand le pain ne pouvait être gagné que par les hommes », observait en décembre la présidente Park Geun-Hye lors d’une réunion sur la natalité.

« Il nous faut éduquer davantage de pères pour promouvoir une culture où eux aussi s’occupent des enfants », a-t-elle dit, en demandant aux entreprises de réduire le temps de travail et les retrouvailles de fin de journée autour d’un verre. C’est d’ailleurs l’intensité de sa vie professionnelle qui a poussé Kim Jin-Sung à demander un congé d’un an pour pouvoir s’occuper de sa fille de cinq ans et de son garçon de trois ans. « Quand j’avais de la chance, je rentrais le soir à 20H00 ou 21H00 », se rappelle-t-il. « Il était impossible de trouver le temps pour jouer ou lire des histoires à mes enfants ».

‘Ça n’a pas de prix’

Séoul a encore beaucoup à faire mais les choses avancent, estime Hong Seung-Ah, de l’Institut pour le développement des femmes de Corée, même si pour l’instant, « seul un papa courageux demande un congé parental ». Ce qualificatif, « courageux », le gouvernement l’emploie lui-même pour inciter les pères à dépasser leurs craintes légitimes de sanction professionnelle.

Quelques progrès ont été enregistrés: le nombre de congés parentaux pris par des hommes a augmenté de 40% au premier semestre 2015 à 2.212 — il partait toutefois de très bas, et les hommes ne représentent encore que 5% des demandes de congés parentaux, contre plus de 40% dans des pays comme la Suède…

Et il se pourrait que le monde de l’entreprise soit en train d’évoluer.

Lee Dong-Hoon, un responsable du conglomérat Hyundai, s’est décidé lui aussi à être père au foyer pour s’occuper de ses jumeaux après la fin du congé maternité de son épouse. Il soutient que ses responsables l’ont laissé facilement partir, faisant de lui le premier homme à prendre un long congé parental en 40 ans d’histoire de son entreprise.

Là encore, beaucoup de ses amis et collègues se sont montrés sceptiques quant à sa décision. Lui ne regrette rien. « Mes filles ont dit +papa+ avant de dire +maman+ », s’enorgueillit-il en éclatant de rire. « Les voir sourire dans mes bras en disant +papa+, des moments comme ça, ça n’a pas de prix ».

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