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Des millions de Thaïlandais en noir pour pleurer leur roi

Le Vif

Des millions de Thaïlandais se sont habillés en noir vendredi pour pleurer leur roi, dont la mort ouvre une page de grande incertitude pour un royaume dont il était la clef de voûte depuis 70 ans.

Joggeurs faisant leur footing matinal, employés de bureau dans le métro: toute la Thaïlande était en noir et blanc, couleurs du deuil en Asie.

« Tant que le roi était en vie, le peuple restait uni », explique, ému, Arnon Sangwiman, employé de la compagnie nationale d’électricité, venu tôt sur un marché du centre de Bangkok.

Des milliers de personnes sont attendues dans l’après-midi pour suivre le cortège funéraire qui doit conduire le corps du roi Bhumibol Adulyadej de l’hôpital Siriraj au grand palais.

Le cortège doit débuter à 16H00 locale (09H00 GMT) et le parcours a été fermé à la circulation avant l’aube.

Le prince héritier Maha Vajiralongkorn doit ensuite conduire la cérémonie bouddhiste du « bain » du corps de son père, première étape d’une longue série de rites qui durent plusieurs mois pour les membres de la famille royale.

Ils s’achèvent par la crémation du corps, plusieurs années après le décès pour un roi en Thaïlande.

Depuis la demande jeudi soir du prince de bénéficier d' »un délai » avant de monter sur le trône, les inquiétudes se multiplient. Et le bain donné à son père sera sa première apparition publique depuis l’annonce de la mort du plus vieux souverain en exercice au monde, à l’âge de 88 ans.

« Maintenant, j’ai peur de ce qui peut se passer, quelle administration aura le pays, quel type de régime sur le long terme », continue Anon Sangwiman, qui se dit néanmoins confiant dans le fait que les élections annoncées pour 2017 par le régime militaire ultraroyaliste seront maintenues.

Les 10 dernières années du règne de Bhumibol Adulyadej ont été marquées par une très grande instabilité politique, qui a vu s’affronter élites ultraroyalistes (les « jaunes », couleur de la royauté) et partisans de l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra (qui ont pour symbole le rouge).

Le dernier coup d’Etat, en mai 2014, a d’ailleurs été mené au nom de la sauvegarde de la monarchie par une armée soucieuse de verrouiller la scène politique à l’approche de la succession, alors que la personnalité du prince héritier inquiète de nombreux Thaïlandais.

Agé de 64 ans, le prince héritier passait le plus clair de son temps en Allemagne et sa personnalité, réputée instable, fait débat, même au sein des conseillers du palais et des généraux aux manettes du gouvernement, soulignent les analystes.

Avec ce délai demandé par le prince, « on dévie déjà de ce qui aurait dû être une succession normale », souligne David Streckfuss, historien spécialiste de la Thaïlande.

Prochaine figure tutélaire?

Les Thaïlandais ne parlent du prince qu’en privé, en raison d’une loi de lèse-majesté très stricte qui condamne à de lourdes peines de prison tout détracteur de la royauté.

Bhumibol Adulyadej, hospitalisé quasiment en continu ces deux dernières années, n’était pas apparu en public depuis près d’un an.

Il n’en restait pas moins la figure tutélaire du royaume, rassurante pour de nombreux Thaïlandais qui vivent dans l’idée qu’il était le « père de la nation », après des décennies de propagande assénées dans les écoles et à la télévision.

La Bourse de Thaïlande a ouvert en hausse vendredi, bondissant de 3,5% dans les premiers échanges après plusieurs jours de recul.

Vendredi, toutes les chaînes de télévision diffusaient un programme unique en noir et blanc, et ce pour 30 jours, en signe de deuil, des chaînes internationales comme la BBC ou CNN étant aussi touchées, prolongeant ainsi une vision traditionnelle de la monarchie, en décalage avec une Thaïlande moderne qui a continué à vivre quasiment comme si de rien n’était.

Vendredi matin, le gouvernement a déclaré une journée de deuil pour les fonctionnaires et redemandé au secteur du « divertissement » de cesser toute activité pendant 30 jours. Une situation très inhabituelle dans la capitale du pays à la vie nocturne très active, avec des établissements de nuit et des bars à prostitués très fréquentés par les touristes.

Les médias audiovisuels seront perturbés pour la même durée: leurs programmes ont été suspendus et seuls les nouvelles royales et des documentaires à la gloire du roi sont diffusés.

Dans le métro de Bangkok, les écrans publicitaires du métro affichaient vendredi un poème sur fond gris: « Notre pilier nous a quittés, le ciel s’est déchiré ».

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