Bert Bultinck

« Depuis 2015, nous nous sommes habitués à l’idée que l’Occident est moins sûr et moins libre »

Bert Bultinck Rédacteur en chef de Knack

« Les citoyens sont effarés par les victimes de Manchester ou Barcelone, mais la solidarité typique des attentats de Paris ou de Bruxelles s’est atténuée », constate le rédacteur en chef de Knack Bert Bultinck.

C’est un paradoxe qui marque l’année écoulée: bien que 2017 ait été ravagé par un nombre terrifiant d’attentats mortels, l’Européen moyen a visiblement été moins touché. Les citoyens sont effarés par les victimes de Manchester ou Barcelone, mais la solidarité typique des attentats de Paris ou de Bruxelles s’est atténuée. Heureusement, cette année, il n’y a pas eu de gros attentat en Belgique, cela joue certainement un rôle.

Depuis 2015, nous nous sommes habitués à l’idée que l’Occident est moins sûr et moins libre

Cependant, il fait peu de doute qu’il y a une sorte d’accoutumance : depuis 2015, nous nous sommes habitués à l’idée que l’Occident est devenu moins sûr et moins libre. Les psychologues ont beau commenter ce phénomène, la constatation reste choquante.

Politiquement, la victoire-défaite d’Angela Merkel a correspondu avec la chute du dernier bastion de l’époque post-démocratique en Europe. C’est du moins la position du sociologue allemand Wolfgang Streeck, à qui on doit un portrait destructeur de toute la politique de la chancelière allemande dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Streeck voit dans le résultat décevant du CDU de Merkel une gifle finale pour la politique d’un centre pas si courageux. Il lui reproche la mort de la politique, et le machiavélisme et l’hypocrisie : ces douze dernières années, à chaque question d’importance, elle a louvoyé, attendu, reporté et finalement choisi la décision la moins controversée. La seule fois où elle a pris une décision nette – lors de la crise des réfugiés de 2015 – elle l’aurait mal défendue : fin 2015, celui qui osait contredire la formule magique ‘wir schaffen das’ était traité de demi-fasciste, explique Streeck. Que vaut encore ce mot en f, se demande-t-il, si un jour on en a vraiment besoin, par exemple parce que les chemises brunes frappent à la porte.

Bien que la percée crainte de personnages qualifiés de « populistes » tels que Geert Wilders ou Marine Le Pen en 2017 n’ait pas eu lieu, sa position sur la fin de la post-démocratie se défend. À présent qu’en Allemagne aussi, l’insatisfaction au sujet du pouvoir en place a été traduit en sièges au parlement, l’idéologie est de retour partout – régulièrement accompagnée de la montée de l’extrême gauche ou droite. Il y a plusieurs raisons à cette polarisation du paysage politique.

Cette inégalité croissante, mesurée avec précision par l’économiste français Thomas Piketty, laisse des perdants en colère derrière elle, qui, remplis de frustration et de rancune, se tournent vers les extrêmes. Le terrorisme et le fondamentalisme musulman inquiétant poussent les électeurs vers les prophètes de malheur marxistes ou d’extrême droite. Il arrive aussi que la crise des réfugiés et l’intégration difficile des migrants poussent des citoyens moins fortunés vers des politiques qui traduisent le malaise en law and order presque militaire, en xénophobie ou en racisme, et qui dénigrent le « politiquement correct » des plus fortunés dans les églises de gauche.

Les magouilles de l’Union européenne, qui ne réussit pas à résoudre la crise des réfugiés -excepté à l’aide de milices violentes en Libye et d’un deal avec le violeur des droits de l’homme Erdogan en Turquie – renforcent les doutes. À Bruxelles, ils ne réussissent même pas à arrêter la course à la sous-enchère dans les impôts de société européens. Les multinationales et leurs actionnaires et CEO continuent à gagner, les Paradise Papers sont un nouveau coup au visage du citoyen qui paie ses contributions. À la lumière de ces tendances douloureuses, il se pourrait bien que bientôt, et contrairement à ce qu’attend Streeck, on aspire massivement à la paix d’une Mutti postidéologique.

Entre-temps, la Flandre se gave d’histoires de Carles Puigdemont et du Géant des Tueurs du Brabant, les deux rôles secondaires principaux de 2017. Le président catalan destitué nous rappelle que le nationalisme flamand est resté au frigo, et que pour l’instant il n’a pas engendré la société civile chaleureuse qu’il nous avait promise à ses moments éveillés. Le Géant – quel qu’il soit – nous poursuit d’histoires d’une décennie âpre, manifestement de retour. En ce sens, le portrait-robot sinistre du type de terroriste oublié, le homegrown fighter blanc, est la vision qui résume peut-être le mieux cette année désespérée.

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