Dennis Muilenburg © Reuters

Dennis Muilenburg, le patron de Boeing en pleines turbulences

Muriel Lefevre

Dennis Muilenburg a toujours su qu’il voulait travailler dans l’aéronautique. Mais depuis quelques jours, ses avions ne volent plus et l’heure est moins à la fête. Portrait d’un homme qui doit gérer des relations incestueuses entre Boeing et le gouvernement fédéral.

Quand le Boeing 737 MAX d’Ethiopian Airlines s’est écrasé six minutes après son décollage avec à son bord 157 passagers, cela n’a pas été qu’un terrible drame humain. Cela a aussi été le début d’une véritable catastrophe communicationnelle. Car cet avion était en réalité le deuxième 737 MAX à se crasher en six mois. Un avion de la Lion Air avait subi le même sort en Indonésie. Il n’en fallait pas plus pour que toutes les alarmes passent au rouge à travers le monde. Tous les appareils du même type vont être cloués au sol jusqu’à ce que la clarté soit faite sur cette affaire. Cela signe aussi un nouveau coup dur pour ce fleuron américain et pour son patron. Dans les jours qui ont suivi le crash, le titre de Boeing va perdre 11%, soit près de 27 milliards de dollars de capitalisation boursière. Et il faudra aussi probablement dédommager les familles, ce qui devrait coûter selon les estimations 5 milliards de dollars.

A 55 ans, le directeur de Boeing, Dennis Muilenburg, va tout faire pour tenter de limiter la casse et maintenir la confiance en la fiabilité de ses appareils et surtout maintenir sa place dans le conglomérat très prisé du « America First ». Boeing pèse effectivement lourd dans l’économie américaine. C’est le plus grand exportateur américain et l’une des plus grandes entreprises industrielles. Par ses nombreux fournisseurs et sous-traitants, il est aussi très imbriqué dans le tissu économique du pays ce qui lui confère sa force.

Depuis 2015, c’est cet homme d’affaires qui est le chef absolu de Boeing. Celui dont la famille a émigré, il y a quelques générations, des Pays-Bas aux États-Unis est marié et a deux enfants. Tout ce qu’on sait c’est qu’il adore le camping, l’escalade et le cyclisme. Il est aussi l’homme d’une entreprise, car c’est dans cette même entreprise qu’il commence en tant que stagiaire en 1985. Celui qui avait des parents fermiers va obtenir un master en génie aérospatial et va faire ses premières armes dans la branche défense de Boeing, où il collabore au Joint Strike Fighter (avion de chasse). Très vite il grimpe les échelons et se révèle un bon meneur d’hommes. Ces collaborateurs vente ses connaissances techniques, un peu moins ses talents commerciaux même si en 2018, Boeing dépasse pour la première fois le seuil fatidique des 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires.

On ne trouve néanmoins pas grand monde pour vanter ses dons de communicant. C’est vrai que ces derniers jours il a enchaîné les platitudes du genre « nous mettons tout en oeuvre pour comprendre la cause de ces accidents en collaboration avec les enquêteurs, pour améliorer la sécurité et faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais « . Pas vraiment percutant, on en convient.

Dennis Muilenburg
Dennis Muilenburg© Reuters

Ces bonnes, mais un peu floues relations avec Washington lui ont permis un temps espérer sauver un peu les meubles. Dennis Muilenburg a noué une amitié avec Trump, à qui il a rendu visite dans sa résidence de Mar-a-lago (Floride) après la menace du président de retirer à Boeing la fabrication d’Air Force One, l’avion présidentiel, dont il jugeait le prix exorbitant. Il a également téléphoné au locataire de la Maison-Blanche mardi pour retarder l’immobilisation du 737 MAX, a indiqué à l’AFP une source proche.

« Des relations incestueuses entre Boeing et le gouvernement fédéral »

Ce n’est que quatre jours après le crash que Donald Trump s’est finalement résolu à prononcer que « La sécurité des Américains, et de tous les passagers, est notre priorité absolue ». S’il a laissé le leadership sur une crise d’une telle ampleur aux Chinois et s’il a tant attendu, alors que des syndicats de personnels navigants, d’éminents parlementaires de son propre camp et des passagers paniqués réclamaient des mesures c’est parce « que la FAA (l’agence américaine de l’aviation, NDLR) et Boeing ont des relations trop étroites », estime Jim Hall, ancien président du NTSB, l’autre régulateur aérien du pays. Le fait que ce soit M. Trump et non la FAA qui ait annoncé l’immobilisation du 737 MAX est, selon lui, la preuve, de ces relations « incestueuses » du gouvernement fédéral avec Boeing, qualifié d' »entreprise emblématique » en 2015 par Barack Obama.

Boeing a toujours courtisé les présidents américains. L’entreprise a, par exemple, fait une contribution d’un million de dollars aux comités d’investiture de Barack Obama et de Donald Trump. D’anciens dirigeants du constructeur aéronautique ont rejoint l’administration Trump, à l’instar de Patrick Shanahan, le ministre de la Défense intérimaire, qui a fait quasiment toute sa carrière chez Boeing, où il était responsable des opérations et de la chaîne logistique. Boeing est également l’un des principaux fournisseurs du Pentagone et bénéficie de ses nouveaux contrats: l’armée de l’air vient d’octroyer à Boeing un contrat évalué à 14 milliards de dollars pour des chasseurs F-15EX. En 2018, Boeing a versé 2,15 millions de dollars aux élus des deux grands partis (démocrate et républicain) pour financer leurs campagnes, dont Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants. « Cela fait partie de la politique de Boeing (…) quand il estime que de telles contributions servent ses intérêts et ceux de ses actionnaires », se défend le groupe. Une commission parlementaire présidée par un démocrate a promis d’examiner « le processus de prise de décision de la FAA », qui fonctionne « en toute indépendance », a assuré mercredi son patron par intérim.

Le régulateur installé chez Boeing

La FAA dispose de bureaux dans les usines Boeing, notamment à Renton, dans l’Etat de Washington, où est assemblé le 737 MAX, et en Caroline du Sud, fief du long courrier 787 Dreamliner, selon des sources concordantes. Ali Bahrami, le patron de la FAA depuis juillet 2017 pour la sécurité de l’aviation civile, a longtemps eu des rapports avec Boeing quand il était en charge de la certification de leurs 787 et 747-8. Confronté à des coupes budgétaires, le régulateur a changé il y a une dizaine d’années, ses procédures de certification d’avions et des pilotes, décidant de déléguer cette fonction importante à des experts externes. Cette nouvelle procédure permet à des constructeurs aéronautiques comme Boeing de désigner leurs propres employés pour aider à l’approbation, affirment plusieurs sources industrielles à l’AFP. Ce processus a été critiqué par un rapport du ministère des Transports en 2011, selon le New York Times. « Comment la FAA a autorisé Boeing à faire voler un avion (le 737 MAX) équipé d’un système antidécrochage auquel de nombreux pilotes n’étaient pas formés », interroge pour sa part John Samuelsen, président du syndicat de pilotes TWU.

Malgré la crise, l’empire Boeing ne devrait pas s’écrouler

Boeing ne construit pas seulement une flotte civile, elle construit aussi des avions de combat, des équipements aérospatiaux et le fameux Air Force One. Si sur le court terme la crise va laisser des traces, elle ne devrait pas signifier l’écroulement de son empire estime Richard Aboulafia, vice-président du cabinet de consulting, Teal Group, spécialiste américain de l’aéronautique à RFI. « Chaque crise de ce genre dans l’aviation civile cause des pertes humaines, attire l’attention, exige des solutions aux problèmes techniques. Une telle crise provoque une baisse des bénéfices. L’image est écornée. Les avions cloués au sol coûtent cher. Et c’est pour cela que seuls les grands groupes restent dans le jeu. En fait, il n’y en a que deux : Airbus et Boeing. Le 737 sera toujours fabriqué, malgré ce qui lui arrive aujourd’hui. Cela prendra du temps pour guérir, ils devront travailler dur, mais ils vont survivre. » D’autant plus que le PDG de Boeing rêve de transporter les hommes sur Mars. Le groupe collabore, en effet, avec le programme de lancement spatial, le Space Launch System, développé par la NASA depuis 2011.

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