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David Pecker, l’homme avec qui il vaut mieux être ami

Muriel Lefevre

David Pecker est à la tête d’un empire. Et pas n’importe quel empire: celui des ragots. Il est aussi l’un des amis personnels de Trump pour qui il a étouffé quelques scandales. Il se trouve aujourd’hui au coeur de l’affaire Bezos qui mêle théorie de complot, chantage et insinuations.

Avec le National Enquirer comme vaisseau amiral, David Pecker vogue avec succès dans les eaux très particulières de la presse à scandale. Il a tout de l’incarnation du rêve américain. Celui qui veut qu’on puisse construire un empire à partir de rien du moment qu’on n’a pas trop de scrupules. Et celui qui arbore aujourd’hui une moustache imposante n’en a pas trop. On peut même dire qu’il est devenu riche en surfant sur la misère des autres. Ce fils de maçon et d’une mère femme au foyer est parti de nulle part pour devenir le patron du plus puissant empire des tabloïd, le groupe American Media Inc (AMI).

De comptable à magnat de la presse

Pecker est né en 1951 dans le quartier du Bronx et a grandi dans un quartier juif italien typique du New York d’après-guerre (il est juif et parle toujours italien). Il commence dès ses 16 ans, après le décès de son père, à faire de la comptabilité pour des entreprises de construction locales. Il poursuit tout de même ses études et devient comptable pour la chaîne de télévision CBS. Cette chaîne publie des magazines dans les années 1970 et Pecker les rachète à la fin des années 1980. C’est le début d’une ascension spectaculaire. Dix ans plus tard, il est en mesure de racheter American Media, avec le National Enquirer comme trophée. Ce tabloïd est l’un des plus importants du pays. Aussi peu honorable qu’il est redouté, il s’est fait, depuis 65 ans, une spécialité des scandales impliquant, si possible, des célébrités, et rémunère ses sources pour obtenir informations et photos compromettantes. On le trouve aux caisses des grands supermarchés depuis des décennies. Pecker connaît ses lecteurs: « ce sont des gens qui mènent une vie ratée et qui veulent donc lire des choses négatives sur des gens qui ont grimpé bien haut pour mieux tomber ensuite bien bas. » Et il leur donne ce qu’ils veulent.

Pecker (ici au milieu et à l'arrière-plan)
Pecker (ici au milieu et à l’arrière-plan)© Reuters

S’il ratisse large et n’a pitié pour personne, quelques proches ont pourtant droit à plus de clémence. Parmi eux, il y a un certain Donald Trump. Pecker le considère comme une âme soeur. Il était présent à son mariage avec Melania et les deux hommes se voyaient régulièrement en Floride. S’il a probablement une amitié sincère pour ce New-Yorkais qui selon ses dires est brut et folklorique, celui qui n’était alors pas encore président s’est également avéré être une bonne source de ragots sur le circuit des stars.

Trump en 1997
Trump en 1997 © Reuters

Quoi qu’il en soit, lui qui avait été la cible de l’Enquirer pendant des années, va obtenir un statut protégé après le rachat de Pecker. On ne lira plus jamais rien de négatif sur lui dans les magazines appartenant à American Media Inc. Il est même déjà arrivé que Pecker, plutôt que d’en faire ses choux gras, étouffe un scandale pour préserver Trump. Le patron de presse a ainsi acheté l’exclusivité de plusieurs informations gênantes pour son ami avec l’intention de ne jamais les publier. Il va aussi publier un spécial Trump mettant en avant les succès immobiliers du magnat.

L’éditeur du National Enquirer admet avoir couvert Trump

L’éditeur du magazine National Enquirer a passé un accord avec la justice américaine prévoyant sa coopération avec les enquêteurs et la reconnaissance du versement, lors de la campagne présidentielle de 2016, de 150.000 dollars à une ancienne mannequin disant avoir eu une liaison avec Donald Trump. L’accord a été conclu fin septembre 2018 mais n’a été révélé qu’en décembre. L’éditeur American Media International (AMI) a ainsi reconnu que la somme versée en août 2016 à Karen McDougal, officiellement pour s’assurer de l’exclusivité du récit de son aventure supposée avec Donald Trump, visait, en réalité « à dissimuler le témoignage du mannequin pour empêcher qu’il n’influence l’élection » présidentielle. AMI reconnaît avoir effectué ce paiement « de concert avec la campagne d’un candidat à l’élection présidentielle », indique le bureau du procureur fédéral de Manhattan, Geoffrey Berman. Donald Trump a toujours nié avoir eu ces liaisons et réfuté avoir ordonné ces versements. S’il était avéré que Donald Trump ait bien donné l’ordre de procéder à ces paiements, les faits seraient passibles de poursuites pénales.

S’il est fort proche de Trump, il l’est aussi du prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed Ben Salmane. D’après le New York Times, AMI aurait eu des relations d’affaires avec des Saoudiens, en particulier pour lever des fonds en vue de réaliser des acquisitions dans les médias.

David Pecker, l'homme avec qui il vaut mieux être ami
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Mais aucune preuve n’a été fournie qui permettrait d’étayer l’une ou l’autre de ces hypothèses. On notera cependant que, l’année dernière, Pecker a également réalisé un numéro spécial pour le prince héritier saoudien Ben Salman, avant sa visite aux États-Unis. Mohammed Ben Salmane était, selon un titre en couverture, un homme qui  » améliore la vie de ses sujets et leurs espoirs de paix « .

Autre fait notable. Il se trouve que les trois hommes ont aussi une obsession commune : Jeff Bezos, le riche fondateur d’Amazon, mais aussi le propriétaire du Washington Post.

Jeff Bezos, CEO d'Amazon.
Jeff Bezos, CEO d’Amazon.© BELGAIMAGE

Donald Trump s’en prend régulièrement au propriétaire du Washington Post sur Twitter. « Depuis des années, Donald Trump est obsédé par Bezos », a affirmé sur CNN Jerry George, un ancien du National Enquirer, évoquant de la « jalousie professionnelle ». Pour lui, ce ne serait « pas une surprise qu’il se soit tourné vers son bon ami David Pecker (…) pour l’attaquer ». Et MBS en a fait sa bête noire depuis l’affaire Jamal Khashoggi, ce journaliste du Washington Post assassiné en Turquie.

L’affaire Khashoggi

Le 2 octobre 2018, Jamal Khashoggi, critique du régime saoudien qui écrivait notamment pour le Washington Post et résidait aux Etats-Unis, a été tué et démembré dans le consulat de son pays à Istanbul par des agents saoudiens. Sa dépouille n’a toujours pas été retrouvée. Ryad affirme encore et toujours ne pas savoir où il se trouve. La semaine dernière le New York Times affirmait que le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane avait affirmé en 2017 qu’il irait jusqu’à utiliser « une balle » contre le journaliste Jamal Khashoggi si ce dernier ne cessait pas ses critiques contre le royaume. Vendredi dernier, le président américain Donald Trump avait ignoré l’appel du Congrès américain à se prononcer sur le rôle dans cet assassinat du prince Mohammed Ben Salmane, surnommé « MBS ». L’administration Trump fait tout, depuis que cette affaire a profondément terni l’image des dirigeants saoudiens, pour préserver une alliance jugée incontournable. Elle affirme ne pas disposer de preuve irréfutable de l’implication directe du prince saoudien, et souligne avoir déjà sanctionné mi-novembre 17 Saoudiens. Après avoir été informé à l’automne, en commission à huis clos, des conclusions de la CIA, le Sénat américain, pourtant contrôlé par le camp républicain du président, a déjà unanimement adopté une résolution jugeant le prince héritier « responsable » du meurtre. Et des sénateurs des deux bords politiques ont présenté jeudi une proposition de loi pour interdire notamment certaines ventes d’armes à l’Arabie saoudite.

Des motivations politiques comme l’affirme Bezos ou un simple ragot trop croustillant?

Le PDG et fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, accuse l’hebdomadaire à scandale National Enquirer de l’avoir menacé de publier des photos intimes s’il ne renonçait pas à enquêter sur la manière dont le titre s’est procuré des informations sur sa liaison extraconjugale. Tout a commencé avec la publication, fin janvier par le magazine, de textos passionnés échangés entre Jeff Bezos et une amie au printemps 2018. Selon L’hebdomadaire à scandales National Enquirer il aurait une liaison avec l’épouse de l’un des agents les plus puissants d’Hollywood, Patrick Whitesell.

David Pecker, l'homme avec qui il vaut mieux être ami
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Cette relation entamée il y a huit mois aurait fait basculer le mariage de Jeff Bezos. En janvier on annonce la séparation de l’homme le plus riche du monde avec son épouse, MacKenzie. Contrarié, le créateur d’Amazon a alors engagé des détectives privés pour tenter de découvrir l’origine de la fuite et déterminer si les motivations d’American Media Inc (AMI), le propriétaire du National Enquirer, allaient au-delà du scoop. Inquiet de la publication d’informations issues de cette enquête, AMI a contacté le PDG d’Amazon pour lui demander de ne rien en faire, selon une tribune publiée jeudi par Jeff Bezos sur le site Medium. En contrepartie, le groupe s’engageait à ne pas utiliser des photos intimes, et potentiellement compromettantes, échangées entre Jeff Bezos et sa fameuse amie.

Pour Jeff Bezos, PDG d’Amazon, l’hebdomadaire et son propriétaire (AMI), n’ont pas seulement été à la recherche d’un scoop. Les motivations auraient surtout été politiques.

Pas une première

Ronan Farrow, le journaliste qui a dévoilé l’affaire Harvey Weinstein, aurait, selon ses dires lui aussi fait l’objet de tentatives d’extorsion de la part de Pecker. Pecker et Weinstein sont de bons amis et Pecker a toujours aidé Weinstein à garder les accusations qui les concernaient hors des radars. C’est ce qu’on appelle la technique du catch and kill (On l’attrape et on la tue).

Un marché que Jeff Bezos a refusé, choisissant au contraire de publier plusieurs des échanges qu’il affirme avoir eus avec AMI. Gavin de Becker, consultant spécialisé dans la protection des célébrités et engagé par Jeff Bezos pour enquêter sur ces fuites, a évoqué des « pistes sérieuses menant à des motivations politiques ».

Un avocat du tabloïd nie un chantage sur le milliardaire

Un avocat du National Enquirer a rejeté dimanche les accusations de chantage émises par le milliardaire Jeff Bezos, qui a accusé le tabloïd américain de l’avoir menacé de publier ses photos intimes. « Ce n’est absolument ni de l’extorsion ni du chantage », a déclaré Elkan Abramowitz lors d’un entretien à la chaîne de télévision américaine ABC. « Ce qui s’est passé c’est que l’histoire a été donnée au National Enquirer par une source fiable qui donne des informations au National Enquirer depuis sept ans avant la publication de cette histoire. C’était une source qui est bien connue par M. Bezos et Mademoiselle (Lauren) Sanchez », la maîtresse supposée de M. Bezos. M. Abramowitz a toutefois refusé de révéler l’identité de la source, alors qu’on lui demandait si c’était Michael Sanchez, le frère de Lauren Sanchez, comme l’avancent plusieurs médias américains. « C’est une personne qui était connue aussi bien de M. Bezos que de Mademoiselle Sanchez », s’est contenté de répéter l’avocat. « Je peux vous affirmer que ce n’est ni l’Arabie saoudite ni le président Trump « , a ajouté Elkan Abramowitz.

Aucun élément ne permet, à ce stade, d’établir que Donald Trump ait été impliqué dans ce dossier à quelque niveau que ce soit, ni même que les révélations du National Enquirer aient été politiquement motivées. AMI a assuré vendredi avoir agi « dans le respect de la loi » et annoncé l’ouverture d’une enquête interne pour faire la lumière sur les accusations de Jeff Bezos.

Jeff Bezos
Jeff Bezos © REUTERS

La rumeur court qu’il est possible que l’Arabie saoudite (avec l’aide du programme d’espionnage israélien Pegasus) ait intercepté des SMS de Bezos. Mais aussi que la fuite pourrait tout aussi bien être de Michael Sánchez. Un fan de Trump qui a accusé ces derniers jours sur les médias sociaux Bezos d’hypocrisie et de théories conspirationnistes.

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Or, il se trouve qu’il est le frère de Lauren Sánchez, la maîtresse présumée de Bezos.

Il n’est pas totalement impossible que l’on se trouve ici face à une simple histoire de ragot vaguement croustillant ayant pour acteur un homme très riche et une soeur pas assez discrète. C’est aussi oublier un peu vite le contexte. Ce que la publication de la liaison conjugale de l’homme le plus riche du monde a surtout révélé, ce sont des jeux de pouvoir qui manquent cruellement de panache. Ce que les hypothèses et insinuations illustrent surtout c’est un climat politique délétère dans lequel les accusations de complot sont récurrentes. La polarisation de la vie politique américaine est aujourd’hui telle qu’elle alimente toutes sortes de rumeurs et de conjectures, de l’enquête russe du procureur spécial Robert Mueller qualifiée par Donald Trump de « chasse aux sorcières », aux accusations de conservateurs complotistes sur l’existence d’un « Deep State », réseau de fonctionnaires qui oeuvrerait à la déstabilisation de Donald Trump.

Le divorce de Jeff Bezos, 136 milliards à diviser et Amazon au milieu

L’annonce du divorce de Jeff Bezos fait travailler l’imaginaire collectif et pose de nombreuses questions sur les modalités de scission de sa fortune, estimée à 136 milliards de dollars, et les implications possibles pour Amazon, dont il est le premier actionnaire. MacKenzie Tuttle, de son nom de naissance, a tout vécu avec Jeff Bezos, de la première virée exploratoire à Seattle en 1994 jusqu’à l’empire du commerce en ligne, en passant par les débuts d’Amazon, dans le garage de la maison. Elle est devenue virtuellement la femme la plus riche du monde, après l’annonce de sa séparation par le couple, au terme de 25 ans de mariage, la naissance de trois enfants et l’adoption d’un quatrième. Selon le site d’information sur les célébrités TMZ, Jeff et MacKenzie n’avaient pas de contrat de mariage. Bien qu’il ne contrôle plus qu’environ 16% du capital d’Amazon, dont il fut un temps actionnaire majoritaire, la fortune de Jeff Bezos est constituée, pour l’essentiel, des titres de la société qu’il a créée et qu’il dirige encore aujourd’hui. Le communiqué de séparation publié mercredi affichait un ton résolument apaisé, assurant que Jeff et MacKenzie restaient « des amis chers ». Si le divorce vire tout de même à l’aigre, cela assombrirait le paysage pour Amazon, tant sur le plan de l’actionnariat que des relations publiques.

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