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Dans le Nord, la chute de la maison Aubry

Le Vif

Dans la 1ère circonscription du Nord, le candidat aux législatives soutenu par la maire de Lille Martine Aubry ne part pas favori. Une nouvelle lézarde dans l’ancienne forteresse socialiste ?

Sûr que ça aurait de l’allure de gagner là, précisément là, dans la très symbolique 1re circonscription du Nord, face au candidat de Martine Aubry. Ils sont nombreux à en rêver – 25 au total. Trois peuvent y prétendre sérieusement. Qu’un candidat la République en marche (REM), la France insoumise ou Les Républicains-UDI l’emporte le 18 juin dans ce qui fut le fief de l’ancien Premier ministre socialiste Pierre Mauroy, et une nouvelle brique du socialisme du Nord tombera. Déjà, en 2014, la communauté urbaine de Lille et les villes de Roubaix et Tourcoing ont échappé au PS. En 2015, les conseils départemental et régional sont à leur tour tombés dans l’escarcelle de la droite. Désormais, c’est la 1re  » circo « , perdue une seule fois, en 1993, à la faveur d’une vague bleue sans précédent, qui est menacée. Et demain, peut-être, la ville.

Martine Aubry a pourtant tout fait pour éviter ce scénario. En 2014, elle convoque la presse pour annoncer  » une grande nouvelle  » : l’arrivée de François Lamy à Lille. L’homme est un proche, ex-ministre délégué à la Ville, élu depuis vingt ans en région parisienne, dans l’Essonne. La maire de Lille ne dit rien de plus, mais tout le monde a compris : François Lamy s’implante pour lui succéder à l’hôtel de ville, en 2020. Très vite, on lui prépare le terrain pour les législatives de 2017. Bernard Roman, le député sortant, élu confortablement depuis 1997, est prié de laisser sa place. Il est opportunément nommé à la présidence de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières. La voie est libre. En apparence seulement. Patrick Kanner, autre ministre socialiste, ennemi politique d’Aubry et de Lamy, lorgne lui aussi la ville et pousse une candidature concurrente. On lui propose la tête de liste des sénatoriales en septembre. Une trêve s’installe, mais l’affaire laisse des traces.

Avant chaque scrutin, les candidats battent campagne sur les marchés. Adrien Quatennens, pour la France insoumise vient à la rencontre des électeurs, à Faches-Thumesnil, le 31 mai.
Avant chaque scrutin, les candidats battent campagne sur les marchés. Adrien Quatennens, pour la France insoumise vient à la rencontre des électeurs, à Faches-Thumesnil, le 31 mai.© O. TOURON/DIVERGENCE POUR le vif/L’EXPRESS

A Lille, l’élection présidentielle révèle l’affaiblissement d’un Parti socialiste miné par ses querelles internes. Dans la 1re circonscription, mêlant quartiers bobos (Lille-Centre) et populaires (Moulins, Lille-Sud, Wazemmes…), Jean-Luc Mélenchon arrive en tête (30,41 % des voix), suivi d’Emmanuel Macron (24,21 %). Benoît Hamon finit cinquième, avec 10,43 % des voix. Les socialistes ont beau arguer que le  » bloc de gauche  » atteint encore 40 % des suffrages, personne n’est dupe. Ici, Benoît Hamon s’est bien pris une déculottée et, avec lui, Martine Aubry – elle l’avait explicitement soutenu.

Dans le Nord, Nicolas Lebas, Les Républicains-UDI, peut rêver du second tour.
Dans le Nord, Nicolas Lebas, Les Républicains-UDI, peut rêver du second tour. © O. TOURON/DIVERGENCE POUR le vif/L’EXPRESS

Pour François Lamy, la campagne prend des allures de calvaire. Ses concurrents se moquent de ce tampon  » de gauche  » qu’il fait apposer sur ses tracts. Une partie des sections socialistes tardent à le soutenir et plusieurs élus le lâchent pour le candidat REM. François Lamy lui-même n’a plus l’air d’y croire. Lors d’un porte-à-porte dans le secteur populaire de Wazemmes, le 31 mai dernier, il répond poliment aux habitants qui l’interpellent sur les questions de sécurité – quelques jours plus tôt, un jeune homme a été abattu à Moulins, le quartier voisin. Mais il tend sans conviction ses tracts de campagne aux passants et laisse ses coéquipiers sonner aux portes, comme convaincu de sa prochaine défaite. Une semaine plus tôt, devant des journalistes, Martine Aubry a presque acté l’échec :  » J’ai 66 ans et j’ai l’impression que tout ce que j’ai fait dans ma vie est abîmé, cassé. Les petits nouveaux de chez Macron qu’on a choisis au pif ou parce que ce sont des copains, c’est mieux que les gens de gauche qui se sont battus depuis cinq ans ? Ça me rend malade.  »

Le PS François Lamy, non.
Le PS François Lamy, non.© O. TOURON/DIVERGENCE

Le socialiste probablement éliminé, ils sont trois à pouvoir être encore en lice le 18 juin : Nicolas Lebas, maire UDI d’une commune de la circonscription, Adrien Quatennens, jeune militant de la France insoumise, et Christophe Itier, référent REM du Nord. Dans ce secteur, le Front national ne peut pas accéder au second tour.  » Lille est une terre de mission pour nous. Je suis l’outsider « , reconnaît Eric Dillies, le candidat local, qui, de l’avis général, fait une campagne a minima.

Avant chaque scrutin, les candidats battent campagne sur les marchés. Christophe Itier, pour REM, vient à la rencontre des électeurs, à Faches-Thumesnil, le 31 mai.
Avant chaque scrutin, les candidats battent campagne sur les marchés. Christophe Itier, pour REM, vient à la rencontre des électeurs, à Faches-Thumesnil, le 31 mai.© O. Touron/Divergence pour le Vif/L’Express.

Les trois favoris, eux, font et refont leurs calculs. Avec un taux de participation qui ne dépasse guère les 50 %, seuls deux d’entre eux franchiront l’obstacle du premier tour. Alors, ils s’évaluent, se soupèsent, se comparent. Nicolas Lebas se revendique de la droite modérée – certains de ses adversaires le dépeignent volontiers comme Macron-compatible – et il espère faire mieux que François Fillon à la présidentielle (13,5 %). Mais il est doté d’une suppléante issue du fillonisme et il ne peut pas tellement étendre sa réserve de voix. Adrien Quatennens, de la France insoumise, doit compter, lui, avec la multitude de candidatures à gauche : un communiste, deux de l’extrême gauche et pas moins de quatre écologistes.  » J’espère juste qu’on ne restera pas au pied du podium à cause de cette dispersion « , soupire-t-il. Les outrances récentes de Jean-Luc Mélenchon peuvent aussi lui faire perdre des suffrages par rapport au score record du 23 avril. Quant à Christophe Itier, de REM, tous ses adversaires le voient au second tour. Lui-même reste prudent, tant l’ambiance de campagne est volatile. Un mercredi ensoleillé de mai sur le marché de Faches-Thumesnil, un homme l’aborde :  » Et votre dame, ça va ?  » Christophe Itier marque un temps, hésite :  » Oui, pourquoi ?  »  » Non, parce qu’il faudrait faire attention, avec les conflits d’intérêts.  » L’allusion à Richard Ferrand, pris dans la tourmente médiatique pour une affaire concernant, notamment, sa compagne, est manifeste. Christophe Itier peine à trouver les arguments pour rétorquer, alors que le président de la République et le Premier ministre défendent publiquement leur ministre. Il est d’autant plus mal à l’aise que, le même jour, La Voix du Nord a mis en cause la candidate REM de la circonscription voisine pour avoir dissimulé une condamnation pour faux et usage de faux.

C’est pourquoi, à quelques jours du scrutin, même si Christophe Itier semble tenir la corde, nul ne se hasarde à prédire un résultat.

Par Agnès Laurent.

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