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Crimes contre le patrimoine, une épidémie incontrôlable ?

Le Vif

Des cultures qui avaient résisté au passage de millénaires turbulents ont vu certains de leurs édifces emblématiques retourner à la poussière en quelques jours. Si la pratique n’a rien de neuf, l’islamisme radical a employé les grands moyens pour marquer le début du XXIe siècle.

En février 2015, le sac du musée de Mossoul et du site de Nimrud a fait le tour du

monde. Les combattants démolissent les statues à visage découvert dans une apparente jubilation. Le fait a été peu noté, mais quand, six mois plus tard, l’État islamique a récidivé à Palmyre, les images révèlent une opération froidement orchestrée, dans lesquelles le faciès des exécutants est soigneusement dissimulé. Cette précaution est un signe : ils savent être redevables de leurs actes, auprès de la population aujourd’hui, et de la justice demain, s’ils survivent. Constatant que 80 % de la cité romaine était encore debout après une année d’occupation, le directeur des Antiquités syriennes, Maamoun Abdulkarim, a ainsi attribué l’arrêt des démolitions aux craintes d’une révolte locale. À leur arrivée, les islamistes avaient ainsi promis aux dignitaires locaux qu’ils ne s’en prendraient pas aux ruines antiques. L’impuissance est le premier sentiment que soulèvent ces images d’effroi. Relancée par l’Italie (qui peut se fonder sur l’expérience acquise par son propre corps d’urgence pour le patrimoine), l’idée de former un contingent international de sauvetage d’urgence du patrimoine répond à ce désarroi, même si elle est très diffcile à mettre en oeuvre. Pourtant, même dans une situation aussi atroce que celle de la Syrie ou du Mali, les signes de résistance se font jour. Encore faudrait-il qu’ils soient appuyés effcacement par la communauté mondiale. Des progrès sont cependant sensibles. Chercheur au CNRS et juriste, Vincent Négri pointe ainsi la condamnation, en 2004, confrmée l’année suivante, par le tribunal international sur la Yougoslavie du vice-amiral Miodrag Jokic pour le bombardement ininterrompu de la vieille ville de Dubrovnik le 6 décembre 1991. Près d’un siècle après l’incendie de la cathédrale de Reims, soixante ans après la des truction de Varsovie, d’Hiroshima, de Dresde, de Hambourg, de Munich, du Havre ou de Naples, une juridiction internationale a pour la première fois retenu le crime culturel parmi ses attendus. Le fait s’est répété depuis. Aujourd’hui, c’est au tour de la Cour pénale internationale de juger un chef djihadiste pour la destruction des mausolées de Tombouctou. « Ces décisions ont été peu commentées, pourtant elles marquent un tournant dans la construction d’un droit international dédié à la protection du patrimoine », souligne Vincent Négri, tout en reconnaissant que « le temps long » qu’il réclame « entre en collision avec l’urgence du moment ».

Tarir les fonds du terrorisme

La donne a encore changé avec l’émotion suscitée par les mises en scène de Daech, enclenchant une prise de conscience générale. Les grandes puissances s’engagent à leur tour, pour des motifs plus prosaïques : elles veulent tarir les fonds du terrorisme. En mars 2015, le Conseil de sécurité de l’ONU a ainsi prohibé le transport ou le commerce de tout bien culturel sorti illégalement de Syrie depuis 2011, ou d’Irak depuis 1990. Les colloques qui se sont tenus au Metropolitan Museum de New York en septembre 2015, et à Drouot, à Paris, deux mois plus tard, témoignent que cette mobilisation gagne le marché de l’art. Comme le résume Alexandre Giquello, président du conseil de surveillance de Drouot, « hier encore, des collectionneurs et des marchands pouvaient montrer une certaine tolérance envers le pillage archéologique ; depuis que celui-ci fnance la terreur, le changement est radical ». L’inscription de la protection des biens culturels dans les confits en droit international commence en 1899, avant d’être confrmée en 1907 par la convention de La Haye, qui réclame « d’épargner, dans les sièges et les bombardements », les monuments tout comme les hôpitaux, les écoles ou les lieux de culte. « Le pillage est formellement interdit » ainsi que la « dégradation volontaire de monuments, d’oeuvres d’art ou de science », qui « doit être poursuivie ». En 1954, une nouvelle convention a été adoptée à La Haye. Cependant, admet Vincent Négri, leur portée concrète « reste tributaire de la volonté des États ». La France, elle-même, se montre ambivalente. Au lendemain de l’attaque du musée de Mossoul, François Hollande s’est posé en champion du patrimoine du Moyen-Orient. Plus d’une année plus tard, le ministère de la Culture est inerte. Tout comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, ne parvenant pas à surmonter l’hostilité des militaires et diplomates, la France n’a toujours pas signé le protocole adopté en 1999 pour renforcer la convention de La Haye. Les ministères se chamaillant entre eux, elle n’a toujours pas édicté de règle claire pour le marché de l’art. L’administration multiplie les tracasseries pour les autorisations de séjour des archéologues et conservateurs venus du Proche et du Moyen-Orient en guerre. Et les grandes annonces d’aide à la Syrie et l’Irak n’ont été suivies d’aucun budget correspondant.

Par Vincent Noce.

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