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Côte d’Ivoire : « La partition du pays est une option »

A Abidjan, et dans l’Ouest ivoirien, les combats s’intensifient. Selon l’International Crisis Group, la guerre civile aurait même déjà commencé. Michel Galy, spécialiste de la Côte d’Ivoire au Centre d’études des conflits, fait le point sur les événements ivoiriens.

Peut-on parler de crise humanitaire en Côte d’Ivoire?

Près de 500 000 personnes ont fui leur habitation depuis le début de la crise. Pour les familles qui fuient les violences, mais qui restent dans le pays, c’est le phénomène du retour au village. Les Sahéliens, les « Néo-Dioulas » du nord, fuient, eux, davantage à l’extérieur du pays, vers le Burkina Faso et le Mali. Ceux qui sont en pays Bété (ouest) partent vers le Ghana ou le Libéria, qui a vu arriver depuis quelques semaines entre 80 et 100 000 réfugiés ivoiriens. Ainsi, à cause de cet exode massif, tous les pays limitrophes sont concernés par la crise ivoirienne, et en particulier la Guinée, la Mauritanie, le Sénégal et le Nigéria, dont les ressortissants sont nombreux en Côte d’Ivoire.

Cette crise des réfugiés est aussi accompagnée d’un manque cruel de médicaments. L’embargo décidée par les Européens sur les ports ivoiriens, et qui est dénoncé par Médecins sans Frontières et la CICR (Comité International de la Croix-Rouge), conduira les populations à recourir soit à la pharmacopée traditionnelle, soit à des médicaments frelatés venant du Ghana ou du Nigéria. D’autant que des centres de santé ont été fermés notamment à Abobo, et qu’au Nord, depuis 2002, les fonctionnaires originaires du Sud ont été chassés par la rébellion pro-Ouattara, compliquant la tâche des ONG sur place, désormais seules à faire face à cette situation sanitaire déplorable.

Le président reconnu Alassane Ouattara vient de créer une nouvelle force armée, les Forces de Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Pourquoi ?

A mon avis, Alassane Ouattara se rend compte qu’il a besoin d’une armée officielle, pour combattre celle de Gbagbo. Parce qu’à Abidjan, il y a d’un côté l’Onuci et la Force Licorne française auprès de lui à l’Hôtel du Golfe, et de l’autre les Forces Nouvelles (FN) de Guillaume Soro (son Premier ministre et ministre de la Défense), encore considérées par la population comme une rébellion nordiste. Cela fait un peu désordre pour un « président » de Côte d’Ivoire.

D’autant que l’on ne connaît pas non plus réellement le positionnement, la composition, et la mainmise territoriale à Abidjan de ces FN pro-Ouattara. Et le « commando invisible » est en partie responsable de cet état de fait. Ce commando, que l’on suppose dirigé par Ibrahim Coulibaly, et qui aurait une très bonne assise dans la ville, notamment à Abobo [Le Monde rapportait le 14 mars que ces combattants étaient aussi présents dans le district d’Anyama, et ont déjà fait des tentatives de percée vers les quartiers de Youpongon et d’Adjamé. D’autres témoins indiquent qu’ils tiendraient toute la capitale économique, ndlr], combat aussi le camp Gbagbo, mais ne s’est toujours pas déclaré pro-Ouattara. La confusion est patente sur le terrain.

Pour plus de clarté, Alassane Ouattara a donc voulu réunir toutes ses forces dans les FRCI: les FN et une partie des FDS de Laurent Gbagbo qui ont rallié son camp – et qu’on ne peut pas encore quantifier. La crainte désormais est que Ouattara n’arrive plus à contrôler toutes les fractions militaires plus ou moins ralliées à son camp.

Le « commando invisible » souhaite avant tout « protéger la population », se dit « neutre » face aux deux camps belligérants, et se considère même comme une troisième voie dans cette crise. Etes-vous d’accord?

Le « commando invisible » est une force belligérante, il est entré dans les hostilités, et a tout de suite dû faire face aux représailles du camp Gbagbo. Et il semble que les combattants de ce commando soient bien mieux armés que les FDS de Gbagbo.

Par ailleurs, Ibrahim Coulibaly, le chef du commando, ne peut pas faire figure de 3ème homme dans cette crise. C’est un putschiste très violent. Lorsqu’il a été arrêté en 2003 à Paris, il fomentait un attentat pour faire sauter un pont à Abidjan, et tuer une partie de l’escorte de Laurent Gbagbo. La Côte d’Ivoire regorge de bien meilleurs chefs politiques que ce militaire relativement peu éduqué.

Le camp Gbagbo est sur le point de créer un Front de Libération d’Abobo. Le président sortant est-il en train de se renforcer militairement?

Face à un « commando invisible », composé de professionnels et qui quadrille la commune la plus peuplée d’Abidjan, Abobo, les pro-Gbagbo jouent le jeu de leurs adversaires en créant cette nouvelle force. Celle-ci serait basée à Youpongo, commune pro-Gbagbo. Cette escalade militaire est également renforcée par l’appel de Charles Blé Goudé, chef des jeunes patriotes pro-Gbagbo, au recrutement massif de jeunes civils, le 21 mars, et peut-être aussi par l’appel des deux camps à des combattants venus du Libéria et du Burkina Faso.

Face à cette escalade militaire, quelle issue trouver à la crise?

Il y a deux options. La première serait que les pressions militaires actuelles déboucheraient vers d’ultimes négociations. Les tensions à Abidjan seraient telles, que, devant l’abyme, les deux camps seraient obligés de négocier. De ces négociations devrait aussi naître un gouvernement de techniciens, pour rétablir le bon fonctionnement des institutions du pays, avec à sa tête des hommes tels que Seydou Diara et Charles Konan Banny, qui furent tous deux de brillants Premiers ministres de la Côte d’Ivoire. La seconde option serait la partition du pays. Mais il faudrait compter sur le déplacement spontané des populations: les nordistes vers le nord, et inversement.

L’ONU pourrait-elle donner un cadre à cette sortie de crise? Comme l’a déjà dit Bertrand Badie, professeur à Sciences Po Paris, les Nations unies ont fait l’erreur de trop s’impliquer dans cette élection ivoirienne, qui n’était d’ailleurs selon lui pas assez préparée sur la question notamment du désarmement des FN du nord et du redéploiement de l’Etat dans cette zone. La principale faute de l’ONU est d’avoir certifié un candidat en particulier, et non l’élection dans sa globalité. Aujourd’hui, les forces onusiennes paraissent peu efficaces, en témoigne l’appel du camp Ouattara à une intervention plus franche de leur part.

Pauline Tissot, L’Express.fr

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