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Corée du Nord : sur les traces de Kim Jong-nam

Le Vif

Assassiné dans un aéroport en Malaisie, le 13 février, le demi-frère du maître de Pyongyang avait ses habitudes à Paris. Histoire d’une saga familiale hors du commun.

Aéroport international de Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, lundi 13 février. Au milieu d’autres passagers, un homme vêtu d’un costume gris clair, à l’allure décontractée, s’apprête à embarquer pour Macao. Soudain, deux jeunes femmes se jettent sur lui et plaquent un tissu noir sur son visage. Enregistrée par les caméras de surveillance, l’agression ne dure que quelques secondes, puis les assaillantes disparaissent dans la foule. L’homme, hagard, demande de l’aide. Quelques minutes plus tard, sa vue se brouille, il tousse, suffoque… Transporté en ambulance, il meurt sur la route de l’hôpital. Empoisonné au VX, expliquent les médecins. Un puissant agent neurotoxique.

Kim Jong-nam et Kim Jong-un
Kim Jong-nam et Kim Jong-un© Belga
Corée du Nord : sur les traces de Kim Jong-nam
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Sur son passeport, un nom : Kim Chol. Mais, très vite, les policiers découvrent sa véritable identité : Kim Jong-nam, petit-fils de Kim Il-sung, le  » président éternel « , fondateur de la Corée du Nord. Dans les jours qui suivent, les enquêteurs arrêtent les meurtrières. Ils s’intéressent aussi à quatre Nord-Coréens qui buvaient un café dans l’aérogare et sont partis précipitamment, peu après l’attaque. L’un d’eux travaillerait pour les services secrets de Pyongyang. Les soupçons se portent sur le régime, même si de nombreuses zones d’ombre demeurent. Il ne s’agit pas d’un  » simple  » assassinat, mais d’une affaire d’Etat… L’enquête s’annonce d’autant plus difficile que les traces laissées par Kim Jong-nam s’effacent très vite. A la seule évocation de son nom, les visages se ferment, les conversations s’abrègent. Même à Paris, où ce francophile se rendait régulièrement, ses amis requièrent l’anonymat. Comme si le terrible poison VX menaçait de contaminer tous ceux qui l’avaient connu.

Kim Jong-nam, ou l’histoire d’un héritier maudit. Longtemps,  » Fat Bear (gros nounours) « , comme l’appelaient ses amis, en raison de sa silhouette replète, a été promis au pouvoir. N’était-il pas l’aîné de la fratrie ? Sa mère, Song Hye-rim, était une actrice appréciée dans le Pyongyang des années 1970, quand Kim Jong-il, fils du  » grand leader « , tombe amoureux d’elle. Il a alors 29 ans. Problème : Song Hye-rim est la fille d’un riche propriétaire sud-coréen. Impossible, pour Kim Jong-il, d’avouer à son père qu’il compte épouser une  » capitaliste  » ; l’idylle reste secrète, tout comme la naissance, en 1971, de Kim Jong-nam.

Le 13 février dernier, Kim Jong-nam arrive à l'aéroport de Kualu Lumpur, en Malaisie. L'agression aura lieu quelques secondes plus tard.
Le 13 février dernier, Kim Jong-nam arrive à l’aéroport de Kualu Lumpur, en Malaisie. L’agression aura lieu quelques secondes plus tard.© SHUTTERSTOCK/SIPA

Durant ses premières années, l’enfant vit donc cloîtré dans une discrète résidence de la capitale. Il est ensuite envoyé en Russie, le  » pays frère  » d’alors, et scolarisé au lycée français de Moscou, avant d’intégrer, au début des années 1980, l’Ecole internationale de Genève. Dans cet univers cosmopolite, le jeune Kim apprend l’anglais et le français, qu’il parle bientôt à la perfection. En 1988, il retourne à Pyongyang. Son père veut le préparer au pouvoir. Kim Jong-nam rejoint le ministère de la Sécurité publique et s’y illustre dans la répression d’opposants, en 1996, avant de prendre les rênes du très stratégique Comité informatique. Sa voie semble tracée : il sera le prochain  » leader suprême « .

Le début de l’exil

En mai 2001, pourtant, sa vie bascule. En compagnie de deux femmes et d’un enfant, Kim Jong-nam est arrêté à l’aéroport de Tokyo, muni d’un faux passeport de la République dominicaine. Aux policiers japonais il déclare qu’il voulait visiter Disneyland avec sa famille… Son père, ridiculisé par cette histoire, annule un voyage officiel en Chine. Il ne lui pardonnera jamais cet affront. L’enfant chéri tombe en disgrâce ; son demi-frère Kim Jong-un prend sa place de prétendant au pouvoir, auquel il accède en 2012, après la mort de leur père.

Depuis l’empoisonnement de son père, Kim Han-sol a disparu

Commence alors, pour Kim Jong-nam, une vie d’exil. Sous des noms divers, il voyage à Pékin, à Bangkok et à Macao, où il finit par s’installer avec sa famille. Bon vivant, on le croise surtout dans les night-clubs. Car  » Fat Bear  » aime les femmes. On lui connaît deux épouses et de nombreuses maîtresses.

L'une des deux meurtrières de Kim Jong-nam s'apprête à prendre un taxi. Les deux femmes seront arrêtées quelques jours plus tard.
L’une des deux meurtrières de Kim Jong-nam s’apprête à prendre un taxi. Les deux femmes seront arrêtées quelques jours plus tard.© SHUTTERSTOCK/SIPA

Souvent, aussi, il se rend en Europe. Blouson, tee-shirt et lunettes de soleil, il voyage incognito et dort dans des Airbnb à Genève. Kim Jong-nam fréquente aussi les palaces parisiens. La presse sud-coréenne et, surtout, nipponne le traque.  » Le Japon est passionné par tout ce qui a trait à Pyongyang, tant pour des raisons géopolitiques qu’en raison des nombreux enlèvements de citoyens japonais par des agents nord-coréens dans les années 1980 « , explique Eva Morletto. Cette reporter italienne travaillait pour la chaîne Fuji TV avant de créer son blog, Da Vinci Post. A plusieurs reprises, elle a pris en chasse Kim Jong-nam dans la capitale française, à la manière d’un paparazzi. En 2008, elle l’accoste alors qu’il sort de l’hôpital Sainte-Anne :  » Il venait voir le docteur Roux, chef du service de neurochirurgie, précise-t-elle. Son père avait eu un accident cardio-vasculaire et il cherchait un spécialiste qui accepterait de se rendre à Pyongyang.  »

Fin de non-recevoir

Dans la plus pure tradition confucéenne, le fils renié vole en effet au secours de son père.  » Il est venu me voir deux fois, confirme François-Xavier Roux, qui habite aujourd’hui au Cambodge. Mais ne me parlez pas de cette histoire, je n’en dirai rien.  » Même réaction de la part du dentiste qui, à Paris, a soigné Kim Jong-nam pour un abcès dentaire. Certains des amis du Coréen nous ont carrément opposé une fin de non-recevoir. Parmi eux, Anthony Sahakian. Les deux hommes s’étaient rencontrés sur les bancs de l’école genevoise. Ils étaient restés très proches.  » Je ne vais plus faire de commentaire à son sujet « , nous écrit-il. Ses confidences, livrées il y a quelques semaines au Guardian, un journal britannique, lui auraient-elles causé du tort ? On y apprenait que Kim Jong-nam vivait dans la peur :  » Il était devenu paranoïaque et se cachait du régime « , racontait son vieil ami.

L’héritier banni n’avait plus d’ambition politique, pourtant, et se gardait de tout commentaire critique au sujet du régime nord-coréen. A une exception près. Dans des entretiens, publiés en 2012 par un journaliste japonais, Yoji Gomi, le prudent Kim Jong-nam se lâche. Il déplore le manque de réformes, qui risque d’entraîner un  » effondrement du régime « . Surtout, il s’oppose au système de succession dynastique… au moment précis où son demi-frère Kim Jong-un est sacré leader suprême. A-t-?il, ce jour-là, scellé son arrêt de mort ? Il y a quelques années, déjà, Kim Jong-nam avait échappé à deux tentatives d’assassinat, dont une en Chine.

KIm Jong-nam raconte son agression aux agents de sécurité. Il mourra en route vers l'hôpital.
KIm Jong-nam raconte son agression aux agents de sécurité. Il mourra en route vers l’hôpital.© AP/SIPA

Car, à Pyongyang, le nouveau chef suprême entend bien éliminer toute menace potentielle : à la fin de 2013, il fait exécuter son oncle, Jang Song-thaek, le n° 2 du régime. Pour Kim Jong-nam, la menace plane. Mais où aller ? Sa cousine germaine Jang Kum-song a été retrouvée morte, durant l’été 2006, à Paris. Quelques jours plus tôt, la jeune femme avait refusé de rentrer en Corée du Nord. Officiellement, elle s’est suicidée.

Dans une lettre écrite en 2012, Kim Jong-nam demande à son demi-frère de les épargner, lui et sa famille. Que faire de plus ? Fataliste, il se déplace en taxi, sans garde du corps. Mais il a, tout de même, organisé la protection de sa famille, notamment de son fils, Kim Han-sol. Né à Pyongyang en 1995, le jeune homme a passé son enfance à Macao avant de poursuivre ses études en Europe. D’abord à Mostar, en Bosnie, puis au Havre dans le nord-ouest de la France, entre 2013 et 2015, à Sciences po.  » Il était bon à l’école, très bien élevé et doté d’un grand sens de l’humour « , raconte Elisabeth Rehn. En 2012, cette ancienne sous-secrétaire générale de l’ONU a réalisé le seul entretien filmé du jeune Han-sol. Ce dernier y décrit son enfance pétrie de solitude et confie son espoir de pouvoir, un jour,  » améliorer les choses  » dans son pays natal. Il n’hésite pas non plus à qualifier son oncle Kim Jong-un de  » dictateur « .

Ces propos, dangereux, expliquent sans doute la protection policière dont il a fait l’objet, au Havre, dans son petit studio universitaire.  » Il était également surveillé sur le campus par des faux étudiants chinois « , précise un ancien élève du Havre, qui tient à rester anonyme. Depuis l’empoisonnement de son père à Kuala Lumpur, Kim Han-sol a disparu. Comme sa mère et sa soeur. Ils seraient sous la protection des services secrets chinois, mais d’autres pensent qu’ils pourraient s’être réfugiés aux Pays-Bas. Han-sol, le dernier descendant des Kim, parviendra-t-il à échapper à la malédiction ?

Par Charles Haquet.

Bio Express

Le 10 mai 1971 : Naissance, à Pyongyang, de Kim Jong-nam.

Années 1980 : Fait ses études à Genève.

1998 : Entre au ministère de la Sécurité publique.

2001 : Est arrêté à Tokyo avec un faux passeport dominicain.

2008 : Vient à Paris chercher un chirurgien pour opérer son père, Kim Jong-il.

Le 13 février 2017 : Est assassiné à Kuala Lumpur. Il avait 45 ans.

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