© Reuters

Corée du Nord : Qu’est-il arrivé à Otto Warmbier?

Muriel Lefevre

L’étudiant américain Otto Warmbier, rapatrié le 13 juin dans un état comateux après 18 mois de détention en Corée du Nord, est décédé lundi. Mais comment avait-il atterri dans ce cauchemar ?

« C’est notre triste devoir de vous annoncer que notre fils, Otto Warmbier, a terminé son voyage sur Terre. Entouré par sa famille qui l’aime, Otto est décédé aujourd’hui à 14H20 » (18H20 GMT) a écrit ce lundi sa famille. L’étudiant américain, 22 ans, avait été rapatrié le 13 juin aux États-Unis. Il était dans le coma avec de graves lésions cérébrales après sa détention en Corée du Nord.

Venu en Corée du Nord dans le cadre d’un voyage touristique de cinq jours organisé pour le Nouvel An, le jeune Américain avait été arrêté pour avoir tenté de voler une affiche de propagande. Il sera jugé en moins d’une heure lors d’un procès spectacle et condamné à 15 ans de travaux forcés en mars 2016. Peu après son procès et ses confessions publiques diffusés à la télé, il serait tombé dans le coma.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Sans nouvelle depuis le procès, la famille n’apprendra que quelques heures avant sa libération que le jeune homme se trouvait dans un état de santé critique. Quand le jeune homme est revenu chez lui 18 mois plus tard, à Cincinnati, dans l’Ohio (nord), il présentait en effet de graves lésions cérébrales, selon ses médecins. « Il était incapable de parler, incapable de voir et incapable de réagir à des commandes verbales. Il semblait très mal à l’aise, presque angoissé », a rappelé sa famille lundi.

Mais « bien que nous ne n’allions plus jamais entendre sa voix, en une journée la contenance de son visage avait changé – il était en paix. Il était chez lui et nous pensons qu’il pouvait le sentir », ont ajouté ses parents Fred et Cindy. Sa famille a dénoncé à nouveau « les mauvais traitements, atroces et barbares » que leur fils a subis selon eux en Corée du Nord, où il avait été arrêté en janvier 2016.

Que s’est-il passé ?

Retour à la fin 2015. Otto Warmbier participe alors dans le cadre de ses études à un programme d’échange à Hong Kong. Il sympathise avec Danny Gratton, un sales manager anglais qu’il avait rencontré à Pékin un peu plus tôt. Ensemble, ils décident de participer à un court voyage de cinq jours en Corée du Nord organisé par l’organisation Young Pioneer Tours. Celle-ci a un slogan alléchant: « Voici, un trip dont vos parents ne veulent pas entendre parler ». Très tentant pour Otto qui aime les voyages aventureux. Surtout que l’agence assure que cela ne présente pas de dangers pour les Américains.

Avec Gratton et 10 autres américains, il se rend donc à Pyongyang pour le Nouvel An. Lors du séjour à l’hôtel Yanggakdo International Hotel, Warmbier aurait volé un drapeau de propagande avec le nom du leader Kim Jong-il dans un étage uniquement réservé au personnel. En Corée du Nord, c’est considéré comme un crime grave.

Il existe bien une vidéo qui montre qu’un drapeau est arraché dans ledit couloir, mais on ne distingue à aucun moment le visage du malfrat. Celle-ci sera néanmoins jugée assez parlante pour que l’état coréen décide de la diffuser en direct à la télévision d’état.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

La vidéo est surtout un très bon prétexte à l’arrestation du jeune américain. Celle-ci aura le 2 janvier lieu à l’aéroport, lorsqu’il est sur le point d’embarquer pour quitter le pays.

Gratton était présent et a tout vu : « Personne n’a pipé mot. Deux agents se sont approchés, ils lui ont tapoté l’épaule et l’ont écarté. Otto n’a rien fait, il ne semblait pas avoir peur. J’ai même fait une remarque ironique du genre « toi, on ne te reverra plus jamais ». Otto a souri. Sauf que c’était vraiment la dernière fois que je le voyais. Il était au mauvais endroit, au mauvais moment » dit encore Gratton.

Une fois à Pékin, le guide de l’agence de voyage aurait eu Warmbier au téléphone qui lui aurait assuré avoir trop mal de tête pour voyager et qu’il avait souhaité être transporté à l’hôpital.

Moins de deux mois plus tard, le jeune américain « confesse » son crime à la télévision. On le voit fébrile, la tête baissée et même parfois en pleurs lire un texte. Il avoue avoir voulu voler l’affiche pour la mère d’une amie qui souhaitait l’accrocher dans son église dans le Wyoming. « L’état américain savait » et cela avait pour but de « détruire l’éthique de travail et la motivation du peuple nord-coréen ». « La pire erreur de sa vie » dira-t-il en conclusion tout en demandant le pardon.

Des aveux forcés selon les parents. D’autant plus que Gratton a dit qu’il n’y avait aucune preuve que Otto ait bel et bien volé le drapeau:  » Ce n’était pas son genre. C’était un garçon très, très poli » et surtout que celui-ci serait bien trop grand pour être caché dans des bagages.

Les causes nébuleuses de son coma

Lorsqu’il est enfin libéré, pour raison humanitaire, et renvoyé aux USA, il se trouvait dans un état végétatif. Il ne pouvait pas parler, mais bien cligner des yeux et respirer seul.

Les causes du coma restent inconnues, selon ses médecins. Le type de lésions neurologiques dont il souffrait résulte d’ordinaire d’un arrêt cardio-respiratoire. L’équipe médicale avait d’autre part démonté l’explication fournie par le régime nord-coréen en indiquant n’avoir pas relevé de trace de botulisme dans l’organisme du jeune homme.

D’anciens détenus comme Kenneth Bae ont fait état de longues journées de labeur, de problèmes médicaux et d’abus psychologiques. Mais d’autres ont parlé de conditions de détention tolérables.

Contexte diplomatique tendu

Trois Américains sont toujours détenus en Corée du Nord, deux hommes qui enseignaient dans une université de Pyongyang financée par des groupes chrétiens étrangers et un pasteur Américano-Coréen accusé d’espionnage au profit de Séoul.

Reste à savoir si la mort de l’étudiant va porter un coup fatal à la stratégie nord-coréenne –bien huilée– des otages, qui servent de monnaie d’échange diplomatique. Des spécialistes ont jugé improbable que Pyongyang ait délibérément fait plonger un ressortissant américain dans le coma.

La mort d’Otto Warmbier survient dans un contexte de tensions exacerbées entre les États-Unis et la Corée du Nord sur le programme d’armement nucléaire que Pyongyang continue de développer. Le régime communiste, qui a un piètre bilan en matière de droits de l’homme, est isolé sur la scène internationale en raison de ses ambitions militaires. La Corée du Nord a multiplié les tirs de missiles depuis le début de l’année, suscitant à chaque fois la colère de Washington et les condamnations de l’ONU.

Trump : « Beaucoup de choses terribles se sont passées »

Le président Donald Trump dénonce un régime nord-coréen « brutal », dont les relations avec les États-Unis sont déjà extrêmement tendues. « Beaucoup de choses terribles se sont passées. Mais au moins nous l’avons ramené chez lui pour qu’il soit avec ses parents », a déclaré le président américain peu après l’annonce, par la famille, de la mort du jeune homme de 22 ans. Dans un communiqué, il a souligné sa détermination « à empêcher que des innocents ne subissent de telles tragédies aux mains de régimes qui ne respectent pas l’État de droit ou la décence la plus élémentaire ». Le secrétaire d’Etat Rex Tillerson a lui estimé dans un communiqué que la Corée du Nord était responsable de sa « détention » et a réclamé la libération des trois Américains encore derrière les barreaux du régime communiste.

La Chine a pour sa part déploré mardi la mort d’Otto Warmbier, appelant Washington et Pyongyang au dialogue pour résoudre leurs différends. « Je crois qu’il s’agit d’une affaire malheureuse », a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Geng Shuang. « Nous espérons que la Corée du Nord et les États-Unis la traiteront de manière appropriée ». M. Tillerson et le chef du Pentagone Jim Mattis doivent recevoir mercredi deux des responsables chinois les plus importants afin d’approfondir le dialogue entre les deux premières puissances mondiales et tester la volonté chinoise sur le dossier nord-coréen.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire