© Reuters

Comment la cavale de Mladic a pris fin

La défense de l’ancien chef d’état-major de l’armée des Serbes de Bosnie qui a été arrêté jeudi après seize ans de cavale, tente de retarder son transfert vers le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Une arrestation sans violence

Ratko Mladic n’a opposé aucune résistance lors de son arrestation, jeudi matin, sur le territoire de la Serbie. « Deux pistolets ont été retrouvés sur Mladic, mais il n’a pas eu le temps de les utiliser. Donc, il n’y a pas eu d’actions violentes ou usage de la force », selon le ministre de l’Intérieur, Ivica Dacic.

Son arrestation a eu lieu lors de la perquisition de quatre maisons à Lazarevo, près de Srenjanin, à environ 80 kilomètres au nord-est de Belgrade, non loin de la frontière avec la Roumanie. Cinq autres personnes ont été interpellées puis relâchées après avoir été interrogées.

Bientôt transféré à La Haye?

C’est la fin d’une cavale de seize ans, pour le  » bourreau des Balkans  » (voir l’encadré). Selon les services du Procureur serbe pour les crimes de guerre, son transfèrement vers La Haye, où siège le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), pourrait demander jusqu’à sept jours. Son avocat a indiqué lundi qu’il ferait appel dans l’après-midi « pour retarder » ce transfèrement.

Dès vendredi, son état de santé a entraîné une interruption de sa comparution devant le Tribunal spécial pour crimes de guerre, à Belgrade. Il « se trouve dans une condition psychologique et physique difficile. Il est difficile d’établir tout moyen de communications avec lui », selon son avocat. Selon Europe 1, il « serait paralysé d’une main et souffrirait de problèmes rénaux et d’hypertension ». Des rumeurs d’accidents vasculaires cérébraux avaient déjà couru par le passé.

Le porte-parole du Tribunal serbe pour les crimes de guerre en convient: « Il ne ressemble pas à l’homme que nous connaissions dans les années 1990. » Mais il pourrait cependant communiquer, selon lui. Il a notamment fait savoir qu’il ne reconnaissait pas l’autorité du TPIY et qu’il niait toute responsabilité dans le massacre de Srebrenica qui a « pu être fait derrière son dos »…

Comment l’étau s’est resserré En 2008, dans les colonnes du New York Times, un cousin, Stretko Mladic, affirmait que « s’il existait un monde sous les mers, c’est là qu’il se cacherait. » Plutôt que les fonds marins, l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie a choisi la maison d’un parent, peut-être un cousin justement, à Lazarevo. La presse avait aussi évoqué son entourage familial en juin 2010. Les proches du « bourreau des Balkans » avaient même demandé à la justice serbe de le déclarer mort, purement et simplement. Demande rejetée.

Ces liens, familiaux ou amicaux, étaient déjà au coeur de l’enquête en 2005, date à laquelle sa pension a été suspendue. Une « stratégie calculée des enquêteurs » souligne le New York Times. Sa pension, c’est d’ailleurs ce qui monopolise l’attention de Mladic: il ne cesserait de la réclamer depuis son arrestation… En coupant ce maigre flux financier et en contrôlant de plus en plus ses proches, l’étau s’est resserré, « contraignant Mladic à se cacher dans certaines maisons ».

Des protections en question…


Mladic bénéficiait aussi d’un autre rempart très solide contre la justice internationale: l’armée serbe. En 2006, un rapport des services secrets de Belgrade montrait qu’elle avait continué à le protéger jusqu’en juin 2002. Fin 2005, d’ailleurs, le ministre de la Défense de Serbie-Monténégro, Zoran Stankovic, reconnaissait une coopération insuffisante de son armée avec le TPIY pour arrêter les inculpés de crimes de guerre.

Après 2002, d’autres protections on pu prendre le relais, permettant à Mladic de mener une cavale relativement tranquille. « Des loyalistes, des personnes liées au gouvernement, des officiels de haut rang, ou des prêtres orthodoxes serbes », avance le New York Times, d’après qui en 2006 Mladic avait trouvé refuge dans un monastère. La Serbie, dont le manque de volonté politique a aussi été mis en cause, promet d’enquêter.

Mais où est Mladic?

Mladic n’a pas passé ces seize dernières années à Lazarevo, loin de là. A la fin des années 1990, il vit d’abord en toute impunité dans son fief de Han Pijesak, une base militaire en Bosnie, équipé d’un vaste réseau de galeries souterraines. Puis il s’installe à Belgrade dans un quartier chic où, d’après des voisins, il taille des roses en chantonnant, tranquillement. Sécurité oblige, une voiture militaire le suit quand il sort faire un tour à pied.

La presse ne manque jamais de rapporter qu’il a été vu dans tel ou tel restaurant. En juillet 1997, il se dore au soleil sur la côte monténégrine. Dans les années 2000, on le dit tantôt à Belgrade, tantôt dans un complexe militaire chez les Serbes de Bosnie. On le voit aussi en apiculteur à Valjevo, à 100 km à l’ouest de la capitale. Des vidéos diffusées par la télévision bosniaques montrent Mladic en train de danser, lever son verre ou cajoler sa petite-fille, en 2009.

Une identité non dissimulée

Radovan Karadic, ancien président des Serbes de Bosnie arrêté en 2008, avait longtemps vécu sous l’identité de l’excentrique Dr Dabic. Mladic, lui, n’a pas eu besoin de dissimuler son identité. Des médias serbes ont supposé l’inverse jeudi matin, évoquant un nom d’emprunt: Milorad Komadic. Le ministre serbe de l’Intérieur, Ivica Dacic, a rapidement démenti. « Ce n’est pas vrai que Ratko Mladic utilisait une fausse identité. Lors de son arrestation, on a trouvé sur lui une carte d’identité périmée et il avait une pièce d’identité militaire à son nom ».

Un « héros » dans le village de Lazarevo

S’il ne dissimulait pas son identité, c’est peut-être parce que dans le village de Lazarevo, où a pris fin sa cavale visiblement tranquille, Mladic était considéré comme un « héros ». Cet avis, semble partagé par une partie des 3000 habitants, dont beaucoup de Bosniens venus s’installer dans cette région après la Seconde guerre mondiale. Face à l’afflux des journalistes, ce jeudi, les partisans de l’ancien général scandaient « Mladic héros ».

Le même genre de slogans a été lancé ce dimanche à Belgrade, par quelque 10 000 manifestants. Car aux yeux d’une partie des Serbes, Mladic restait un symbole nationaliste et patriotique, que le président serbe Boris Tadic aurait donc « livré » à la justice internationale afin de « tourner la page »…

La Serbie a changé de ton

La position serbe n’a pas toujours été celle-ci. Mladic n’est pas en Serbie, affirmait en 2004 le Premier ministre serbe de l’époque, Vojislav Kostunica. Belgrade ne coopère pas, dénonçait alors le TPIY. Depuis, le ton a changé. Le premier appel de Belgrade à la reddition ou l’arrestation de Mladic et Karadzic date de 2005. L’année suivante, les arrestations se multiplient, notamment des hommes soupçonnés d’aider Mladic, comme l’ex-colonel Stanko Ristic ou un officier à la retraite, Ratko Vucetic.

Le penchant pro-européen du Parti démocrate, désormais au pouvoir, et la pression de l’Union européenne ont sans doute joué pour déclencher son arrestation. Les Vingt-sept considéraient l’arrestation de Mladic comme un préalable sine qua non à toute discussion sur une candidature serbe à l’UE. Ce statut ne lui est cependant pas octroyé automatiquement: il reste notamment à résoudre la question épineuse de ses relations avec le Kosovo, et l’arrestation du dernier inculpé par le TPIY encore en liberté, Goran Hadzic.

Marie Simon, L’Express.fr

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire