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Comment Internet influence l’élection présidentielle française

Le Vif

Les fausses informations pullulent sur les réseaux sociaux. Là plus qu’ailleurs, tous les coups sont permis. Au point que, désormais, la présidentielle française se joue aussi sur la Toile.

Farid Fillon, l'ex-premier ministre grimé par la fachosphère pour avoir inauguré une mosquée.
Farid Fillon, l’ex-premier ministre grimé par la fachosphère pour avoir inauguré une mosquée.© DR

Au lendemain de sa victoire à la primaire de la droite, François Fillon reçoit l’un de ses anciens ministres.  » Sais-tu que pendant la dernière semaine de la campagne américaine, les vingt mesures qui ont fait le plus de bruit sur les réseaux sociaux étaient fausses ?  » l’interroge ce dernier. Le candidat des Républicains ne compte pas se laisser faire par ces nouveaux moyens de communication. Il avait déjà été offensif en la matière lors de son affrontement avec Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Au début de l’année, il se montrera précautionneux, communiquant avec ses proches avec des messages envoyés par WhatsApp plutôt que par sms, pour plus de confidentialité… Mais quand le ciel lui tombera sur la tête, ce sera de la manière la plus classique qui soit, à la suite d’un article d’un journal ayant fêté ses 100 ans en 2015, Le Canard enchaîné.

Il y a la campagne présidentielle visible par tous, à l’image du premier débat, le 20 mars, sur TF1. Et il y a l’autre campagne, parallèle parce que souterraine, dangereuse pour les candidats parce qu’incontrôlable par eux. Elle a déjà fait un grand blessé : Ali Juppé. Pardon, Alain Juppé. Arnaud Dassier s’en souvient encore. Cet ancien responsable de la campagne Internet de Nicolas Sarkozy en 2007 a rejoint, dix ans plus tard, le camp du maire de Bordeaux durant la primaire. Monté à bord de son taxi lors de son passage à Londres, en juillet 2016, le conseiller numérique profite de ce moment d’intimité pour dévoiler sa stratégie. Il s’agit de mettre sur pied une riposte pour contrer la campagne calomnieuse circulant sur les réseaux sociaux autour d’Ali Juppé.

Bilal Hamon : il s'agit de démontrer la proximité du candidat du PS avec l'islam...
Bilal Hamon : il s’agit de démontrer la proximité du candidat du PS avec l’islam…© DR

Dépeint par des sites d’extrême droite comme ayant fait allégeance à l’islam en autorisant l’ouverture d’une grande mosquée à Bordeaux, le maire est représenté barbu et vêtu d’un qamis ou léchant la babouche de l’islamologue Tariq Ramadan.  » J’ai démenti à la télévision vouloir bâtir cet établissement « , se contente de répondre Juppé, considérant ainsi mettre un point final à la polémique.  » Mais lorsque l’on est attaqué sur Internet, il faut répondre sur Internet et pas à la télévision. Et, surtout, le message doit être porté par d’autres personnes que soi « , estime Arnaud Dassier.

Pour ce faire, le chef d’entreprise compte alors réaliser une vidéo sur YouTube en se promenant dans les rues de Bordeaux et en demandant aux passants le chemin vers la grande mosquée… qui n’existe pas. La séquence humoristique n’a jamais vu le jour. Alain Juppé a perdu la primaire, rejetant en partie la faute sur cette intox.

François Fillon tout sourire, avec Marion Maréchal-Le Pen lors d'une Manif pour tous.
François Fillon tout sourire, avec Marion Maréchal-Le Pen lors d’une Manif pour tous.© DR

François Fillon a eu le temps de tirer des leçons de l’épisode. Grimé en Farid Fillon par la fachosphère pour avoir inauguré une mosquée à Argenteuil en 2010 à côté d’une petite fille portant le voile, l’ancien Premier ministre n’a pas voulu s’étendre sur le sujet à la télévision.  » Nous avons constaté que ce thème était fréquemment porté sur les réseaux sociaux par des comptes de personnes liées au Front national, précise Bruno Breton, dont la start-up Bloom a permis d’analyser les opinions et les influences véhiculées sur Internet. François Fillon n’a pas, lui, créé une caisse de résonance en l’évoquant sur les plateaux TV. Du coup, avec le temps, ce thème s’est essoufflé.  » Les mots clés BenHamon, BilalHamon ou SamirMacron circulent aussi sur Internet, pour chercher à démontrer la proximité du candidat du Parti socialiste ou celui d’En marche ! avec l’islam.

L’info fabriquée

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. François Fillon a également eu droit à une photo le mettant en scène, tout sourire, à côté de Marion Maréchal-Le Pen lors d’un défilé de la Manif pour tous. Le cliché, très partagé, est un faux. Comme celui de Jean-Luc Mélenchon arborant une Rolex au poignet, diffusé en avril 2016, obligeant le représentant du Front de gauche à démentir sur Internet :  » Je n’ai pas de Rolex et je n’en désire point. J’informe mes lecteurs que ce genre de rumeurs à mon sujet va se développer à mesure que je talonnerai Hollande et que je progresserai.  »

Emmanuel Macron soutenu par l'Arabie saoudite dans un article estampillé AFPsur Lesoir.info, site imitant le quotidien belge Le Soir.
Emmanuel Macron soutenu par l’Arabie saoudite dans un article estampillé AFPsur Lesoir.info, site imitant le quotidien belge Le Soir.© DR

Qu’est-ce qu’une information désormais ? Pas une indication véridique, ni même vraisemblable. Une simple fabrication. En janvier, le site en ligne Le vent se lève publie un article  » exclusif  » expliquant comment l’Elysée et le ministère français des Affaires étrangères organisent le déplacement d’Emmanuel Macron au Liban :  » Le président de la République, jusque-là réservé sur la question du candidat auquel il apporterait son soutien, a choisi son camp.  » L’information est reprise par le site RT France (ex-Russia Today), avec précaution, toutefois. L’équipe d’Emmanuel Macron dément aussitôt. En mars, c’est le site Lesoir.info (reprenant tous les codes du quotidien Le Soir) qui diffuse un article estampillé Agence France Presse sur le soutien de l’Arabie saoudite au leader d’En marche ! Le député bruxellois Philippe Close est cité, à tort, affirmant que Riyad va financer à hauteur de 30 % la campagne de l’ancien ministre de l’Economie. Relayée sur les réseaux sociaux, la fausse information est même reprise par Marion Maréchal-Le Pen, demandant la transparence sur son compte Twitter.

Cibler les indécis

A la désinformation s’ajoute parfois la manipulation

Google et Facebook, conscients de pouvoir être accusés de colporter tout et n’importe quoi, commencent à réagir. En France, le réseau social collabore avec huit titres de presse, dont L’Express. Les utilisateurs peuvent signaler de fausses informations auprès des médias partenaires afin qu’ils vérifient la véracité de ces contenus. Si deux d’entre eux estiment les informations fausses, elles seront signalées comme telles. Pourtant, outre-Rhin, le groupe de médias Axel Springer a refusé d’aider Facebook.  » Je considère que c’est une erreur fondamentale d’aider les réseaux sociaux à régler ce problème de crédibilité. […] Ce n’est pas notre rôle « , a estimé son dirigeant, Mathias Döpfner.

Jean-Luc Mélenchon cartonne sur sa chaîne YouTube où il peut parler à l'infini...
Jean-Luc Mélenchon cartonne sur sa chaîne YouTube où il peut parler à l’infini…© CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE

A la désinformation s’ajoute parfois la manipulation. Joli cocktail. L’achat de faux clics sur des vidéos ou des articles permet de  » tromper  » les algorithmes. Sur YouTube, 1 000 vues coûtent 3,96 dollars et, pour 25 000 vues, il faut débourser 89 dollars sur le site YouTube-Views. Les algorithmes cherchent à davantage exposer les internautes à ces contenus qui semblent plaire. Guillaume Chaslot, ancien ingénieur chez Google, constate, au début de mars, qu’en partant d’une requête sur  » Macron « , YouTube recommande en deuxième position une vidéo sur  » Ferme ta gueule Macron ! « , suivie de  » L’homme qui envoûte la France « . Avec une recherche sur  » Fillon « , le site recommandait  » Haro sur les fonctionnaires « , et six autres contenus liés… à Marine Le Pen ou à ses proches. Chaslot, qui travaille maintenant dans l’association Data for good, cherche à mettre sur pied un  » observatoire des algorithmes  » avec le soutien de partenaires institutionnels.

Ali Juppé : le maire de Bordeaux barbu et vêtu d'un qamis. Il aurait voulu ouvrir une mosquée.
Ali Juppé : le maire de Bordeaux barbu et vêtu d’un qamis. Il aurait voulu ouvrir une mosquée.© DR

Puisque les réseaux sociaux apportent le pire, essayons d’exploiter aussi le meilleur. Les candidats ont saisi la balle au bond. La présidentielle est la rencontre entre un homme et le peuple ? Chiche ! Supprimons ce qui ressemble de près ou de loin à des intermédiaires. Jean-Luc Mélenchon cartonne avec sa chaîne sur YouTube, où il peut parler aussi longtemps qu’il en a envie – donc très longtemps. François Fillon cartonne avec ses vidéos : son allocution diffusée le 3 mars, deux jours avant le rassemblement du Trocadéro, est vue près de 1,2 million de fois sur Facebook.  » La réussite de cette manifestation montée en quatre jours n’aurait pas été possible sans les réseaux sociaux « , remarque Gautier Guignard, responsable de sa campagne digitale. Les sympathisants qui figurent dans les fichiers d’Emmanuel Macron reçoivent chaque jour un mail qui développe, sous la photo d’une tasse de café,  » la petite idée du matin « .

L’influence éventuelle du Net sur les indécis est également surveillée avec attention par les différentes équipes. L’enjeu est de taille pour cette élection d’un genre particulier. Selon le dernier sondage Ipsos pour le Cevipof et Le Monde, réalisée les 14 et 15 mars auprès de 11 990 personnes, à peine 66 % des sondés ont l’intention d’aller voter ; parmi eux, 41 % disent pouvoir encore changer d’avis – une proportion considérable. Cibler ces indécis devient plus que jamais central.  » Le plus important est de trouver les influenceurs sur certains types de sujets, puis d’identifier au sein de leur communauté des connecteurs, c’est-à-dire des personnes reliant plusieurs communautés entre elles, explique Bruno Breton. Ce sont ces gens-là qu’il s’agit de toucher, afin qu’ils diffusent des informations sur Facebook ou Twitter.  » Ici, la bataille d’influence durera jusqu’à la dernière seconde, au-delà même de la fin de la campagne officielle – puisqu’il n’y a plus de règle qui vaille.

Glossaire 2.0

Fake news Littéralement, fausses nouvelles. Le terme a été remis au goût du jour par Donald Trump qui, pendant la campagne américaine, disqualifiait ainsi les révélations des journalistes. Plus tard, le nouveau président ou ses proches ont popularisé « post-truth », qui fait de la vérité une opinion comme une autre, et « alternative facts », cette réalité parallèle relayée, notamment, par les réseaux sociaux.

Fermes de trolls Dans ces brigades de désinformateurs militants ou salariés naît une partie des « hoaxes », ces bobards, parfois parodiques, qui tournent en boucle sur Internet. Elles sont aussi chargées d’y prendre d’assaut les espaces de débat, forums de discussion ou pages de commentaires. Grande spécialité de la Russie de Poutine, qui n’a pas oublié ce qu’il doit à l’art de la propagande soviétique.

Faire le buzz C’est le Graal de tout troll qui se respecte. Utiliser le pouvoir de contagion virale du Web pour diffuser, faire rebondir et, si possible, enfler, voire se déformer, une « info » plus ou moins avérée.

Hackers Utiles ou nuisibles. Côté sombre (black hat), ils piratent, détruisent, menacent, espionnent, manipulent. Ce sont des brigands. Depuis quelques années, ils affichent des motivations idéologiques, voire diplomatiques, dont profitent les gouvernements qui les instrumentalisent.

Éric Mettout.

Par Éric Mandonnet et Emmanuel Paquette.

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