© Reuters

Closer côté cuisines

Le Vif

On lui doit le « Gayetgate ». Lancé en France il y a un peu plus de huit ans, ce magazine battant pavillon italien collectionne les Unes « people » sur les politiques. Gros plan sur des méthodes qui ont fini par emporter la digue entre vie privée et vie publique.

D’aucuns auraient sabré le champagne en découvrant, le 25 janvier à 18 h 50, la dépêche AFP officialisant la rupture entre François Hollande et Valérie Trierweiler. Laurence Pieau, elle, a sobrement esquissé un sourire de Joconde : sous le feu des critiques depuis plusieurs semaines, celle qui dirige depuis huit ans, avec témérité et un flegme déconcertant, la rédaction de Closer prend alors conscience que cette simple photo de François Hollande, volée au bas d’un immeuble de la rue du Cirque, dans le VIIIe arrondissement de Paris, et publiée dans ses colonnes le 10 janvier, a eu raison du couple élyséen – au moins de la stratégie du secret du président. Une première dans les annales de la Ve République.

Seize jours ont donc suffi pour transformer une « paparazzade » en affaire d’Etat. Et un magazine people aux réflexes de tabloïd anglo-saxon en pionnier de la transparence. Dans ses bureaux de Montrouge, à deux pas du périphérique parisien, Laurence Pieau savoure : 1,6 million d’exemplaires de son magazine se sont arrachés en trois numéros. Les compliments flatteurs de quelques patrons de presse achèvent de la plonger dans la félicité.

C’est en juin 2005 que cette quadragénaire, passée par Le Figaro Magazine et Voici, lance, à la demande du groupe de presse britannique Emap, une version française de Closer. En août 2006, le magazine est revendu à l’italien Mondadori et la nouvelle feuille de route est sans ambiguïté : « Fabriquer un hebdomadaire qui mette en scène la vie ordinaire de gens extraordinaires. En ne s’interdisant rien et en n’épargnant personne », résume celle qui n’a eu besoin que d’un simple coup de téléphone à Ernesto Mauri, président de Mondadori France, pour obtenir le feu vert de sa maison mère quant à la publication des fameuses photos du chef de l’Etat rejoignant à scooter sa nouvelle compagne, Julie Gayet. Face à l’un de ses amis français, éditeur, qui lui demandait s’il avait hésité, ce patron de presse italien a explosé de rire : « Mais tu es fou, pas le moins du monde, cette histoire est trop drôle ! » De même, les 100 000 euros déboursés pour l’achat de ces clichés n’ont été qu’une formalité. Différence de culture et pragmatisme à toute épreuve : Closer jouit d’une liberté de manoeuvre qu’aucun titre français ne peut aujourd’hui revendiquer.

Mais que s’est-il passé pour que la presse people décide de s’emparer de la vie privée de politiques, ramenés au rang de simples vedettes de la télé-réalité ? Plusieurs raisons expliquent ce virage – et d’abord l’érosion croissante des ventes dans cette famille de titres, en chute de 10 % chaque année. Mais aussi l’explosion du « people » sur Internet, où un site bien nommé, Purepeople, s’est imposé. « Et l’absence flagrante de stars, françaises ou étrangères, susceptibles de faire vendre du papier », complète Laurence Pieau, qui se souvient de sa toute première incursion, en 2006, sur le terrain vierge de la politique. Elle porte alors en Une du journal une photo de Ségolène Royal en maillot de bain sur une plage, le tout accompagné d’un titre cavalier : « Et dire qu’elle a 53 ans ! » Closer écoule 700 000 exemplaires de ce numéro qui fait date.

Une digue vient de céder, mais personne dans la profession, hors Closer, ne prend la mesure du filon mis au jour. L’hebdomadaire profite de sa longueur d’avance et multiplie, à un rythme soutenu, les Unes « politiques » : les premières photos de François Hollande et Valérie Trierweiler (achetées 150 000 euros), débusqués sur une plage marocaine, près de Tanger ; l’escapade de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni déambulant, en décembre 2007, dans les allées de Disneyland ; les premières révélations sur l’implication de DSK dans le dossier « Dodo la Saumure » ; ou encore la séparation du couple Strauss-Kahn – Sinclair, dévoilée quelques semaines plus tard.

Malgré son image « trash », la publicité est au rendez-vous

En huit années de traque, seules les photos de Nicolas Sarkozy en compagnie de la journaliste du Figaro Anne Fulda, shootées en 2005 au bas de l’immeuble de la jeune femme, à Paris, ont échappé à Closer, au « regret » confessé de sa directrice. D’abord destinées à VSD (pour un montant de 80 000 euros), elles ne seront jamais publiées. Alerté par le patron de cet hebdo- madaire, l’un des fidèles de Nicolas Sarkozy, Pierre Charon, fait alors pression pour qu’elles ne sortent pas. Ni dans VSD ni ailleurs. Quant aux deux photographes auteurs de ces clichés, ils subissent, quelques mois plus tard, un contrôle fiscal approfondi…

Une trentaine de journalistes composent aujourd’hui la rédaction de Closer, entreprise rentable depuis 2007, que le marché publicitaire n’a jamais lâché, malgré son image « trash ». Paris Match, à l’inverse, a dû lever le pied sur les sujets mettant en cause l’intimité des politiques. A la suite de la publication, en août 2005, des photos de Cécilia Sarkozy et de Richard Attias, quelques gros annonceurs menacent de le boycotter. « C’est parce que nous sommes devenus référents dans ce domaine que nous n’avons jamais été inquiétés », affirme Pieau, qui se referme comme une huître dès que l’on aborde les coulisses et secrets de fabrication de son journal. Car si Closer reste une PME, cette machine à mettre à nu l’intimité de personnalités de tout rang et de tout milieu dispose de relais efficaces.

Les photographes du magazine, des snipers triés sur le volet

Le premier d’entre eux s’appelle Michèle Marchand. Levée à l’aube, sur le pont dix-huit heures par jour, la soixantaine tonique, cette ancienne collaboratrice de Voici et grande prêtresse du métier a, depuis plus de trente ans, l’oeil partout. Disposant d’un carnet d’adresses inégalé dans la profession, « Mimi », comme on la surnomme, est aujourd’hui la source majeure d’un grand nombre de magazines. Et, en premier lieu, de Closer, dont elle connaît chaque semaine le déroulé bien avant le bouclage.

Et pour cause ! A l’origine du site Purepeople et de son succès – le financier et patron de Fimalac Marc Ladreit de Lacharrière l’a racheté en 2013 -, Michèle Marchand est à présent à la tête de Bestimage, une agence photo qui est une véritable écurie de paparazzis. Familière du Tout-Paris – d’Isabelle Adjani à Laeticia Hallyday, de Rachida Dati à Valérie Trierweiler -, elle a fait mettre, en juin 2010, la célèbre escort girl Zahia en couverture de Paris Match. Elle a aussi organisé, à la demande de Rachida Dati, une fausse « paparazzade », débouchant sur la publication dans Closer, en mars 2013, d’une photo la montrant au bras de l’acteur Vincent Lindon ! C’est elle encore qui est à l’origine des premiers clichés de l’ex-première dame et de François Hollande, pris au Maroc par un photographe que seuls Michèle Marchand et quelques initiés connaissaient.

Aussi, beaucoup se sont étonnés de découvrir dans les médias le nom et le visage de Sébastien Valiela, proclamé auteur des photos prises rue du Cirque, alors que la règle veut que l’identité d’un paparazzo demeure secrète. La mise en avant de ce reporter qui a signé, avec Pierre Suu, des photos de Mazarine Pingeot-Mitterrand en 1994, a permis à Michèle Marchand de protéger un anonymat requis…

Pour s’imposer sur le marché puis y conquérir de tels galons, Laurence Pieau s’est aussi inspirée des méthodes de celui qui fit la renommée de Paris Match, Roger Thérond. Baptisé « l’oeil », pour son sens de l’image, il avait installé, au milieu des années 1980, une cellule de sept photographes mis en concurrence et placés sous l’autorité d’une autre figure de l’hebdomadaire, Jean Durieux : cette meute fit les beaux jours du titre fondé par Daniel Filipacchi.

Trente ans après, la directrice de Closer semble avoir reproduit les méthodes du maître et assure les fins de mois d’un petit cercle de snipers triés sur le volet, rescapés d’une profession fauchée par la crise et donc prêts à tout pour ne pas disparaître.

La séquence Trierweiler refermée, François Hollande, seul, est désormais dans le viseur. Au publicitaire Jacques Séguéla qui, un jour de l’automne 2007, lui demanda pourquoi il semblait d’humeur si noire, Nicolas Sarkozy répondit, explosant de colère : « Mais regarde-moi ! Nous sommes dimanche, ce palais est désert. Je suis là à tourner en rond et à regarder la télé, comme un con ! Il suffit que j’invite une nana à déjeuner pour que des photos sortent dans la presse. Et que l’on dise que c’est ma nouvelle maîtresse ! » Sept ans plus tard, un autre président, campé par les Guignols de l’info de Canal + en « serial lover », hante ce même lieu : célibataire, vraiment ?… Du pain bénit, en tout cas, pour une presse à l’affût, emmenée désormais par un hebdomadaire que le « Gayetgate » a définitivement émancipé. Et que rien ne semble pouvoir arrêter.

Par Renaud Revel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire