Les frappes du 14 avril sur Damas et Homs ont visé des infrastructures liées à l'armement chimique syrien. Une réponse proportionnée, selon les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, à l'attaque de Douma par le régime syrien. © Hassan Ammar/isopix

Cinq questions qui restent en suspens après les frappes occidentales en Syrie

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les frappes menées par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni contre l’arsenal chimique de Bachar al-Assad n’ont pas écorné la suprématie de Vladimir Poutine. Le pousseront-elles à élargir le champ des négociations ?

Promises après l’utilisation présumée d’armes chimiques à Douma le 7 avril, les frappes menées par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont visé des infrastructures de production et de stockage de ce type d’armement en prenant soin d’éviter des dommages collatéraux sur les forces russes et iraniennes. Tout a été mis en oeuvre pour éviter une escalade et restaurer un semblant de crédibilité aux puissances occidentales. Mission accomplie ? Revue des questions qui restent en suspens sur cette opération.

L’utilisation des armes chimiques par le régime syrien à Douma est-elle avérée ?

Américains, Français et Britanniques ont assuré détenir les preuves que l’attaque aux agents chimiques, le 7 avril, contre la localité de Douma, à l’est de Damas (de 50 à 150 morts), était le fait du régime syrien. Leurs détracteurs ont regretté qu’ils n’aient pas attendu les résultats de la mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) dépêchée sur place avant de mener d’éventuelles représailles. Le modus operandi de l’attaque inscrite dans le cadre de la reconquête de la Ghouta orientale, qui a d’ailleurs poussé au départ des derniers rebelles le lendemain, incline à désigner l’armée syrienne comme responsable, notamment en raison de la nécessité de disposer de moyens aériens, en l’occurrence des hélicoptères. La Russie avance la thèse d’une mise en scène orchestrée par les casques blancs syriens, corps de secouristes. La publicité des preuves par lesquelles les puissances occidentales justifient leur opération aiderait à se faire une opinion définitive. A défaut, un – léger – doute subsiste.

Vladimir Poutine était le garant de l'application de l'accord sur le désarmement chimique syrien de 2013. Pris en défaut mais pas fragilisé pour autant.
Vladimir Poutine était le garant de l’application de l’accord sur le désarmement chimique syrien de 2013. Pris en défaut mais pas fragilisé pour autant.© Maxim Shemetov/reuters

Les frappes américano-franco-britanniques étaient-elles légales ?

Elles n’étaient pas couvertes par un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU. Un veto russe ne les aurait pas permises. Elles n’étaient donc pas légales en regard du droit international qui stipule que, hors cet aval, seules une demande expresse de l’Etat concerné ou une menace directe sur la sécurité des pays à la manoeuvre justifient une opération. Néanmoins, la référence à la résolution 2118 du Conseil de sécurité ébranle ces certitudes. Elle avait été adoptée le 27 septembre 2013 après un accord entre Américains et Russes pour éviter une autre intervention après un usage présumé d’armes chimiques par Damas, la fameuse  » ligne rouge  » que Barack Obama avait fixée un an plus tôt. Dans son article 21, celle-ci  » décide qu’en cas de non-respect de la présente résolution, y compris le transfert non autorisé ou d’emploi d’armes chimiques par quiconque en République arabe syrienne, il (NDLR : le Conseil de sécurité) imposera des mesures en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies « . Là aussi, une action aurait nécessité un feu vert des membres permanents du Conseil de sécurité.  » Il réaffirme que c’est à lui de décider, pas aux Etats membres agissant individuellement « , appuie Olivier Corten, professeur de droit international à l’ULB.  » En somme, on est face au même cas de figure que celui qui avait prévalu dans le cas de la guerre contre l’Irak. Les Etats-Unis invoquaient ce type d’arguments, qui avaient été rejetés par une énorme majorité d’Etats, en particulier la France.  »

La Russie, parce qu’elle est garante de l’accord de 2013 et du désarmement chimique complet de son allié, est tout de même fragilisée dans sa dénonciation des bombardements du 14 avril. Il n’en reste pas moins que le président français Emmanuel Macron, à contre-emploi du Jacques Chirac de 2003, commet un abus de pouvoir en assimilant les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France à  » la communauté internationale  » et en y puisant une légitimité pour sa politique étrangère.

En trois ans à peine, Vladimir Poutine a réussi à s’imposer comme un acteur incontournable au Moyen-Orient

Américains, Français et Britanniques sont-ils fondés à clamer « mission accomplie » ?

Les 105 missiles tirés dans la nuit syrienne ont détruit un centre de recherche à Barzeh, dans la capitale, une usine de stockage à Hin Sinshar, près de Homs, et un bunker dans la même zone. Même en ne considérant que l’objectif strictement tactique revendiqué par les trois puissances occidentales, il serait hasardeux de décréter la  » mission accomplie « . Le caractère prévisible de l’opération, le délai dans sa mise en oeuvre et la possibilité laissée de déplacer des stocks d’armes font douter que la faculté de recours à l’arme chimique par le régime de Bachar al-Assad ait été neutralisée ou sévèrement amoindrie. Au moins les précautions prises pour ne pas faire de victimes civiles et pour éviter une confrontation directe avec les forces russes ou iraniennes sur place autorisent les dirigeants occidentaux à prétendre qu’elle n’a pas ajouté  » de la guerre à la guerre « . Au-delà des rodomontades de circonstance des dirigeants syriens, russes ou iraniens, la possibilité d’un retour de la diplomatie n’est pas irrémédiablement hypothéquée.

Les frappes peuvent-elles relancer le dialogue ?

L’objectif politique à peine avoué de l’opération américano-franco-britannique est de restaurer une crédibilité particulièrement malmenée ces dernières années dans la région aux yeux tant des rivaux que des alliés des puissances concernées. A cet égard, la lutte contre la prolifération des armements chimiques peut constituer un habile vecteur pour y parvenir. Elle fait consensus dans le monde. La Convention sur l’interdiction des armes chimiques a été ratifiée par quasi tous les Etats de la planète (192, hors la Corée du Nord, l’Egypte et le Soudan du Sud, Israël l’ayant signée mais pas ratifiée). Leur usage horrifie légitimement. Et le régime de Damas est soupçonné d’y avoir eu recours à quelque 80 reprises depuis le début de la guerre.

La restauration progressive d’une crédibilité autorise-t-elle pour autant à retrouver voix au chapitre dans les négociations sur l’avenir de la Syrie ? Emmanuel Macron veut y croire, lui qui espère profiter de cette  » fenêtre d’opportunité  » pour convaincre Vladimir Poutine de réintégrer les Occidentaux dans la recherche d’une  » solution inclusive  » au conflit – il a maintenu sa visite au Forum économique de Saint-Pétersbourg les 24 et 25 mai – et pour jouer le médiateur entre ce dernier et le président Trump, qu’il rencontrera aux Etats-Unis, du 23 au 25 avril. La partie est pourtant loin d’être gagnée parce que la Russie reste en position de force hyperdominante sur les terrains militaire et diplomatique et parce que, dans le même temps, les Etats-Unis multiplient les atermoiements, annonçant un retrait des troupes un jour, leur maintien le lendemain.

Sorti vainqueur de la guerre, il doit beaucoup à ses alliés russes et iraniens : Bachar al-Assad est devenu le vassal de ses protecteurs.
Sorti vainqueur de la guerre, il doit beaucoup à ses alliés russes et iraniens : Bachar al-Assad est devenu le vassal de ses protecteurs.© Chris Huby/belgaimage

Pourquoi la Russie reste-t-elle l’acteur incontournable de la résolution du conflit ?

Hors l’impact limité de la démonstration de force symbolique assénée par ses rivaux, la Russie n’est guère fragilisée par l’opération américano-franco-britannique. Elle pourrait même y trouver matière à dividende dans ses efforts, parfois peu fructueux, pour faire entendre raison à un allié, Bachar al-Assad, qui ne répond pas toujours à ses attentes. Ancienne membre du Conseil national syrien, groupe d’opposition qu’elle a quitté en raison de sa dérive islamiste, Randa Kassis voit désormais la Russie comme  » le seul pays capable de stabiliser la Syrie « . Avec quels arguments ? Son rôle historique de protecteur des chrétiens d’Orient comme son poste d’observatrice auprès de l’Organisation de la coopération islamique en vertu de la présence d’une forte communauté musulmane sur son territoire, son absence de passé colonial comme l’alternative qu’elle offre à la domination occidentale… Bref, résume Randa Kassis dans son récent livre La Syrie et le retour de la Russie (éd. des Syrtes, 311 p.),  » Moscou est capable de peser et d’émettre des propositions aussi bien auprès des Occidentaux, de la Turquie d’Erdogan, de l’Egypte d’al-Sissi, que de la Ligue des Etats arabes, de l’Arabie saoudite, du Qatar, de l’Iran ou même des milices chiites comme le Hezbollah, sans oublier les forces kurdes syriennes et irakiennes « . En trois ans à peine, Vladimir Poutine a réussi à s’imposer comme un acteur incontournable au Moyen-Orient là où les Occidentaux ont vu leur influence désespérément décliner.

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