Donald Trump © REUTERS

« Ceux qui pensent que les populistes plongent leur pays dans le chaos ont souvent tort »

Peter Casteels
Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Brésil, Inde, Indonésie et États-Unis : les populistes dirigent aujourd’hui les quatre plus grandes démocraties du monde. En Europe aussi, ils apparaissent partout. Comment s’en tirent-ils quand ils sont au pouvoir ? Le politologue germano-américain, Yascha Mounk, s’est posé la question.

Depuis son livre The People vs Democracy, publié l’année dernière, le politologue de Harvard Yascha Mounk est considéré dans le monde entier comme l’un des experts de l’état de la démocratie. Sa nouvelle contribution au débat est une première scientifique : avec Jordan Kyle (Tony Blair Institute for Global Change), il a identifié 46 dirigeants populistes ayant été au pouvoir dans 33 pays démocratiques depuis 1990, et a posé la question : quel impact ont-ils eu sur la démocratie et ses institutions ?

Comment avez-vous défini le populisme ?

Au niveau du contenu, il peut y avoir de grandes différences entre les populistes, mais ils prétendent tous faire entendre la voix du peuple. C’est eux et eux seuls qui le font. Quiconque n’est pas d’accord ne peut plus revendiquer le pouvoir. Cette revendication exclusive est au coeur du populisme.

Même si les populistes n’obtiennent pas la majorité et adoptent un langage raciste, ils sont souvent considérés comme les véritables représentants des masses.

Ils ne le sont évidemment pas. La grande majorité de leurs électeurs sont insatisfaits et en colère, et souvent à juste titre, mais cela n’en fait pas des racistes. D’autre part, il y a toujours le danger que les populistes ne soient pas pris suffisamment au sérieux. Les politiciens européens semblent toujours penser : ce qui s’est passé aux États-Unis ou en Turquie ne nous arrivera jamais.

La conclusion la plus surprenante de votre recherche est la suivante : alors que d’autres politiciens restent en poste trois ans en moyenne, les populistes tiennent 6,5 ans. Les gouvernements populistes sont-ils plus stables qu’on ne le pense ?

Ceux qui pensent que les populistes plongent leur pays dans le chaos ont souvent tort. Qui aurait cru, en 2016, que Donald Trump tiendrait plus de deux ans ? Ou prenez le gouvernement italien de la Lega et du Mouvement cinq étoiles : il est aussi stable que tous ses prédécesseurs. Au début, de nombreux électeurs offrent le bénéfice du doute aux populistes qui promettent des changements. Mais pour rester au pouvoir, ils modifient le système. La télévision d’État ne peut que véhiculer une image positive, on complique la vie des journalistes critiques, et les populistes réécrivent simplement la loi électorale en leur faveur. Du coup, il n’est pas surprenant de rester longtemps à son poste.

Les populistes érodent les institutions démocratiques, concluez-vous.

Sur les indices des démocraties du monde entier, 23% d’entre elles faiblissent sous un régime populiste, alors que sinon ce chiffre ne s’élève qu’à 6%. Le risque que les populistes érodent la démocratie est donc quatre fois plus grand que quand d’autres politiciens sont au pouvoir. Ils arrivent souvent au pouvoir en promettant de s’attaquer à la corruption, mais ils ne tiennent pas cette promesse. L’indépendance de la justice, la liberté de la presse, la liberté d’association et même des élections justes: tout cela peut être mis sous pression. On le constate aujourd’hui en Italie, mais aussi en Hongrie et en Turquie. Donald Trump a également promis d’éjecter les lobbyistes de Washington, alors qu’il a déjà nommé plus de membres de son gouvernement que tous ses prédécesseurs.

La politologue belge Chantal Mouffe croit au pouvoir des populistes de gauche. Selon vos recherches, ils sont aussi menaçants que leurs homologues de droite.

Pendant longtemps, Mouffe a même vu au Venezuela un exemple de pays où les populistes de gauche pouvaient insuffler un nouveau souffle à la démocratie. Mais même leur promesse de s’attaquer à la pauvreté n’a pas été tenue : aujourd’hui, le Venezuela est le seul pays de l’hémisphère occidental où les gens meurent de faim.

Que devraient faire les autres politiciens des populistes ? Gouverner avec eux, comme le chrétien-démocrate Sebastian Kurz en Autriche le fait avec le FPÖ ? Ou les garder dans l’opposition le plus longtemps possible?

Attention, en termes de contenu, il n’y a pas de spectre où les politiciens raisonnables représentent un extrême et où les populistes représentent l’autre. Lors de la dernière élection présidentielle américaine, les électeurs ont été confrontés à un tel dilemme entre les défenseurs du statu quo et un extrémiste comme Donald Trump, qu’ils ont choisi l’extrémiste. Des politiciens qui font des propositions radicales tout en soutenant nos valeurs démocratiques : voilà dont ce nous avons besoin. Malheureusement, on voit très peu de politiciens de ce genre.

Sur le plan stratégique, c’est une autre histoire. Il est prouvé scientifiquement que les populistes perdent leur attrait en tant que petits partenaires d’une coalition au sein d’un gouvernement et qu’ils sont forcés d’adopter une politique raisonnable. S’ils sont le principal partenaire de la coalition, il y a de bonnes chances qu’ils dominent le débat politique et en ressortent plus forts. Mais il est trop tôt pour dire ce qui se passera en Autriche, par exemple. Je ne peux que constater que les médias indépendants, les tribunaux et même les services de sécurité subissent déjà des pressions politiques. Cela me préoccupe beaucoup. Il faut parfois attendre jusqu’à trois ou quatre ans avant de voir un pays déraper, mais c’est déjà le cas en Autriche.

Je suis également très préoccupé par l’Italie. C’est l’un des membres fondateurs de l’Union européenne, mais le gouvernement s’attaque déjà à des institutions importantes telles que la justice.

Pendant la crise des réfugiés, de nombreux politiciens européens ont glissé vers la droite lorsqu’ils ont vu des populistes de droite faire de gros profits. Était-ce intelligent?

Tant que les politiciens copieront aveuglément le programme populiste juste pour reconquérir leurs électeurs, ils n’iront pas loin. Mais bien sûr, il faut prendre les préoccupations des gens au sérieux. Je suis moi-même plutôt de gauche, mais je me réjouis qu’il y ait à droite des hommes politiques sains et conservateurs qui critiquent l’immigration sans racisme et sans attaquer la démocratie. Ils peuvent convaincre les électeurs qui sinon voteraient peut-être pour les populistes.

Récemment, vous avez écrit un long papier dans le journal The New Yorker sur la montée de la droite radicale en Allemagne, où vous avez grandi. À la fin, vous avez avoué sentir une lueur d’optimisme. Cela s’applique-t-il à l’ensemble de l’Europe?

La plupart des Allemands ne sont pas racistes non plus. Je crois même qu’ils embrassent la société multiculturelle. Mais ils veulent que la loi soit respectée. En Allemagne, des erreurs choquantes ont été commises : sur la minorité de réfugiés qui viennent ici et commettent des actes criminels, certains n’ont pas été punis. C’est évidemment quelque chose que les gens n’acceptent pas.

Je ne veux pas être fataliste. Le populisme représente un grand danger pour notre démocratie, mais comme le montrent également nos recherches, il y a suffisamment de pays où la démocratie survit au populisme.

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