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Ces riches Américains qui cherchent à déstabiliser l’Europe

Muriel Lefevre

Dans la guerre sournoise de la désinformation et de l’ingérence, il n’y a pas que les Russes qui envoient leurs soldats en ligne. Certains milliardaires américains placent aussi leurs pions pour déstabiliser l’Union européenne et promouvoir des idées d’extrêmes droites.

Il existe aux États-Unis un groupe de milliardaires qui sont les principaux bailleurs de fonds de ce qu’on appelle l’alt-right, soit l’aile très à droite du parti républicain qui largement contribué à l’élection de Trump.

Mais ce groupuscule d’ultra-riche n’est pas seulement actif sur le territoire américain, révèle le quotidien Le Monde: « Ils ont aussi soutenu des campagnes de diffusion de fausses informations dans plusieurs pays de l’Union européenne. Contrairement aux agents de l’Internet Research Agency – l’organisation russe de propagande en ligne -, ces hommes d’affaires ne disposent pas d’équipes nombreuses ni d’armées de faux comptes sur Twitter ou Facebook. Mais leur argent leur permet de financer de petits groupes d’activistes et des entreprises de communication spécialisées, dont l’action est ensuite démultipliée en ligne par l’achat de publicités sur les réseaux sociaux pour diffuser leur message. »

Les Mercer et les frères Koch

Parmi ces milliardaires, on retrouve les Mercer, codirigeant du fonds d’investissement Renaissance Technologies qui génère des profits à rendre jaloux Warren Buffett et George Soros et qui ont contribué à l’avènement de Donald Trump par ses dons. Car si Steve Bannon a pu, un temps, croire qu’il était l’homme qui avait propulsé Trump au pouvoir, il a oublié un peu vite que le vrai pouvoir se situe chez ceux et celles qui détiennent les cordons de la bourse. Aux commandes, on retrouve donc les Mercer, soit un père et sa fille. Depuis 2010, et un décret de la Cour suprême, les plus riches peuvent peser de tout leur poids dans la campagne grâce à des « superpacs ». Et la famille ne va pas s’en priver.

Robert Mercer et sa fille
Robert Mercer et sa fille © DR

Avec comme axe central une haine viscérale envers toute intervention étatique et l’establishment politique. « Robert croit que les êtres humains n’ont pas d’autre valeur intrinsèque que le montant d’argent qu’ils gagnent », a déclaré l’un de ses collègues de façon anonyme au New Yorker. Qu’importe donc que les inégalités aient augmenté en flèche ces 20 dernières années aux États-Unis, la famille pense que les pauvres sont encore trop mis dans l’ouate et les riches trop punis à travers les taxes. « La faute aux leaders politiques qui ne sont que des vauriens et qui ont ruiné le pays ». La famille, et Renaissance Technologies, aurait donné pas moins de 23,7 millions de dollars aux différentes campagnes des républicains en 2016. Rebekah, et Bannon, envisagent, bien avant que Trump lui-même ne le fasse, qu’il serait le candidat parfait pour leur soulèvement anti-establishment. Autre cheval de bataille familial : la suprématie blanche.

Lire: Les Mercer, cette richissime famille derrière la « révolution Trump »

Dans la lutte pour une hégémonie culturelle façon Gramsci, l’un des principaux mouvements stratégiques a été d’investir dans le site de Breitbart à partir de 2011. Ils ont injecté pas moins de 10 millions de dollars dans ce fer de lance de l’alt-right. Lorsque Andrew Breitbart décède, les Mercer placent Bannon aux commandes. Il doit faire du site le pendant à droite du Huffington Post. Breitbart a largement bénéficié de la campagne présidentielle et de l’émergence de Donald Trump, qui ont porté son trafic mensuel de 30 millions d’utilisateurs en mars 2016 à 81millions en décembre 2017, selon les données des sites spécialisés Alexa et SimilarWeb. Il dépasse aujourd’hui largement des sites comme Politico ou The Atlantic, références du journalisme politique en ligne, porté par un mélange d’informations choisies pour alimenter les vues d’un lectorat ultra-conservateur et des billets d’opinion très marqués à droite.

Les Mercer ne sont pas les seuls. Les frères Koch, des industriels milliardaires et conservateurs, sont d’autres généreux donateurs et ont une influence notable sur la politique américaine.

Les frères Koch
Les frères Koch © AFP

A travers l’Americans for Prosperity (AFP), une organisation peu connue et financée par des gens immensément riches, ils ont poussé la politique américaine vers la droite. En se rassemblant en collectifs qui regroupent de grands donateurs, des centaines de milliardaires et de millionnaires investissent de façon concertée pour modifier les cartes des élections américaines, mais aussi ailleurs dans le Monde. C’est beaucoup plus efficace que des contributions ponctuelles et dispersées à des politiciens en particulier.

Pas que les USA

Ces riches Américains ne limitent pas leur force de frappe aux États-Unis. Selon Le monde, ils auraient aussi cherché à s’immiscer ailleurs en Europe. Les Mercer financent notamment « l’institut Gatestone, un think tank néoconservateur orienté vers l’Europe, qui publie des articles dans de nombreuses langues, dont le français. Mais aussi le média canadien The Rebel, qui s’intéresse beaucoup à l’actualité du Vieux Continent », peut-on lire dans Le Monde. La ligne éditoriale du site, qui a à sa tête Ezra Levant, est proche du site Breitbart News, soit très à droite. Pour eux l’Europe est sur le point de s’effondrer à cause de l’immigration. Le site aurait, par exemple largement contribué à la diffusion des  » MacronLeaks  » peu avant le deuxième tour des présidentielles Françaises, soit des e-mails volés à plusieurs membres de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron. Il relaye aussi des vidéos particulièrement sensationnalistes sur les gilets jaunes.

Ce site n’aurait pas que les Mercer comme sponsor. « Le milliardaire Robert Shillman, qui a fait fortune dans les machines-outils avec sa société Cognex, a contribué à payer les salaires de journalistes du site. M. Shillman finance de très nombreux projets anti-islam, dont le centre Horowitz, décrit par l’organisation de lutte contre la haine SPLA comme la source » d’un réseau de projets donnant aux voix antimusulmanes et aux idéologies les plus radicales une plate-forme pour diffuser la haine et la désinformation », précise Le Monde. Il est aussi un important soutien du chef de file d’extrême droite Geert Wilders. L’extrême droite américaine, qui voit dans les Pays-Bas un terrain de lutte privilégié, y finance d’ailleurs divers canaux de propagande politique comme des films ou des sites anglophones d’actualité  » branchée  » ou des blogs « politiquement incorrects ». Il arrive aussi à la droite américaine de payer les frais de justice de certains militants d’extrême droite. Par exemple à travers le think tank Middle East Forum, dont les frères Koch sont les principaux contributeurs.

Autre exemple: Caolan Robertson. Ce jeune militant de l’alt-right s’est imposé subitement dans les fils Facebook de milliers d’internautes lors de la campagne contre l’avortement en Irlande. « En quelques semaines, la vidéo a été vue plus d’un million de fois – dans un pays de 4 millions d’habitants », peut-on lire dans Le Monde. « Face au tollé suscité en Irlande par les nombreuses campagnes financées par des groupes étrangers et notamment américains, Facebook avait annoncé bloquer toutes les » publicités étrangères « et promis de publier les données liées à ces publicités.

Le cas d’Harris Media

Le soutien ne se cantonne pas seulement aux militants et aux mouvements politiques. Ils se sont aussi intéressés aux entreprises spécialisées dans la communication politique. Les Mercer ont, par exemple, investi dans Cambridge Analytica. « Enregistrée au Delaware (États-Unis), mais avec l’essentiel de ses salariés à Londres, cette filiale de l’entreprise britannique SCL est spécialisée dans les campagnes électorales sur Internet. Elle affirme posséder pas moins de 5 000 données par individu pour 220 millions d’Américains : de quoi pouvoir cibler au plus près des sous-catégories d’électeurs, avec des publicités personnalisées, pour influencer les scrutins » précise Le Monde.

Ces riches Américains qui cherchent à déstabiliser l'Europe
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En effet, une étude a démontré qu’à partir de 10 « likes sur Facebook », un ordinateur comprend le profil psychologique d’une personne mieux qu’un de ses collègues de bureau ; à 70 « likes », la machine le comprend mieux qu’un ami ; à 300 « likes », elle excède la compréhension de son conjoint. » Un algorithme qui construit une base psychométrique qui sert à influencer les électeurs. Des techniques qu’ils auraient généreusement mises à contribution pour la campagne de Trump bien sûr, mais aussi dans celle du Leave durant le Brexit. Avec, comme chacun a pu le constater, un franc succès.

Une autre agence qui a leur soutien est Harris Media, une agence texane au service de l’extrême droite qui a, entre autres, travaillé pour les campagnes électorales de l’extrême droite allemande, l’Alternative für Deutschland (AfD) mais aussi dans une moindre mesure pour le Front national. Pour se faire, ils ont utilisé l’outil « audiences similaires « de Facebook qui permet de trouver le 1 % de la population le plus proche de cette audience. Il arrive aussi à cette agence de produire des « vidéos anxiogènes, ainsi que de faux sites visant à dénigrer des opposants, les musulmans ou les migrants et qui sont placés en bonne position dans les résultats de Google grâce à des achats massifs de publicités. »

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