Matveï Ganapolski © AFP

Ces nombreux Russes en exil

Le Vif

Ils sont journalistes, activistes ou artistes. Comme Arkadi Babtchenko, ils sont des dizaines critiques du pouvoir et parfois craignant pour leur sécurité à avoir quitté la Russie pour l’Ukraine, les pays baltes ou l’Europe occidentale depuis le retour au Kremlin de Vladimir Poutine en 2012.

« Je suis arrivé à Kiev le 9 août 2015 avec mes affaires et mon chien. Pour des motifs politiques », raconte à l’AFP Evguéni Lesnoï, 44 ans. Pour cet ancien journaliste de la chaîne publique NTV, les ennuis ont commencé quand il a été arrêté lors d’une manifestation contre « l’occupation de la Crimée », en mars 2014.

Alors qu’une guerre fait rage dans l’est de l’Ukraine, dans la foulée de l’annexion de la Crimée après un référendum d’autodétermination non reconnu par la communauté internationale, Evguéni Lesnoï tourne un film documentaire sur des familles binationales déchirées par les tensions russo-ukrainiennes, qui sort en juin 2015.

Evguéni Lesnoï quitte alors la Russie « par peur que quelqu’un me frappe avec une barre de fer », raconte-t-il. Aujourd’hui citoyen ukrainien, il assure que jusqu’à récemment il pouvait « respirer librement » à Kiev, mais qu’il a de nouveau senti, en apprenant la fausse mort d’Arkadi Babtchenko, « la peur que je ressentais à Moscou en 2014 et 2015 ».

Comme lui, des dizaines de journalistes ont quitté la Russie depuis le printemps 2014.

L’Ukraine, qui a alors pris un tournant pro-occidental, ou les pays baltes membres de l’Union européenne, sont des destinations de choix. Il s’agit d’ex-républiques soviétiques avec de fortes communautés russophones, facilitant l’intégration, et très critiques de la Russie, accueillant souvent les adversaires du Kremlin à bras ouverts.

« Ici, il n’y a pas Poutine, pas la propagande de Poutine, pas la population qui suit aveuglément Poutine », raconte Matveï Ganapolski, un journaliste russe arrivé en Ukraine en 2015 qui a lui aussi obtenu la citoyenneté ukrainienne.

Avant 2014, plusieurs journalistes célèbres avaient déjà trouvé refuge en Ukraine. Pionnier des shows télévisés russes dans les années 1990, présentateur vedette de NTV, Evgueni Kisselev a quitté le pays dès 2008 en dénonçant « l’autocensure » des journalistes russes.

Il suivait le chemin de Savik Shuster, un autre présentateur-star en Russie s’étant installé en Ukraine en 2005. Les deux hommes sont devenus des vedettes dans leur pays d’adoption.

– Des députés en exil –

Le choix ukrainien semble évident pour ces journalistes. Le coût de la vie y est moins cher qu’en Russie, les liens culturels entre les deux pays sont forts et « un locuteur russe peut trouver du travail ici », assure Matveï Ganapolski.

Plusieurs anciens députés russes ont aussi pris la route de Kiev. Parmi ceux-ci, Denis Voronenkov, un ancien député communiste en exil depuis octobre 2016 après être devenu très critique à l’égard du Kremlin, a été abattu dans le centre de la capitale ukrainienne en mars 2017.

Il se préparait à rencontrer un autre ex-parlementaire, Ilia Ponomarev, seul député russe à avoir voté contre l’annexion de la Crimée en 2014, et avait témoigné en Ukraine contre l’ex-président Viktor Ianoukovitch.

« J’ai peur que ce ne soit pas la dernière mort », a déclaré Ilia Ponomarev mercredi après l’annonce de la mort d’Arkad Babtchenko, avant que le pot-aux-roses ne soit dévoilé.

« J’ai vraiment peur pour ma vie », renchérit Evguéni Kissilev, interrogé par l’AFP.

D’autres exilés ont pris la direction des pays baltes, comme la militante écologique Evguenia Tchirikova. Connue pour son combat contre le passage d’une autoroute à travers une forêt près de Moscou, elle s’est réfugiée en Estonie en avril 2015 par crainte pour la sécurité de ses enfants.

D’autres ont trouvé refuge en Lettonie, où vit une minorité russophone significative. C’est le cas du réalisateur Vitali Manski, installé à Riga depuis février 2015, ou de la rédaction entière du journal en ligne Meduza, créé par d’anciens journalistes de Lenta.ru après la prise de contrôle par un oligarque proche du Kremlin de leur média.

Certains exilés russes préfèrent partir à Londres, comme de nombreux oligarques en délicatesse avec le Kremlin. Ou à Paris, comme l’artiste Piotr Pavlenski, qui affirme encourir dix ans d’emprisonnement après avoir été accusé d’agression sexuelle en Russie et a obtenu l’asile politique en France en janvier 2017.

Avant cela, l’artiste avait passé sept mois en prison pour avoir mis le feu aux portes du siège de l’ex-KGB à Moscou. En octobre 2017, le performeur a récidivé en mettant le feu à une antenne de la Banque de France: il est depuis incarcéré.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire