Gérald Papy

Ce qui distingue un homme d’Etat d’un chef de gouvernement

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

A ceux qui ont gardé de leurs souvenirs d’enfance l’image indélébile du poing levé et ganté de deux sprinters noirs sur un podium des Jeux olympiques de Mexico un jour de 1968, les émeutes de Ferguson peuvent apparaître surannées. En près d’un demi-siècle, si peu aurait donc été réalisé pour apaiser les tensions raciales aux Etats-Unis ?

A n’en pas douter, l’Amérique a bien évolué depuis la présidence de Lyndon Johnson, y compris dans la promotion des minorités. Mais la réplique de la rue à la décision de la justice, fût-elle fondée, de renoncer à poursuivre un policier blanc ayant tué un jeune Noir, Michael Brown, en août dernier, rappelle que la question raciale reste – ou est redevenue – hypersensible pour une partie de la population américaine. Réminiscences d’une discrimination institutionnelle ou vestiges d’une condition sociale historiquement défavorable ? Les manifestants défilant à Ferguson et dans plusieurs grandes villes américaines privilégieront les premières quand leurs détracteurs insisteront davantage sur les seconds.

Dans tous les cas, l’incompréhension est d’autant plus grande que les Etats-Unis sont dirigés depuis 2008 par leur premier président noir et que son accession à la Maison-Blanche avait suscité beaucoup d’espoir. L’analyse était pourtant tronquée. D’emblée, Barack Obama s’était inscrit dans le long terme : « Je n’ai jamais eu la naïveté de croire que nous pourrions dépasser nos divisions raciales en un seul cycle électoral, ou grâce à une seule candidature », proclamait-il dans son discours de Philadelphie en mars 2008. Et il eut l’intelligence – car politiquement il n’avait pas le choix – d’être en tout lieu et en tout temps le président de tous les Américains. Les mesures ciblées – comme la régularisation récemment avancée de cinq millions de clandestins ou la lutte contre le racisme parmi les forces de l’ordre – font partie de son arsenal. Mais pour Barack Obama, la relance de l’économie reste le meilleur adjuvant pour hisser les minorités vers le haut.

« Pour Obama, la relance de l’économie est le meilleur adjuvant pour hisser les minorités vers le haut »

Ce qui apparaît comme un échec aujourd’hui se transformera – qui sait ? – en succès quand sera venu le temps du droit d’inventaire des mandats d’Obama. C’est ce qui distingue un homme d’Etat d’un chef de gouvernement : dépasser les contingences immédiates et les intérêts particuliers pour penser au long terme et à l’intérêt général. L’actualité nous offre le contraste de l’un, à Washington, et de l’autre, à Jérusalem. En faisant adopter par son gouvernement un projet de loi transformant Israël, « Etat juif et démocratique », en « Etat national du peuple juif », Benjamin Netanyahou flatte ses partenaires d’extrême droite, privilégie l’avenir électoral de son parti, affaiblit « la seule démocratie du Moyen-Orient » et nuit au crédit d’Israël à l’étranger. Bref, il se comporte en simple chef d’un futur gouvernement… Cette attitude est à l’image de la politique menée, dans un contexte de responsabilité partagée, à l’égard des Palestiniens : poursuite de la colonisation, entraves aux négociations, délégitimation de Mahmoud Abbas…

Sans doute Obama aura-t-il déçu beaucoup de ses partisans au terme de sa seconde présidence en 2016. Il aura tout de même indéniablement marqué toute une génération. C’est bien lui, qui, en 2009, osait sermonner les Afro-Américains en les exhortant à renoncer à la victimisation : « Nous avons besoin d’une nouvelle mentalité, de nouvelles attitudes. L’un des héritages les plus destructeurs et les plus durables de la discrimination est la manière dont nous avons intériorisé le sens des limites, la manière dont tant d’entre nous en sont venus à attendre si peu. » Un message qu’Israéliens et Palestiniens, aussi, seraient bien inspirés d’entendre aujourd’hui.

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