© Thinkstock

Ce que l’enquête du Guardian révèle sur les commentaires en ligne de ses lecteurs

Stagiaire Le Vif

Le quotidien britannique The Guardian publie les résultats d’une recherche statistique faite sur les commentaires laissés sur son site par ses lecteurs. Et remarque notamment que les femmes sont les principales victimes de commentaires abusifs ou haineux.

La conquête de l’internet par la presse imprimée a été accompagnée par son lot indéniable d’avancées en matière d’interactivité, notamment en rapprochant les journalistes, éditeurs, et lecteurs. Néanmoins, il reste un débat brûlant qui n’est pas encore prêt de refroidir: la légitimité de l’existence d’une section « commentaires » sur les sites d’information. Zone de libre expression faisant partie intégrale de la notion d’horizontalité propre à internet pour les uns, fosse commune où se déverse allègrement toute la haine du monde dans l’impunité la plus totale pour les autres, la section « commentaires » n’est en tout cas rien de plus que ce que les gens décident d’en faire.

Afin de rendre plus tangible un débat qui ne se base souvent que sur des impressions, des journalistes du Guardian ont analysé plus de 70 millions de commentaires laissés sur leur site, et en ont dégagé des statistiques. L’enquête se concentre sur les commentaires destinés directement aux journalistes eux-mêmes, ou haineux vis-à-vis d’un groupe entier de personnes, comme les attaques homophobes, racistes ou sexistes.

Connu pour ne pas hésiter à prendre activement position sur certaines questions de société, le quotidien anglais inscrit cette enquête dans un dossier plus large, appelé « The Internet We Want » (L’internet que nous voulons), et qui s’attaque aux problèmes d’abus et de harcèlement en ligne. Si la communauté de lecteurs du Guardian n’est évidemment pas entièrement identique à celle d’autres médias en ligne, l’enquête tire néanmoins quelques conclusions éclairantes, que voici:

  • Jusqu’à présent, seulement 2% des commentaires ont été bloqués par le service de modération du Guardian et reconnus comme « abusifs », selon un système de sélection relativement pragmatique. Sont systématiquement bloqués les attaques ad hominem envers l’auteur de l’article ou d’autres lecteurs, les commentaires à caractère haineux à l’égard d’une catégorie de personne, ou les commentaires perturbateurs et hors sujets, comparables au « trolling ».
  • Proportionnellement, les femmes sont plus susceptibles d’attirer des commentaires répondant aux critères pour être bloqués. Sur les 10 journalistes les plus souvent concernés par des commentaires considérés comme abusifs, 8 sont des femmes. Sur ces 8 femmes, deux se reconnaissent comme gay, une est de confession juive, et une autre de confession musulmane. Un des deux hommes présents dans cette liste est homosexuel. Rappelons qu’à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, il suffit de quelques clics pour obtenir un tas d’informations personnelles sur n’importe qui, pour autant que cette personne se dévoile un peu dans ses articles ou sur des réseaux sociaux ouverts comme Twitter.
  • Au plus les femmes écrivent sur des thématiques majoritairement traitées par des hommes (c’est le cas du sport ou des nouvelles technologies), au plus elles sont susceptibles de faire face à des commentaires répondant aux conditions pour être bloqués. La même tendance s’exprime auprès des hommes qui traitent de thèmes majoritairement traités par des femmes, comme la mode ou le design.
  • Les sujets traitant de féminisme, de viols, ou du conflit israelo-palestinien sont bien plus susceptibles de susciter des commentaires bloqués. Les chiffres oscillent entre 6 et 7,5%, contre 2% sur la moyenne totale des articles, toutes catégories confondues. Les sujets qui suscitent les commentaires les plus courtois sont les mots croisés, les courses hippiques et le cricket. Et comme pour venir confirmer que la musique adoucit bel et bien les moeurs, la section « jazz » attire un taux de commentaires bloqués proche de 0%.

On peut évidemment penser ce que l’on veut de ces données, en tout cas le Guardian a surtout voulu les utiliser pour ouvrir le débat sur le harcèlement et la diffamation en ligne, notamment à l’égard de ses propres journalistes. Trois d’entre eux sont ainsi amenés à témoigner à propos de leur expérience en termes de confrontation quasi-journalière à des commentaires homophobes, islamophobes, racistes ou sexistes. « Imaginez que chaque jour vous alliez travailler et que sur votre chemin, vous deviez passer par un couloir de 100 personnes qui vous disent « tu es stupide », « tu es horrible », tu « craints », ou « je n’arrive pas à croire que tu sois payée pour ça ». Quelle horrible façon d’aller travailler », témoigne la journaliste et auteure féministe Jessica Valenti, qui admet avoir changé plusieurs de ses habitudes du quotidien pour éviter que ces harcèlements ne la poursuivent dans la vraie vie, jusqu’à par exemple ne plus réserver de chambres d’hôtels sous sa véritable identité.

En addition à ces témoignages, l’article propose au lecteur une sélection de 8 commentaires, qu’il pourra décider de bloquer ou pas, et de voir ensuite si ses décisions sont en accord avec les standards de modération du Guardian.

Pour terminer, le journal précise qu’il faudra bien plus que 2% de commentaires bloqués pour lui faire changer son point de vue sur la nécessité de laisser cette option accessible aux lecteurs. « La majorité des commentaires sont respectueux et beaucoup sont tout simplement magnifiques. Un bon fil de commentaires est une joie à lire », écrit le Guardian en guise de conclusion, avant de clôturer cet intéressant travail d’introspection en appelant ses lecteurs à … donner leur avis sur la question, en toute courtoisie.

A.S.(stg.)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire