Philippe Lamberts

Ce mal qui ronge nos démocraties

Philippe Lamberts Co-Président du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen

Quels sont ceux qui font aujourd’hui le plus de tort au projet européen ? Les eurosceptiques comme Mr Farage ou Mme Le Pen ? Ou les euro-cyniques comme Mr Barroso ou Mme Neelie Kroes ?

Ce qui est clair, c’est que les premiers gagnent du terrain en attisant la colère suscitée par le comportement indigne des seconds. Car, plus le cynisme s’empare des gouvernants, plus le populisme séduit les gouvernés.

En rejoignant la banque Goldman Sachs – symbole de tous les excès de la finance et acteur de premier plan de la crise financière de 2007-2008 – José Barroso n’a pas seulement conclu en beauté une carrière caractérisée par la compromission et l’absence de conviction. Il a également sapé encore un peu plus la confiance des citoyens dans le projet européen. Vu son rôle clé – en tant que président de la Commission – dans la gestion de la crise financière de 2008 et de la crise de la zone euro qui a suivi, cette prise de fonction débouche sur un grave conflit d’intérêts.

La décision de Mr Juncker de saisir le comité d’éthique de la Commission européenne est non seulement arrivée bien tard, mais est surtout très insuffisante. Il est plus qu’urgent que la Commission ou le Conseil saisissent la Cour de Justice de l’UE dans cette affaire. Celle-ci devrait en effet examiner, au titre de l’article 245 TFUE, la possibilité que Mr Barroso soit privé de son droit à la pension ainsi qu’à d’autres avantages.

Le scandale des « Bahamas Leaks » qui éclabousse aujourd’hui Mme Neelie Kroes, ex-commissaire européenne, nous rappelle d’ailleurs que le cas Barroso est loin d’être isolé. De même que les cas de Tony Blair et de Jérôme Cahuzac illustrent bien qu’il ne s’agit pas d’une maladie propre aux institutions européennes mais bien d’un véritable mal qui ronge nos démocraties, quel que soit le niveau de pouvoir

D’où l’urgente nécessité de renforcer les règles sur les conflits d’intérêts aux niveaux national et européen. À ce sujet, l’exemple du Canada devrait constituer une source d’inspiration : dans ce pays, les mandataires politiques (Ministres, Secrétaires d’État, Parlementaires) ne peuvent accéder à aucune activité de lobbying pendant une période de cinq ans. À titre de comparaison, la période dite de « cooling-off » (période tampon suivant l’exercice de fonction) prévue à l’heure actuelle pour les anciens Commissaires européens est seulement de 18 mois. Alors même que ces derniers bénéficient d’une indemnisation pendant trois ans.

En ce qui concerne plus spécifiquement l’exécutif européen, d’autres mesures devraient également être adoptées. Notamment, l’obligation pour les Commissaires en fonction de fournir des informations exactes concernant tous leurs intérêts et avoirs financiers ainsi que leurs dettes et autres engagements. A l’heure actuelle, ces derniers ont la possibilité de décider de déclarer eux-mêmes lesquels de leurs actifs financiers pourraient éventuellement créer un conflit d’intérêt dans l’accomplissement de leur mission. De même, de nouvelles sanctions – y compris des amendes – devraient être introduites afin de pénaliser les Commissaires qui omettraient de signaler des conflits d’intérêt potentiels.

Trop souvent, les décisions politiques sont taillées sur mesure dans l’intérêt du big business

Les récents scandales qui ont entaché l’exécutif européen doivent être interprétés comme une mise en garde pour l’ensemble des responsables politiques européens : les citoyen(ne)s ont le sentiment – à raison – que trop souvent, les décisions politiques sont taillées sur mesure dans l’intérêt du big business. Le recyclage d’anciens Commissaires ou d’anciens ministres dans les milieux d’affaires ou leurs implications dans des stratégies d’évasion fiscale ne font que renforcer leurs suspicions… Pour ne pas parler du cumul de responsabilités politiques avec des postes lucratifs dans le secteur privé, comme nous le constatons dans le chef de nombreux parlementaires.

La confiance des citoyen(ne)s en leurs institutions et leurs élu(e)s constitue la fondation de la démocratie, qui est fortement ébranlée en ce moment. La restaurer exige de la part de tous les mandataires politiques de remettre au coeur de leur action la défense de l’intérêt général, avec une attention particulière apportée aux personnes les plus vulnérables. À défaut, ce n’est pas seulement l’europhobie qui progressera mais bien le rejet même de nos institutions démocratiques.

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