Christian Makarian

Catalogne : « Les fièvres de la ‘glocalisation' »

Faut-il voir dans le dernier référendum catalan un particularisme ? Ou doit-on rapprocher la cause des indépendantistes catalans d’autres mouvances séparatistes, qui ont en commun la révision des frontières de l’Europe ?

Il faut en effet ajouter au cas catalan au moins ceux de la Belgique, avec la revendication flamande, et de l’Ecosse, où le sentiment différentialiste n’en est qu’à ses débuts. Trois racines historiques différentes, trois revendications différenciées, trois actions politiques diverses, trois monarchies aussi, qui cultivent à force de symboles le passé unitaire et trébuchent face à l’avenir collectif. D’autres cas, qui concernent davantage des minorités ethniques, existent, notamment en Europe centrale, sans parler des indépendantismes fondés sur une géographie flagrante (comme en Corse).

Le premier piège consisterait à tout mélanger pour dresser le tableau critique d’une crise globale des Etats centraux et établir la carte d’un continent fracturé de part en part. Le second, à nier la profondeur de ces pulsions identitaires d’intensité variable, qui présentent des dangers spécifiques pour certaines constructions nationales (au premier rang desquelles l’Espagne) plus que pour d’autres, mais dont les ferments actifs sont presque partout les mêmes.

Au titre des facteurs politiques, on peut difficilement nier que la conjugaison de la construction européenne et de la crise des institutions de l’Union (accélérée pour les pays méditerranéens par l’effondrement de leur économie en 2008) se traduit par une remise en cause de l’échelon politique national, qui n’est plus le seul à dire le droit et qui ne bat plus monnaie. C’est particulièrement vrai dans la zone euro, où les règles de la monnaie commune imposent aux Etats une politique budgétaire et des choix financiers qui désacralisent les acteurs centraux. Il suffit d’entendre les indépendantistes catalans insister sur leur fidélité indéfectible à l’euro tout en contestant leur pourcentage de contribution au budget national espagnol ; ou d’écouter certains leaders écossais lier le rattachement à la zone euro et l’indépendance après l’entrée en vigueur du Brexit. D’où l’idée, vague mais entêtante, de refonder le politique sur de tout autres bases que les constructions historiques, jaillies du fracas des batailles militaires du passé, qui ont établi un vainqueur (la Castille ou l’Angleterre…) et des vaincus. Aujourd’hui, l’heure de gloire de l’identité passe par le référendum : sentiment d’exaltation démocratique, réécriture enivrante de l’histoire, enracinement local face à la globalisation, bref,  » glocalisation « …

L’autre cause est évidemment économique. Pour presque tous les mouvements indépendantistes européens, la question de la différence de contribution au budget national ou le dynamisme comparé des régions au sein d’une même entité nationale sont un critère déterminant de leur progression. C’est très net en Belgique, où la Flandre oppose sa vitalité aux difficultés de la Wallonie ; en Espagne, où la Catalogne pèse près de 20 % du PIB national et où le revenu par tête est supérieur à celui du reste du pays mais aussi à la moyenne de toute l’Union européenne ; au Royaume-Uni, où le parti indépendantiste écossais affirme que les habitants d’Edimbourg ou de Glasgow seraient  » plus riches de 1 000 livres sterling par personne et par an dans une Ecosse indépendante « . La dérégulation économique et financière encourage en outre l’érection de lignes de défense plus serrées face à la mondialisation  » sauvage « , des échelons régionaux qui apparaissent comme des nouvelles limites territoriales, a priori plus faciles à défendre. Voilà bien l’effet sur lequel les indépendantistes ne s’appesantissent guère : ils érigent de nouvelles frontières en Europe.

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