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Carnet de route en Libye libre

L’envoyé spécial de L’Express tente de rejoindre Tripoli depuis la Tunisie. Récit des péripéties de son voyage dans la Libye aux mains des rebelles du CNT.

Lundi 18H00. Notre équipée -huit journalistes entassés dans un minibus- quitte l’île tunisienne de Djerba, ses hôtels-clubs et ses troupeaux d’estivants européens cuivrés ou cramoisis. Il nous faut hélas renoncer à la route côtière, la plus directe vers Tripoli : au-delà du poste frontalier de Ras Jdir, des combats opposent encore semble-t-il insurgés et milices loyales à Mouammar Kadhafi. Cap au sud, sur Tataouine. De là, nous franchirons sans encombre, vers 23H00, la frontière à Dehiba. « BIENVENU EN LYBIE LIBRE », lit-on en V.O. sur une casemate de béton gris.

Ciel sans nuage piqué d’étoiles, croissant de lune roux puis ivoire. La Volkswagen affrétée côté libyen fonce sur le ruban d’asphalte à 150 km/h, avec des pointes à 180. Et ce qui devait arriver arriva. Peu après un check-point plutôt peinard, où un rebelle replet et barbu déguste un cornet de glace non loin d’une barrière ornée d’une guirlande clignotante, le pneu avant gauche, cisaillé par une ornière traîtresse, explose. Infidèle à sa vocation, la roue de secours ne nous sera que d’un piètre secours : elle expire quelques hectomètres plus loin, bientôt imitée par une chambre à air de l’arrière. Bref, ça commence bien. L’autre berline file jusqu’à la ville voisine de Zenten chercher de l’aide. Vers 4H00 du matin apparaît un pick-up, lesté de roues de rechanges. Las, aucune n’a le calibre idoine. Trois changements de voitures plus tard, nous reprenons entre des collines ocres et blondes notre progression chaotique vers Zawiyah, verrou stratégique conquis voilà peu, et au prix de féroces combats, par les insurgés. Au volant, un volontaire impulsif au visage émacié. Peu avant 7H00 -8H00 en France-, notre mini-convoi traverse la cité-fantôme de Baher Ghanem. Pas âme qui vive, une lumière déjà crue et des barrages désertés, dont ne subsistent que les chicanes de terre et de sable et une guérite de tôle.

« A Zawiyah, tout est calme »


A l’entrée de Zawiyah, tandis que nos chauffeurs, pressés de rebrousser chemin, exigent leur dû au demeurant prohibitif, un certain « capitaine Mustapha » croit reconnaître notre confrère du Figaro. Prévenant, il nous offre son concours, qu’il s’agisse de localiser l’antenne du Conseil national de transition (CNT), organe politique de l’insurrection, ou de dénicher un toit. « Ici, assure-t-il, tout est calme ». Et à Tripoli ? « Il y a encore des accrochages et des poches de résistance. Tout cela prendra un peu de temps. » Une affaire de jours ou de semaines ? « Franchement, je l’ignore. » De fait, les échos qui nous parviennent de la capitale toute proche tempèrent l’euphorie des premières heures de « l’assaut final ». Un reporter italien prénommé Lorenzo, qui visitait une base militaire tout juste investie par une escouade de « chabab » -jeunes combattants- raconte comment il a vu une roquette supposée kadhafiste pulvériser sa voiture sur le parking. Bilan : une demi-douzaine de morts.

Pour l’heure, l’un des cadres civils du CNT, homme d’affaires jovial et anglophone, s’emploie à nous trouver une maison, fort cossue d’ailleurs, pour la nuit. Et invite les étrangers de passage, en plein jeûne du ramadan, à piocher dans le buffet qu’il a fait installer sur le seuil du hangar où sont stockées les denrées distribuées aux combattants comme aux citadins dans le besoin.

De notre envoyé spécial Vincent Hugeux, L’Express.fr

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