Sous cette synagogue monumentale du ive siècle, on a retrouvé le sol d'une synagogue qui serait celle où Jésus a enseigné. © OLIVIER ROGEAU

Capharnaüm, le QG de Jésus

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Camp de base de Jésus, Capharnaüm, était, au premier siècle, un petit village de pêcheurs. On y a mis au jour le sol de la synagogue, où le prophète galiléen aurait prêché, et les vestiges présumés de la maison de Simon-Pierre.

De Nazareth à Jérusalem en passant par le lac de Tibériade, on présente aux touristes et aux pèlerins des lieux qui auraient été associés à la vie de Jésus, telle que décrite dans les évangiles. Dans la plupart des cas, ces localisations n’ont aucune validité historique : elles relèvent de traditions chrétiennes plus ou moins anciennes, ou du folklore. Il en est ainsi du site du baptême de Jésus dans le Jourdain, de l’auberge du Bon Samaritain sur la route de Jéricho ou, à Jérusalem, de la Via Dolorosa, le chemin que le prophète de Nazareth aurait emprunté pour rejoindre le lieu de sa crucifixion, procession créée par les franciscains au xive siècle.

Capharnaüm, la bourgade de pêcheurs où le prédicateur thaumaturge a fixé sa résidence et d’où il a rayonné dans les localités alentour, ferait-elle exception ? Situé au nord-ouest du lac de Tibériade, le site archéologique fait forte impression. Avec ses pierres de calcaire blanc et ses éléments décoratifs romains, la synagogue monumentale, construite à la fin du ive ou au début du ve siècle, tranche sur les maisons en basalte gris du village (ier siècle). Sous la nef, un sol pavé du ier siècle, en basalte lui aussi, a été mis au jour. C’était vraisemblablement celui de la synagogue où Jésus a enseigné et où il a guéri un possédé (Mc 1, 21-28). Elle a été construite aux frais du centurion romain qui commandait la garnison locale de mercenaires (Lc 7, 5). Jean le qualifie de  » fonctionnaire  » du tétrarque Hérode Antipas. Marc (5, 35-43) indique que Jésus a soigné la fille de Jaïre, chef de cette même synagogue. Il lui dit, en araméen,  » Talitha koum  » ( » Fillette, lève-toi ! « ) et interdit qu’on fasse la publicité de cette guérison.

Au départ de la Via Maris, l' » autoroute  » antique Egypte-Syrie-Mésopotamie qui contournait Capharnaüm au nord, la rue principale du village ( Cardo) allait dans la direction du lac, le long de la synagogue et d’une maison qui serait celle de l’apôtre Simon-Pierre. Les fouilles franciscaines menées de 1968 à 1984 semblent confirmer cette localisation. Des graffitis sur les murs plâtrés du milieu du ier siècle mentionnent  » Jésus, Seigneur et Christ  » et la maison a fait l’objet d’une vénération avant même la période byzantine. La demeure est composée de plusieurs pièces qui s’ouvrent sur deux cours. La toiture était faite d’un mélange de roseaux, de branchages et de boue, soutenus par des rondins. Cette architecture explique l’épisode du paralytique, descendu en civière par le toit, tant la foule était nombreuse devant la porte (Mc 2, 1-12).

Le port de Ginosar. Les bateaux de pêche se font rares sur le lac de Tibériade. Restent ceux des pèlerins et des
Le port de Ginosar. Les bateaux de pêche se font rares sur le lac de Tibériade. Restent ceux des pèlerins et des  » teufeurs  » du coin.© OLIVIER ROGEAU

Simon-Pierre, patron pêcheur qui possédait sans doute plusieurs barques et employait des ouvriers, disposait d’une maison assez vaste pour pouvoir accueillir régulièrement Jésus et quelques-uns de ses disciples. Le rabbi y a soigné la belle-mère de son hôte, fiévreuse (Mt 8, 15). Un jour, les frères de Jésus et sa mère, Marie, se présentent à la porte. Ils veulent qu’il rentre avec eux à Nazareth. Car ils ont entendu des bruits inquiétants sur son compte et sont convaincus que son aventure va mal se terminer, pour lui et sa famille. Mais ils ne parviennent pas à atteindre Jésus. Comme toujours quand le prophète réside à Capharnaüm, un monde fou se presse dans et autour de la maison. Jésus dit alors à ses auditeurs :  » Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique  » (Lc 8, 2-21).

L’édifice a été plusieurs fois remanié au cours des siècles. Une chapelle a été construite dans la pièce la plus vénérée de la maison, destinée aux assemblées des premiers chrétiens. Lui a succédé, au ve siècle, une église octogonale, entourant la pièce centrale de l’habitation du ier siècle. Tous ces vestiges ne sont plus directement visibles : on les voit par une ouverture en verre dans le plancher d’une église moderne construite par les franciscains. Ce  » Mémorial de saint Pierre  » monumental, consacré en 1990, a la forme étrange d’un vaisseau spatial de Star Wars !

La multiplication des pains

Entre Magdala et Capharnaüm, un site attire les foules : Taghba ( Heptapegon en grec, les Sept-Sources). Les pèlerins y visitent trois lieux saints : l’église de la Multiplication des pains, celle de la Primauté de Pierre et celle des Béatitudes. Edifiée en 1980-1982 sur les vestiges d’une petite église du ive siècle et d’une basilique du ve siècle, l’église catholique de la Multiplication est administrée par des bénédictins allemands. Dans son récit de voyage rédigé vers 380, la pèlerine espagnole Egeria évoque le lieu  » où le Seigneur a nourri le peuple avec cinq pains et deux poissons  » (Mc 6, 34-44).  » La pierre sur laquelle le Seigneur a posé le pain a été réduite en autel, dont les pèlerins prennent des petits morceaux pour leur salut.  » Trouvée lors de fouilles, la pierre vénérée se retrouve sous l’autel de l’église moderne. Devant cet autel, une mosaïque datée du début du ve siècle est célèbre : elle représente des poissons et des pains dans un panier. D’autres mosaïques figuratives byzantines, du milieu du ive siècle, couvrent le sol. Ce sont les plus anciennes de l’art chrétien en Palestine. Elles représentent des oiseaux aquatiques dans un cadre nilotique, ou encore la flore et la faune de Galilée, dont un daman, sorte de gros lièvre sans queue, avec un museau pointu. Un mammifère que l’on peut apercevoir,  » en vrai « , sur les sentiers du lac.

A Taghba, dans l'église de la Multiplication, une mosaïque du début du ve siècle représente des poissons et un panier de pains.
A Taghba, dans l’église de la Multiplication, une mosaïque du début du ve siècle représente des poissons et un panier de pains.© REYNOLD MAINSE/BELGAIMAGE

Le lac de Tibériade en péril

Gris aux reflets argentés un jour, bleu azur le lendemain : la lumière et les couleurs sont changeantes sur le lac de Tibériade, au gré des humeurs du ciel. Long de 21 kilomètres, large de 13, situé à plus de 200 mètres au-dessous du niveau de la mer, ce lieu enchanteur est aussi appelé  » mer de Galilée « ,  » lac de Génésareth  » ou  » lac de Kinnereth, de kinnor,  » la lyre  » en hébreu, allusion à sa forme. D’une rive à l’autre, Jésus a passé l’essentiel de son ministère public autour de ce lac. Il y a enseigné les foules venues l’écouter et y a accompli des prodiges : la marche sur l’eau, la tempête apaisée, la pêche miraculeuse, la guérison d’un possédé au pays des Géranésiens… Il y a recruté ses premiers disciples, parmi les pêcheurs. Les bateaux de pêche se font rares aujourd’hui sur ses eaux, longtemps victimes de la surpêche et de l’utilisation de filets interdits, qui ont piégé des poissons trop jeunes. La plupart des bateaux qui croisent aujourd’hui au large transportent des touristes ou de jeunes  » teufeurs  » de Tibériade et des villages alentour, qui organisent des raves sur l’eau. Autre constat : le niveau dangereusement bas de ce lac d’eau douce, dû à plusieurs années de faibles précipitations hivernales.  » Il a nettement reculé par rapport au printemps dernier et ce faible niveau augmente la salinité de l’eau « , constate un riverain dépité. Les autorités israéliennes projettent d’introduire de l’eau désalinisée dans le lac, qui fournit 25 % de l’eau potable dans le pays.

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