François De Smet

C’est le moment de…(re)lire « Persepolis »

François De Smet président de DéFI 

Dans Persepolis, bande dessinée en quatre tomes réalisée entre 2000 et 2003, Marjane Satrapi raconte sa jeunesse en Iran, marquée par la transition brutale depuis la modernité occidentalisée et dictatoriale du Shah vers le régime islamiste liberticide issu de la révolution de 1979. Le voile en est un personnage récurrent.

Ce voile, Marjane ne le supporte pas, et ose en dénoncer le caractère sexiste, fût-ce par l’absurde. A l’université, son personnage a le courage de demander pourquoi les hommes, eux, n’ont pas à se vêtir pour se protéger du regard concupiscent des femmes.

En ces temps où un simple burkini déchaîne les passions estivales, relire Satrapi invite à distinguer ce qui relève du droit et ce qui relève de la compétition des convictions. Dans la course à l’échalote qu’est devenue la peur identitaire, le voile fait office d’épouvantail, ennemi des valeurs européennes qu’il corromprait inéluctablement. Problème : les valeurs européennes, justement, incluent la liberté de religion et leur libre expression, en ce compris dans l’espace public. Paradoxe : ces libertés ont été arrachées aux systèmes politico-religieux, à l’égard desquels les droits de l’homme se sont lentement et laborieusement affirmés. Bref : être européen, moderne, partisan des droits de l’homme (et de la femme), c’est être capable de faire la distinction entre des pratiques qu’on n’aime pas, mais qu’on reconnaît pouvoir exister, et ce que la loi doit permettre ou interdire. En particulier quand c’est le plus difficile.

C’est toute la difficulté du débat récurrent sur le voile, en ce compris dans son estivale séquence  » burkini  » : on peut trouver liberticide une interdiction tout en trouvant dangereux son objet. Dans toutes les religions, le voile invite à séparer le pur de l’impur. Oui, il serait légitime de le considérer doublement sexiste : d’une part, il réduit les femmes à leur sexualité soi-disant corruptrice, par le truchement paradoxal d’un habit supposé cacher le corps, et pourtant hypervisible par nature ; d’autre part, il réduit les hommes à des animaux saturés d’hormones qui seraient par défaut incapables de réfréner leurs pulsions à la vue de trois mèches de cheveux.

Et pourtant, le fait d’en appeler à la loi et à la restriction de la liberté d’expression n’est légitime que lorsque le barrage à la mixité est radical. Cohérente, dès lors, est l’interdiction du voile intégral au nom du vivre ensemble, car une démocratie nécessite un croisement des visages. Normal, aussi, que le débat se pose pour les fillettes, car pour se considérer libre de couvrir ou non sa tête, encore faut-il qu’on ait pu échapper, dans l’enfance, au forgement d’une habitude invitant à faire d’un vêtement une partie de son corps.

En revanche, en voulant légiférer sur le burkini ou le voile simple dans la rue, les démocrates se fourvoient. Car si ne pas aimer le burkini fait aussi partie de la liberté de conviction, la bataille des valeurs se joue ailleurs. Comment ne pas voir qu’en tentant de régler toutes les situations par la loi, les Français se transforment précisément en ce que les religions ont de plus mortifère, c’est-à-dire la transformation de l’ensemble de la réalité en permis et en interdit, en halal et en haram ? Comment ne pas voir que ceux qui estiment que le burkini est un recul – ou non – doivent utiliser le débat, la culture, soit les seules vraies armes de la démocratie sur ce plan du long terme qu’est la bataille des esprits ? Comment ne pas voir, ainsi, qu’une bande dessinée racontant ce que peut produire un voile obligatoire dans les têtes fera croiser plus d’intelligences, même antagonistes, qu’un arrêté municipal sur une plage bradant une liberté fondamentale pour un peu de confort visuel et de réconfort identitaire ?

Persepolis, par Marjane Satrapi, éd. L’Association, 4 tomes, de 2000 à 2003.

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