Myriam Leroy

C’est le moment de…(re)lire « Pascal Brutal »

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

Il y a dans leur regard comme une série de voyants de tableaux de bord. Chez Trump, Poutine, Sarkozy et tous les types en vogue, il est indiqué que la jauge à testostérone est à son max. Que le cerveau a été irrigué au Gatorade et la « vision » musclée aux substituts hyperprotéinés.

Nous assistons à l’avènement de l’hypervirilité, au règne des caïds, au sacre des rois du vestiaire qui pratiquent la diplomatie dite  » de la clé de bras « . Peu importe que leurs hérauts aient les fils qui se touchent, le front à ras du parquet et la vulgarité en étendard : le style en vogue actuellement, c’est le leur.

Bien avant que son Arabe du futur fasse de lui l’auteur de BD le plus cool de sa génération, en 2005, dans Fluide glacial, Riad Sattouf inventait Pascal Brutal, le saint patron de ces  » vrais hommes « , de ceux qui boivent de la Jupiler tiède en rotant avant de shooter dans la canette.

Parfois considérés comme anecdotiques ou  » juste drôles  » (ce qui est déjà pas mal), les quatre tomes des aventures de ce superhéros ne disposant que d’un seul superpouvoir – à savoir la virilité – constituent en réalité un pamphlet aux accents politiques.

 » La naissance du personnage vient du constat de son auteur sur la survirilisation de la société, en particulier par le retour du religieux et de la morale, qui prônent, dans le fond, la domination de l’homme sur la femme « , lit-on en didascalie dans le troisième épisode des aventures de Pascal.

L’auteur, qui a grandi en Syrie, en Algérie et en Libye, biberonné aux archétypes patriarcaux méditerranéens, ne parle pas seulement de la fabrique des garçons (et par ricochet, des filles). Dans une uchronie visionnaire, il brosse le tableau sale d’une société où l’ultralibéralisme a triomphé, laissant les êtres délicats livrés à eux-mêmes dans un corps social régi par la loi du plus rustre. Dans la France de Pascal Brutal, le président Alain Madelin a rétabli la monarchie de prestige où s’organisent des orgies royales au son de  » Je suis pour « , l’hymne pro-peine de mort de Michel Sardou, Patrick Balkany est ministre de la culture et les détenus dangereux sont incarcérés à la prison Rachida Dati 6.

Dans cet environnement hostile, un homme tire son épingle du jeu. Tour à tour boss du hip hop (son tube Mon parcours évoque la solitude de l’homme de rien devenu star) et vedette de stand-up (le sketch culte  » Ki c’est ka pété ?  » l’ayant propulsé au sommet), Pascal Brutal est un enfant de son temps. Le nôtre. Signes distinctifs : des Adidas Torsion aux pieds, une gourmette en argent au poignet et un bouc impeccablement taillé. Pascal est une montagne de muscles, une usine à phéromones ; les hommes le craignent tandis que les femmes font la queue à sa porte pour assister au spectacle inoubliable de sa virilité.

Mais il a beau enchaîner les castagnes et les orgies, au fond de lui, Pascal est un petit coeur de beurre ému par des photos de chatons et s’adonnant en toute discrétion à la copulation homosexuelle. La pulsion gay comprimée des machos est un thème majeur de la BD. L’idée en est venue à Riad Sattouf en observant des culturistes à la salle de sport.

Un pur low-kick balayette rotatif dans les canons de l’époque. Chanmé.

Pascal Brutal, Riad Sattouf, Fluide glacial.

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