Myriam Leroy

C’est le moment de…(re)lire « Le choeur des femmes »

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

C’est moins pour ses qualités littéraires que pour l’intérêt de son sujet et de son point de vue qu’il faut se pencher sur le roman Le Choeur des femmes, du médecin et écrivain Martin Winckler.

Le pugnace critique des soins de santé tels qu’ils se pratiquent (posture qui n’est pas sans agacer quelques-uns de ses confrères, qui l’accusent de se draper dans une vertu de pacotille qui jetterait l’opprobre sur toute la profession) laboure le même sillon depuis qu’il écrit : il estime que les patients sont tout simplement maltraités. Et que quand les patients sont des patientes, c’est pire encore.

Ses collègues parlent de caricature, de généralisation, de gloriole personnelle sur le dos des autres…

Cependant, l’expérience ne peut pas lui donner vraiment tort : quiconque a été souvent confronté aux salles d’attente confirmera être régulièrement tombé de l’autre côté de la porte sur des praticiens ivres de leur toute-puissance, pressés par une exigence de rentabilité, envisageant l’être humain comme une série d’organes et point barre.

C’est cela que dénonce Winckler dans Le Choeur des femmes. Tout ce système qui se nourrit et s’autorégénère lorsque les budgets baissent, faisant du malade un usager encore plus faible de la vie (coucou Maggie De Block).

Mais ce roman est aussi et surtout un livre féministe, à lire et relire alors que l’Amérique de Trump rabote les subventions des plannings familiaux et marche  » pour la vie  » (comprendre  » contre le choix « ) et que la droite française semble s’inscrire dans la même veine.

La veine où le corps des femmes est glosé, discuté, palpé, disséqué… en l’absence des principales intéressées, en les considérant comme des mineures qu’il n’est pas utile de consulter dans le cadre de décisions qui vont pourtant présider à leur destinée.

Le premier rôle du Choeur des femmes est un de ces jeunes médecins arrogants qui méprise les patientes et la médecine pour  » bonnes femmes « , et qui se voit contraint de faire un stage dans un service de gynécologie, auprès d’un grand toubib agaçant d’humanisme.

Originalité du personnage : ce docteur débutant est une femme.

Qui découvre au fil des consultations à quel point (sauf, on s’en doute, dans le cabinet de son nouveau mentor) tout est fait pour le confort du médecin, jamais pour celui de la patiente.

Que cette pince qui donne à celles qui se font poser un stérilet l’impression qu’on leur leur tire dessus à l’arme lourde n’est en fait absolument pas indispensable.

Que l’avilissante et inconfortable position d’examen  » les pieds dans les étriers  » n’est pas non plus obligatoire. Que les femmes acceptent d’être humiliées car elles ignorent qu’une autre façon de faire est possible.

Que leur santé sexuelle et reproductive est confrontée aux injonctions normatives du corps médical. Et que le  » rendement  » attendu du médecin d’hôpital range automatiquement les réfractaires à la tendance dans la catégorie des doux rêveurs moitié hippies, moitié demeurés.

C’est l’occasion pour le lecteur d’ouvrir les yeux sur les choses intolérables qu’il tolère cependant dans le cadre de ses consultations, et de prendre conscience du traitement de défaveur appliqué aux femmes et de l’absurdité des orientations prises par la santé publique.

Une très saine lecture, pour le coup.

Le Choeur des femmes, Martin Winckler, 2009, POL, 608 p.

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