David Engels

C’est le moment de… (re)lire Freud

David Engels Historien.

Le sentiment de malaise profond que ressentent, aujourd’hui, beaucoup d’Européens quand ils pensent à l’état actuel de notre civilisation, et qui les pousse à mettre en péril la stabilité (toute relative) de la société au profit d’expérimentations politiques les plus diverses, n’a finalement rien de très nouveau et semble relever d’un symptôme connu depuis quelque temps déjà au sein de notre monde occidental.

Déjà en 1929, Freud, greffant son analyse sur un constat remontant au moins jusqu’au XVIIIe siècle, écrivait :  » Nous nous heurtons à une assertion maintes fois entendue, mais si surprenante qu’il y a lieu de nous y arrêter. D’après elle, c’est ce que nous appelons notre civilisation qu’il convient de rendre responsable en grande partie de notre misère ; et de l’abandonner pour revenir à l’état primitif nous assurerait une somme bien plus grande de bonheur.  »

Avec la disparition de la croyance en le progrès, la démocratie et le libéralisme, ce processus s’est encore accéléré : l’homme européen moderne semble de plus en plus persuadé que le rationalisme de sa civilisation, en s’accroissant, a créé des déséquilibres monstrueux à tous niveaux, et entretient désormais une attitude tellement ambiguë face au déclin de l’Occident que l’on pourrait spéculer que la crainte de voir tomber, un jour, notre civilisation n’a d’égal que le désir d’un sain renouveau après sa chute, comme en témoigne le nombre toujours croissant de films postapocalyptiques…

La psychanalyse classique était-elle un remède ou plutôt un symptôme de cette crise identitaire ? En tout cas, vouloir expliquer l’humain en attribuant toute transcendance spirituelle et sublimation artistique à des processus pathologiques était dans la lignée exacte de la sécularisation et du matérialisme grandissant de la culture occidentale qui eurent un tel impact sur sa dislocation. Certes, en contribuant à l’effondrement des derniers remparts d’une civilisation de plus en plus sclérosée et vide, la psychanalyse a fait disparaître la plupart des névroses, résultats inquiétants d’un système patriarcal oppressant. Pourtant, ce sont les diverses perversions qui ont pris leur place dans le catalogue des pathologies, conséquence inévitable d’une philosophie réduisant tout individu à des besoins physiques et donc autrui à l’état de pur objet.

Aujourd’hui, nous récoltons les fruits de cette transformation. Que ce soit l’artiste dénudée chantant, garnie d’oreilles de lapin et devant des centaines d’enfants et d’adolescents, des hymnes à la promiscuité sexuelle au texte plus ou moins dadaïste –  » Bang bang all over you (I’ll let you have it) / Wait a minute let me take you there (ah)  » etc. -, ou les terroristes barbus croyant que la meilleure manière de se constituer un harem nombreux et docile soit le meurtre de masse, les extrêmes tensions de notre société éclatent désormais au grand jour. Mais la spiritualité une fois disparue pour de bon, peut-on encore faire demi-tour ?

Le Malaise dans la civilisation (1929), par Sigmund Freud, Paris, Presses universitaires de France, 1971.

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