Geert Wilders © Dino

« C’est le langage humain de Wilders qui fait son succès plus que ses propos anti-islam »

Les élections du 15 mars prochain aux Pays-Bas ont déjà fait couler beaucoup d’encre et pourraient bien bouleverser le paysage politique néerlandais. Trois Néerlandais éminents donnent leur avis sur la question : le philosophe culturel et essayiste Rob Riemen, l’écrivaine et chroniqueuse Marianne Zwagerman et le présentateur télé, Jan Jaap van der Wal.

Les sondages – pour ce qu’ils valent – prédisent une course très serrée entre le VVD du premier ministre sortant Mark Rutte et le PVV d’extrême droite de Geert Wilders, à qui l’on attribue 25 sur les 150 sièges de la Seconde Chambre.

La question que se posent les Néerlandais et par extension toute l’Europe au vu des prochaines élections en France et en Allemagne, c’est si Wilders réussira à transformer le PVV en plus grand parti des Pays-Bas.

Quelle que soit la personne qui prenne le dessus, le puzzle pour la formation d’un gouvernement de coalition risque d’être plus compliqué que jamais. Les 13 millions de votants néerlandais ont le choix parmi 28 partis différents. Le PvdA (avec VVD dans le cabinet actuel Rutte II), CDA, D66 et GroenLinks remporteraient entre 10 et 20 sièges, de sorte que la nouvelle coalition devra concilier au moins quatre partis.

Quel est l’enjeu de ces élections et à quoi ressemblera l’avenir des Pays-Bas? Knack.be a interrogé trois Néerlandais éminents.

L’économie reprend, le pouvoir d’achat augmente, la criminalité baisse: les Pays-Bas s’en tirent plutôt bien à de nombreux égards. Pourtant les sondages révèlent que le cabinet sortant Rutte II (VVD et PvdA) sera sanctionné par les électeurs. Comment l’expliquez-vous ?

Seuls les économistes s’attendent à ce que les gens soient contents quand l’économie fleurit, explique Riemen. « C’est un adage vieux comme le monde : l’humain ne vit pas uniquement de pain. Qui s’en sort bien ? Un groupe limité de gens. L’économie n’est qu’un chiffre. Pim Fortuyn aussi a eu ses succès lors d’âge d’or économique. Le ressentiment est un phénomène beaucoup plus important. C’est le sentiment que les réfugiés vont nous prendre nos jobs, que les Pays-Bas s’islamisent, etc. »

Riemen ne mâche pas ses mots: « Les gens ne savent pas que les chiffres de criminalité baissent, car nous vivons à une époque de bêtise organisée. Des faits alternatifs combinés à un climat de peur ».

Zwagerman avance également cet argument: « Au fond, nous allons trop bien, je pense. Si vous avez tout, vous pouvez tout perdre et alors vous avez peur. C’est ce que nous vivons. Nous n’allons nulle part, nous sommes déjà arrivés et nous souhaitons rester là. Et quelque part, nous avons eu le sentiment que nous ne pouvons pas rester, suite à ce focus sur l’immigration. On parle même d’immigration massive et de « tsunami de réfugiés ».

« Aux Pays-Bas, nous votons pour un parti ou une personne, mais une fois qu’ils sont au cabinet ou à la Seconde Chambre, nous sommes tout de suite beaucoup trop critiques. Ce cabinet a la particularité de compter deux partis qui ont pris la responsabilité de gouverner et d’aller au bout de leur période au cabinet, mais au fond ils n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Cela a entraîné beaucoup d’inquiétudes et d’acrimonie parmi les sympathisants du VVD et du PvdA. Le PvdA semble s’en sortir le moins bien, il a vraiment perdu toute sa crédibilité. »

Zwagerman estime que les pertes ne seront pas si terribles. « Je pense que le VVd restera le plus grand parti. C’est surtout le PvdA qui encaisse. Il sent très mal l’air du temps. La courbe d’apprentissage de ces gens de gauche est aussi escarpée que le paysage hollandais, ils ne veulent pas comprendre ce qui préoccupe les gens. Si le PvdA perd 20 sièges, et que le SP n’en gagne aucun, il y a tout de même un problème. »

« Le seul parti qui se qualifie de gauche, c’est GroenLinks qui s’occupe surtout d’écologie. Ils surfent sur la popularité de leur tête de liste (Jesse Klaver, NLDR) », explique Zwagerman. « Mais leur programme est terrifiant. Apparemment, les gens ne regardent que ses belles boucles, c’est malheureusement comme ça que ça marche. »

Riemen est encore plus mordant: « Quand parle-t-on encore de qualité dans le débat public ? C’est la bêtise et l’amusement qui règnent ».

Quels sont les thèmes principaux de ces élections?

L’identité, répondent-ils en coeur. Zwagerman : « Il s’agit uniquement de la question : qui est le Néerlandais, et comment garder notre propre identité ? On ne parle pas des vrais thèmes. »

« Tout est mis dans le même sac » estime Van der Wal, « la criminalité, les réfugiés, la disparition de Zwarte Piet. Cependant, l’identité et la culture – un mot épouvantable – sont les thèmes principaux. Les soins sont également un thème et ensuite, on parle un peu d’emploi. »

D’après Riemen, l’extrême droite a déjà remporté un succès en axant le débat sur ce que nous voulons pour les Pays-Bas. « Des Pays-Bas entourés de murs, où n’habitent plus que des chrétiens blancs ? »

Bien qu’il n’ait presque pas participé à la campagne, qu’il ne participe aux débats, qu’il ne parle pas à la presse néerlandaise et qu’il ne semble pas avoir de véritable programme, le leader du PVV Geert Wilders peut espérer une large victoire. Pourquoi peut-il se permettre tout ça ?

Riemen (résolument): « Parce que le raisonnement se base sur le manuel ‘qu’est-ce que la démocratie ?’ Cependant, il n’a pas besoin de tout ça, c’est un parfait démagogue. En plus, on ne vit plus dans une démocratie depuis longtemps, c’est n’importe quoi. Nous vivons dans une démocratie de masse où d’autres règles sont en vigueur. Il ne s’agit plus d’une idée, mais de slogans, basés sur l’impression qu’on donne, sur la façon dont on garde les gens bêtes. »

Pour Van der Wal, Geert Wilders n’a pas vraiment l’ambition de gouverner. « Il sait très bien que ses projets sont irréalisables. Du moins, on ne trouve pas de majorité. Wilders est un politique de sondages. Au fond il a toujours été en tête des sondages, mais le résultat final lui donnait toujours une image plus nuancée. »

Zwagerman attribue le succès de Wilders à la façon dont il est perçu, plus qu’à son discours anti-islam. « Il a quelque chose qui plaît aux gens. Il parle en langage humain ordinaire et bizarrement, il est le seul politicien à y arriver. Wilders atteint les gens qui ne s’occupent pas de politique toute la journée et qui ne comprennent pas une grande partie de ce jargon politique. Pour moi, cela fait plus partie de son succès que ses propos sur les musulmans. »

On dirait bien que derrière le VVD et le PVV il y a cinq partis qui remporteront entre 10 et 20 sièges. Et le VVD n’exclut pas une coalition avec le PVV. Cela promet d’être une formation pénible. Les Pays-Bas vont-ils briser notre record de formation de gouvernement ?

« Les Néerlandais sont des gens très pragmatiques qui essaient rapidement de trouver une solution », rit Zwagerman, « donc je ne pense pas que nous ferons comme la Belgique. »

Tant Zwagerman que Van der Wal estiment que le VVD restera le plus grand parti. « Le CDA et le D66 l’emporteront et ces trois partis constitueront la base du nouveau cabinet », pense Van der Wal. « D’après moi, le VVD aimerait garder le PvdA, ne serait-ce que pour que Jeroen Dijsselbloem redevienne ministre des Finances, mais c’est improbable s’ils perdent beaucoup. À gauche, GroenLinks sera le plus grand parti et c’est à Jesse Klaver de décider s’il souhaite participer à ce cabinet. Vu l’ampleur du PVV, il faudra en tout cas une façade de politique de droite. »

Riemen ne croit pas Rutte sur parole. « Si le VVD et le PVV ont une majorité à deux, Rutte formera un gouvernement avec ces deux partis sous le prétexte que ‘l’électeur a parlé' ». Sinon, il y aura une coalition de cinq partis qui ne tiendra pas, alors que nous sommes confrontés à tant de questions cruciales : l’OTAN, l’UE et les rapports de pouvoir changeants dans le monde. Et contrairement à ce que pensent les Néerlandais, les élections aux Pays-Bas ne sont pas pertinentes. Ce qui se passera en France, est beaucoup plus important. »

« D’ici l’été, nous aurons un nouveau cabinet », conclut Van der Wal, « et aux Pays-Bas on trouvera assez vite que c’est le pire cabinet qu’il n’y ait jamais eu. »

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