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Business de l’espace: quels sont ses apports… et ses dangers ?

Le Vif

L’économie spatiale à l’ère de l’individualisation : danger ou opportunité ? Expert en relations internationales dans le secteur spatial, Jean François Mayence pose les enjeux de l’immixtion d’individus charismatiques dans un domaine jusqu’alors dominé par les Etats.

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On appelle cela New Space, ou Alt.Space (jeu de mots subtil en référence à l’altermondialisme et à l’association des touches du clavier d’ordinateur), ou encore Space 4.0 (sachant que la version 1.0 remonte aux balbutiements de l’astronomie). C’est le nouveau paradigme économique du secteur spatial. Après les grands principes en matière de coopération scientifique et pacifique de la fin des années 1950-1960, après la course à la Lune sur fond de guerre froide, après l’arrivée des grandes industries spatiales, fournisseurs attitrés des agences gouvernementales, et une première phase de privatisation durant laquelle les gouvernements se sont délestés de la gestion des applications satellitaires en les confiant à des opérateurs du marché, voici venu le temps de l’ individualisation de l’espace.

Entre l’esbroufe et le véritable exploit

Individualisation, parce que les acteurs du secteur spatial se multiplient et se diversifient sans commune mesure avec le passé. Les applications combinées, intégrées, offrent une variété de services qui profitent du coût décroissant de la conception et de la fabrication des systèmes satellitaires et de ceux de la mise en orbite. Pour les sciences également, les modèles open source, disponibles sur Internet comme celui du cubesat (un petit bloc de 10 cm3 renfermant des instruments divers) conçu par l’université de Californie, ouvrent des perspectives nouvelles aux équipes de chercheurs et d’étudiants. Aujourd’hui, ce sont les astronautes de la Station spatiale internationale (ISS) qui placent eux-mêmes en orbite ces cubesats, presque en les poussant du doigt (comme ce fut le cas pour la mission internationale QB50 coordonnée par l’institut Von Karman de Rhode-Saint-Genèse).

Un coupé Tesla neuf est aujourd’hui le symbole surréaliste de l’extravagance de cette nouvelle économie.

Individualisation encore, parce que ces nouvelles technologies laissent présager un monde où chacun pourrait un jour avoir son propre satellite, ou à tout le moins être copropriétaire ou co-utilisateur d’une constellation en orbite. Les plus grandes de ces constellations aujourd’hui en développement comptent plusieurs milliers de satellites. Difficile, face à de tels monstres, de faire entendre la préoccupation de la pollution orbitale, qu’elle soit due aux débris d’engins ou aux interférences radio.

Individualisation enfin, parce que le succès de l’entreprise spatiale dépend d’une poignée d’individus exposés dans les médias, de leur charisme et de leur force de persuasion. Et de cette force, il en faut pour vendre un vol sur Mars à quelques millionnaires en mal de sensations. Au-delà du buzz, phénomène contrôlé de la société de l’information, les réalisations des Jeff Bezos, Elon Musk et autres Richard Branson oscillent entre ce qui ressemble souvent à de l’esbroufe et ce qui relève quelquefois du véritable exploit (le lanceur réutilisable de SpaceX, par exemple). Ces modèles personnels illustrent parfaitement ce qui constitue l’ADN du New Space : la combinaison – explosive – de la société de l’information et du terrain de jeu unique qu’est l’espace extra-atmosphérique. L’espace devient un domaine d’information tout à fait spécifique où les défis technologiques sont vecteurs de notoriété, porteurs d’un prestige que l’on croyait autrefois réservé aux Etats. Inversement, l’entreprise spatiale se connecte (au sens propre comme au sens figuré) aux autres produits  » maison « . On ne fabrique plus uniquement une voiture, mais on développe, dans l’espace, la technologie qui l’équipera ; on lance, grâce à ses propres fusées, les satellites qui la guideront d’un point à un autre. L’espace devient plus qu’un champ économique : c’est une extension géographique du domaine d’activité de la grande entreprise au xxie siècle.

Jean François Mayence : expert en relations internationales dans le domaine spatial, attaché juridique à Belspo (Politique scientifique fédérale).
Jean François Mayence : expert en relations internationales dans le domaine spatial, attaché juridique à Belspo (Politique scientifique fédérale).© dr

Acteurs asiatiques et moyen-orientaux

Il ne faut toutefois pas réduire cette nouvelle culture industrielle à quelques personnalités proéminentes. Des changements profonds, quelquefois imperceptibles par le grand public, modifient l’équilibre entre les nations spatiales elles-mêmes. L’isolement des Etats-Unis, qui semblent abandonner le leadership de la conquête spatiale pour une hégémonie autocentrée où la coopération laisse la place à une hypothétique dominance, s’accompagne de la montée en puissance d’acteurs asiatiques et moyen-orientaux. Même si la position américaine fait fi de la coopération tissée durant plusieurs décennies entre les Etats-Unis et ses partenaires, y compris les plus improbables (comme la Russie), la présidence Trump ne permet pas de juger aujourd’hui ce que seront la place et le rôle des institutions américaines et du secteur spatial américain dans le futur. Le fait est que la position tonitruante du locataire de la Maison-Blanche n’a pas fait cesser les centaines de projets menés en coopération internationale par la Nasa, à commencer par celui de l’ISS. D’autant que les nouveaux acteurs de l’exploration spatiale et de l’accès à l’orbite demeurent en réalité fort dépendants des contrats publics qui les financent. De ce côté, rien n’a vraiment changé.

En Europe, Arianespace fait pression sur les Etats et l’Union pour sécuriser sa clientèle institutionnelle, au moment même où la Commission européenne met en place son programme spatial en parallèle de ceux de l’Agence spatiale européenne (ESA). Tous ces changements sont porteurs d’attentes, mais aussi de craintes. En attendant, cette fébrilité profite à d’autres puissances : la Chine, pour ne pas la citer, dont le potentiel de nation spatiale laisse songeur à l’heure où ses acteurs privés s’émancipent du capitalisme d’Etat. Imaginez une start-up créée en 2015 qui développe son propre lanceur et réussit son vol d’essai trois ans plus tard ! C’est l’histoire de OneSpace et de sa fusée OS-X. Certes, le petit lanceur privé chinois (9 mètres) peut difficilement rivaliser avec le Falcon 9 de SpaceX (70 mètres), mais OneSpace est significative de l’émergence de nouveaux moyens d’accès à l’espace, comme ceux en développement en Norvège ou en Nouvelle-Zélande. Plus significative encore est l’attitude transparente du nouvel opérateur chinois sur son business plan, une transparence à laquelle son gouvernement ne nous avait pas habitués. Ce dernier n’est d’ailleurs pas en reste, puisqu’il a très récemment présenté le premier module de la future station orbitale chinoise qui, opportunément à l’heure où l’ISS amorce sa fin de vie, sera ouverte à la communauté internationale.

En attendant, c’est un coupé Tesla neuf, lancé par Elon Musk en février 2018 et ayant aujourd’hui atteint l’orbite de Mars, qui reste le symbole surréaliste de l’extravagance de cette nouvelle économie dans laquelle la com joue un rôle prépondérant.

Par Jean-François Mayence.

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