Gérald Papy

« Briser la malédiction congolaise »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La destinée de la République démocratique du Congo après l’élection présidentielle du 30 décembre dernier suscite la plus grande des incompréhensions.

Si les résultats ont été biaisés dans les proportions que suspectent la Conférence épiscopale nationale (Cenco) et l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (respectivement 62 % et 47 % attribués à Martin Fayulu contre les 34,8 % proclamés par la Commission électorale nationale indépendante pour 38,57 % au vainqueur officiel Félix Tshisekedi), l’Afrique a vécu une des plus spectaculaires supercheries politiques de son histoire. Si le succès du fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi est authentique, prévaudra chez beaucoup le sentiment de s’être trompé d’élection. En remportant une majorité confortable à l’Assemblée nationale, le Front commun pour le Congo du… président sortant Joseph Kabila s’est assuré le poste de Premier ministre en même temps qu’une cohabitation avantageuse. Sa faculté d’influence et de nuisance sera considérable.

Convaincus du hold-up, les pays  » amis  » du Congo et même l’Union africaine, qui n’est pourtant pas toujours très regardante sur la défense de la démocratie, ont bien tenté de sauver le soldat Fayulu. En vain. D’une part, la réalité d’une fraude à grande échelle n’a pas – encore ? – pu être démontrée. D’autre part, un soutien trop appuyé de puissances étrangères et d’une organisation panafricaine présidée actuellement par  » l’ennemi  » rwandais Paul Kagame aurait desservi le candidat de la coalition Lamuka aux yeux d’une bonne partie des Congolais.

Extrêmement mobilisés le jour du vote, les Congolais méritaient mieux que cette élection chaotique comme première passation de pouvoir pacifique de l’histoire du pays.

Ainsi le piège se referme-t-il sur Martin Fayulu. Comme l’explique le politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe dans l’interview qu’il a accordée au Vif/L’Express (lire page 66), le premier opposant au nouveau pouvoir ne fera que conforter l’influence des kabilistes s’il conteste de façon virulente le président Félix Tshisekedi. Et il s’exposera à des dissensions dans son camp si, au contraire, il tente un rapprochement avec l’Union pour la démocratie et le progrès social, le parti présidentiel. Le Congo-Kinshasa est-il définitivement voué à la sauvegarde d’intérêts particuliers et aux compromissions ?

La réaction mesurée de la population congolaise à la publication de ces résultats électoraux pourtant si controversés, alors qu’ils auraient provoqué des émeutes dans d’autres capitales pas seulement africaines, est une autre source d’étonnement. Témoigne-t-elle du fatalisme qui submerge les Congolais face à l’incurie de la classe politique ou de la maturité qui les guide pour préserver le pays de violences inutiles ? La seconde hypothèse concorderait en tout cas avec l’enthousiasme observé parmi les électeurs le jour du vote.

Le rappel de cette impressionnante mobilisation autorise à affirmer que les Congolais méritaient mieux que cette élection chaotique comme première passation de pouvoir pacifique dans l’histoire du pays. L’évolution de l’Afrique ne se réduit pas à ces situations d’instabilité. Le Sénégal, le Ghana, le Bénin et d’autres démontrent que l’alternance est tout à fait possible. Mais il faut bien reconnaître qu’entre pouvoirs autocratiques autorenouvelés (Rwanda, Burundi) et processus électoraux peu ou prou manipulés (Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun), l’Afrique centrale est à la traîne de la modernité. Il reste aux  » nouveaux  » dirigeants à Kinshasa à faire mentir cette  » malédiction « .

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