Brigitte Trogneux et Emmanuel Macron : un couple atypique et un mélange vie privée - vie publique assumé. © P. ROSSIGNOL/REUTERS

Brigitte Macron, une femme d’influence

Le Vif

Un couple hors norme. Une campagne à rebondissements. Les Macron, tandem romanesque et ambitieux, mènent ensemble la bataille de l’Elysée. Portrait d’une épouse en marche.

Soudain, une sonnerie retentit. Brigitte Macron pousse un cri :  » Ciel, mon mari !  » Elle éclate de rire. Sur l’écran, le nom s’affiche : Emmanuel Macron. Elle décroche :  » Oui chéri, ça se passe bien. Patrick me reçoit magnifiquement. Tu m’appelles en sortant. Baisers, chéri.  » Ce jour-là, l’épouse du candidat d’En marche ! est en visite sur le Campus des métiers et de l’entreprise, à Bobigny (au nord-ouest de Paris). Ce centre d’apprentissage, qui forme à 18 métiers de l’artisanat, est dirigé par Patrick Toulmet, ex-élu régional UMP, tombé sous le charme d’Emmanuel Macron et devenu délégué national au sein de son mouvement. Ce 23 février, il guide son amie Brigitte dans un dédale de 23 000 mètres carrés. Quelques heures plus tard, Emmanuel Macron et François Bayrou scellent leur alliance dans la cohue médiatique du palais de Tokyo, à Paris. Ici, loin du bruit et de la fureur de la campagne, à quelques minutes seulement de la capitale, Brigitte Macron fait une plongée dans le monde tel qu’il est.

Elle n’a pas de place dans l’organigramme officiel, pas de bureau au siège d’En marche !, elle n’assiste pas au comité politique, mais, une fois par semaine, elle participe aux réunions d’agenda. Elle est omniprésente dans le sillage du candidat, jouant à la fois l’accompagnatrice, la répétitrice, la lectrice, la facilitatrice ou l’organisatrice. Elle est  » la part non négociable  » de son époux. Une présence qui rassure, une voix qui contredit ou qui encourage, un oeil qui infirme ou qui confirme. La politique n’est pas son sujet. La victoire de son mari, en revanche, est son combat à elle autant qu’à lui. Au sein d’En marche !, certains s’agacent de la croiser si souvent, redoutent les effets dans l’opinion du mélange vie privée – vie publique – une confusion des genres dont le couple Macron s’est fait une spécialité. Mais la plupart des conseillers louent le naturel de Brigitte Macron, sa liberté de ton et la facilité avec laquelle elle se laisse aborder.

Pour dire quelque chose à Emmanuel, passe par Brigitte »

Le 23 février, sans micro ni caméra, simplement accompagnée d’un garde du corps, la femme de l’ancien ministre de l’Economie repère les lieux, les sujets, les problématiques qui peuvent intéresser son époux. Tiens, ce sas de resocialisation, où des mômes en perdition apprennent à s’en sortir : il faut absolument qu' » Emmanuel  » revienne. Et ce partenariat que Patrick Toulmet voudrait nouer entre le Campus et l’école du réalisateur Luc Besson : pas de souci, Brigitte Macron connaît  » Luc « , elle va l’appeler pour nouer le contact. Tiens, ces viennoiseries fabriquées par des apprentis – Madame en fait une moisson,  » Emmanuel adore les pains au chocolat !  » Elle pense à lui, il pense à elle. Depuis ce matin, il l’a déjà appelée quatre fois. Comme d’habitude.

 » Emmanuel  » n’est jamais bien loin. L’atelier de mécanique ? C’est ici qu’il fait sa déclaration de candidature, le 16 novembre. L’atelier de photographie ? Brigitte Macron en profite pour évoquer un cliché pris chez Philippe de Villiers, ce fondateur du Mouvement pour la France, au Puy du Fou, le 19 août dernier, cliché sur lequel elle trouve  » Emmanuel mieux que Clint Eastwood « . Elle avoue qu’elle  » adore  » Bettina Rheims, rêve qu’elle portraiture son époux. Avec une spontanéité déconcertante dans un milieu où la parole doit rester sous contrôle, elle loue encore les bienfaits de l’artifice :  » Parfois, mon mari arrive à la télé avec des cernes comme ça… Grâce à la magie du maquillage, il est transformé !  »

Boulangerie, pâtisserie, cordonnerie, coiffure, Brigitte Macron sillonne sans se lasser l’immense machine à former. L’ancienne professeure de français déplore à voix haute les faiblesses de l’orientation scolaire et la vision négative des métiers manuels. Sur certains sujets de société, l’éducation en particulier, elle a un avis bien arrêté. Les élèves touillent du chocolat, étalent la pâte, roulent du biscuit. Toulmet leur fait l’article :  » Avec ce métier, vous pourrez gagner 7 000 euros par mois à l’étranger. Un bon pâtissier qui parle anglais, il va au bout du monde.  »  » Mais pourquoi tu veux me les faire partir ?  » rétorque la femme d’Emmanuel Macron, qui, le 21 février dernier, à Londres, exhortait les expatriés français à revenir au bercail.

Avec sa fille Tiphaine Auzière, pendant le discours d'Emmanuel Macron au Zénith de Lille, le 14 janvier dernier.
Avec sa fille Tiphaine Auzière, pendant le discours d’Emmanuel Macron au Zénith de Lille, le 14 janvier dernier.© DNPHOTOGRAPHY

Elle se montre curieuse de tout :  » Comment sait-on que le petit pain fait 12 centimètres ? Vous avez le compas dans l’oeil ?  » A un gamin déjà abîmé par la vie, en froid avec son père, elle glisse :  » Ça s’arrange en vieillissant.  » Leçon de sagesse ou fruit de l’expérience ? Un peu des deux sans doute. L’ancienne élève des religieuses a été à rude école :  » J’ai passé ma scolarité à ignorer le dossier des chaises, il fallait se tenir droite « , confie-t-elle. Sans rancoeur.

Surexposition médiatique

Certains apprentis n’ont aucune idée de l’identité de la dame :  » Je crois que c’est la directrice « , murmure un mitron. Beaucoup de Français, pourtant, ont parfaitement identifié Brigitte Macron, ses yeux bleus, sa chevelure blonde, son visage bronzé, ses robes courtes, dans un univers où la moindre excentricité détonne. En quelques mois, une surexposition médiatique assumée a fait de la femme d’Emmanuel Macron une people à part entière. Pour le pire, parfois : le 17 février, à Carpentras (sud-est de la France), alors qu’elle sort de l’ancienne chapelle des Pénitents-Blancs, où son mari vient de présenter ses mesures pour la sécurité, elle est insultée par une poignée de représentants des rapatriés d’Algérie, fous de rage après les propos du candidat d’En marche ! sur la colonisation, qualifiée de  » crime contre l’humanité « .  » Vendue !  » hurlent-ils au visage de sa femme. Pour le meilleur, souvent : quelques mètres plus loin, toujours à Carpentras, des passants la sollicitent pour des selfies, avant de lui réclamer une dédicace sur leur exemplaire de Révolution, le livre d’Emmanuel Macron (XO Editions). Elle rappelle qu’elle ne l’a pas écrit, signe malgré tout les livres qui se tendent :  » Pour Claude « , précise une jeune fille, rougissante.

Cette femme est une solution, pas un problème »

Ce jour-là, tandis qu’Emmanuel Macron prononce un discours à la mairie de Carpentras, son épouse a son propre programme. Comme souvent, il fait écho à celui de son mari, mais se cantonne aux questions sociétales : les rencontres avec les associations culturelles, humanitaires, de femmes.  » Il y a des choses qui se disent plus facilement à une femme « , justifie Sylvain Fort, responsable de la communication d’En marche !

Le parfait agenda de première dame. Dans le Vaucluse (sud-est de la France), elle a rendez-vous avec Rheso, qui accompagne les personnes en difficulté et les femmes victimes de violence. Pendant deux heures, avec son garde du corps et un militant d’En marche !, elle écoute. Rheso a besoin d’une tête d’affiche pour se faire connaître, tout comme la Croix -Rouge a pu profiter de la notoriété d’une Adriana Karembeu. Il faut conquérir les coeurs et les portefeuilles, les dirigeantes ont besoin d’argent.  » Elles m’ont demandé d’y réfléchir « , confie Brigitte Macron au Vif/L’Express en quittant les lieux.

Elle est une porte d’entrée pour accéder à son mari. La société civile en use et, parfois, en abuse : Emmanuel Macron a regretté sa rencontre avec un businessman dont il a découvert par la suite la réputation peu flatteuse. Tout le monde veut la voir pour faire porter son message. Elle permet que l’information remonte vite, confirme le maire de Lyon, Gérard Collomb, l’un des premiers soutiens socialistes de l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée. Si le sénateur du Rhône ne tarit pas d’éloges sur Mme Macron, il souligne que son omniprésence est moins marquante au fur et à mesure de la rationalisation de l’organisation et de la professionnalisation de l’équipe. Cela devrait calmer les esprits chagrins : plus il y aura de monde autour de Macron, moins le rôle de son épouse devrait être visible.

Brigitte Macron peut aussi bien dire à son mari qu’il a besoin de se reposer –  » Laissez-le souffler un peu « , insiste-t-elle lors des réunions d’agenda – que lui faire modifier une expression dans un discours :  » Si moi je ne comprends pas, personne ne comprendra !  » Il maintient les mots savants auxquels il tient, mais prend désormais la peine de les expliquer : à Toulon, le 18 février, juste après avoir parlé de  » taxinomie « , l’orateur précise qu’il s’agit de classer les papillons.

La femme du candidat place parfois les personnalités avant un meeting, comme à Lyon, le 4 février ; il lui arrive de s’entretenir avec des candidats à l’embauche avant leur recrutement au sein d’En marche !.  » Ça lui permet d’avoir un feeling avec l’équipe « , commente Sylvain Fort.

La femme du candidat place parfois les personnalités avant un meeting.
La femme du candidat place parfois les personnalités avant un meeting.© A. JEROCKI/DIVERGENCE

Elle peut aussi bien constater, comme il y a quelques semaines, qu’il manque un directeur de campagne, que descendre dans les étages du QG réconforter les bénévoles et papoter littérature avec eux :  » Elle m’a fait découvrir L’Etranger, de Camus « , raconte l’un d’entre eux ;  » On a discuté de Christian Bobin, un auteur qu’on aime beaucoup tous les deux « , se souvient un autre.

Liberté de ton

 » Cette femme est une solution, pas un problème, souligne un membre de l’entourage d’Emmanuel Macron. Elle n’a aucune volonté de l’enfermer, juste le désir de le protéger. Il faut simplement qu’elle fasse attention à sa liberté de ton : à l’intérieur, c’est un atout, à l’extérieur, ça peut provoquer un désastre.  » Pour l’instant, elle ne s’expose pas seule dans la presse : une fois, en avril 2016, elle s’est confiée à une journaliste de Paris Match pour évoquer son couple, et contrer les rumeurs qui bruissent déjà sur l’homosexualité supposée d’Emmanuel Macron. Le 6 février 2017, sur la scène de Bobino, c’est lui qui prend la parole pour démentir et assurer qu’il passe  » ses jours et ses nuits  » avec celle qu’il appelle  » Bibi « . Au premier rang, elle l’écoute, d’autant plus émue qu’il improvise.

 » Faire une campagne présidentielle, c’est passer dans une lessiveuse « , a dit un jour Nicolas Sarkozy. Emmanuel et Brigitte Macron ont commencé à l’éprouver :  » On se fait taper de tous les côtés, reconnaît-elle. C’est comme ça, je l’ai choisi. On aurait pu changer de mode de fonctionnement, mais on a décidé de ne pas le faire.  » Ils continuent donc à mettre en scène leur couple, leur amour, leur histoire. Elle continue d’être là, il continue de le lui demander. Elle continue de jouer les intermédiaires, il continue de se fier à son flair. Le vrai souci de Brigitte Macron, son irréductible ennemi, le combat qu’elle a perdu d’avance, c’est… le temps qui passe. Elle s’en amuse souvent devant ses proches :  » Il faut qu’Emmanuel réussisse maintenant. Vous imaginez la tête que j’aurai en 2022 ?  » Une forme d’autodérision, une manière comme une autre de justifier l’urgente nécessité de la victoire.

Par Élise Karlin et Corinne LhaÏk.

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