Thierry Fiorilli

« Berlusconi, l’improbable bouclier contre la barbarie »

Thierry Fiorilli Journaliste

Le flot ne se tarit pas. De rentrées littéraires, celles de septembre comme celles de janvier, en foires ou salons du livre, à Bruxelles, Paris, Beyrouth ou ailleurs, deux genres romanesques élargissent tant et plus les rayons qui leur sont consacrés. La dystopie et l’uchronie.

La première consiste en l’exact contraire de l’utopie : elle dépeint un lieu imaginaire et, comme la société qui y gravite et l’idéologie qui y domine, odieux et maléfique. En un mot : indésirable. C’est Big Brother, d’Orwell, Le Meilleur des mondes, d’Huxley, Ravage, de Barjavel, 2084, de Sansal, Soumission, de Houellebecq… La seconde décrit moins un endroit qu’un temps, ni passé ni à venir parce que, dans les faits, impossible : c’est celui qui serait, peut-être, advenu si l’histoire en avait décidé autrement. Si Napoléon n’avait pas perdu à Waterloo, si Hitler avait gagné la guerre, si Kennedy n’avait pas été assassiné, etc. C’est Fatherland, de Robert Harris, Le Maître du Haut Château, de Philip K. Dick, Voyage, de Stephen Baxter, V pour Vendetta, d’Alan Moore…

Les deux genres, bien que ne datant pas d’hier donc, cartonnent. Auprès de différents publics et tant au cinéma ( Hunger Games, L’Armée des douze singes, Inglourious Basterds, Retour vers le futur, Terminator, Jean-Philippe, Blade Runner, Matrix…), qu’au fil de pages et de pages. Ils inventent des mondes alternatifs au nôtre. Peut-être visionnaires (lorsqu’il est question de dystopies) mais pour autant totalement imaginaires. 100 % fictifs. Ce qui les relie à l’utopie, cette construction ou ce projet d’un idéal inaccessible, chimérique même. L’utopie est ainsi un non-lieu sublime, parfait, un impossible rêve, là où la dystopie est un non-lieu détestable, un cauchemar, et où l’uchronie est un non-temps, réjouissant ou non, mais forcément inenvisageable.

Berlusconi, précurseur de la trumpisation des idées et des pratiques politiques, donc de la société, désormais ultime bouclier contre la barbarie…

Dans ces trois cas, c’est l’alternative à notre réalité qui attire. Et qui est censée agiter le cortex du lecteur ou du spectateur. A activer ses neurones. A le faire réfléchir. Sur ce que nous vivons, collectivement, sur ce à quoi ça pourrait bien aboutir, et il faut espérer que nous n’y arrivions jamais, sur ce qui aurait pu advenir si les choses s’étaient mises autrement et sur ce qui pourrait survenir de formidable.

A lire Le Vif/L’Express de cette semaine, on constate combien utopies, dystopies et uchronies peuplent aussi ce qu’on réduit au terme  » actualité « . Ainsi, un multimillionnaire belge veut créer à très court terme un nouveau pays, sur un vrai territoire, où il n’y aurait pas d’Etat, pas de gouvernement, pas de taxes, pas d’organismes intermédiaires entre les citoyens et où tout se réglerait en monnaie virtuelle.  » Utopie.  »

En Italie, si Matteo Renzi, il y a un peu plus d’un an, n’avait pas échoué au référendum qu’il avait lui-même appelé de tous ses voeux, ou s’il ne l’avait carrément pas du tout organisé, pas certain que cet illustre pays d’Europe, qui oscille entre si vaste culture et si grande vulgarité, aurait si vite et si sûrement permis que, ce week-end, populistes et extrémistes de droite se disputent le pouvoir, renouant ainsi avec ses vieux démons.  » Uchronie.  »

Mais, Silvio Berlusconi, précurseur de la trumpisation des idées et des pratiques politiques, donc de la société, désormais ultime bouclier contre la barbarie… Imaginez ce gouvernement, qu’il dirigerait en coulisses (il est inéligible), avec les xénophobes de la Ligue du Nord et les post-néofascistes de Fratelli d’Italia… Avec, tout autour, depuis tant de pays voisins, tous ces miradors et ces barbelés aux frontières. Et ces minarets et ces synagogues toujours plus pris pour cibles…  » Dystopie.  »

Preuves que la réalité dépasse souvent la fiction. Particulièrement ces temps-ci.

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