© REUTERS/Hamid Mir/Ausaf Newspaper for Daily Dawn

Ben Laden : « Après sa voix, Al-Qaïda perd sa tête »

Pour Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences po et spécialiste du djihadisme*, la mort de ben Laden pourrait être fatal pour la centrale terroriste. D’autant que le « printemps arabe » avait déjà entamé son crédit.

La mort d’Oussama ben Laden est-elle, pour Al-Qaïda, le début de la fin ?

Le coup peut en effet être fatal pour cette organisation fondée en 1988. On y adhérait exclusivement en faisant allégeance à Oussama Ben Laden, une allégeance personnelle et absolue. On ne pouvait pas être coopté ni recommandé. D’où la vulnérabilité de l’organisation à la disparition de son créateur. Car rien n’était prévu en cas de disparition de Ben Laden, aucun mécanisme de succession n’avait été validé. Ni d’ailleurs pour aucun des autres chefs du mouvement. On l’a bien vu lorsque le chef de la branche irakienne d’Al-Qaïda, Abou Moussab al-Zarqaoui, a été tué en juin 2006 par les Américains. Il n’a jamais vraiment été remplacé. Et sa mort a été le début de la fin pour Al-Qaïda en Irak. Il y a toutes les chances pour que cela soit plus vrai encore s’agissant de la centrale elle-même. Aucune personnalité n’a le charisme ou la légitimité nécessaire pour succéder à Ben Laden.

Même le n° 2 de l’organisation, Ayman al-Zawahiri ?

Non. Ayman al-Zawahiri est à l’aise dans son rôle d’adjoint de Ben Laden parce que Ben Laden existe. Il est son porte-parole, son faire-valoir, voire son maître à penser, mais j’ai les plus grands doutes sur sa capacité à lui succéder. D’abord parce qu’il n’a pas le charisme nécessaire, mais surtout parce qu’il est égyptien. La force de Ben Laden était aussi de représenter en tant que Saoudien – né dans le pays des lieux saints de l’islam, même s’il fut ensuite déchu de sa nationalité – un peuple qui pouvait être agréé par l’ensemble de la diaspora djihadiste. Pour un Egyptien, comme d’ailleurs pour un Algérien ou un Jordanien, ce serait beaucoup plus problématique. Car, en vingt ans d’existence, Al-Qaïda n’a pas réussi à surmonter les rivalités entre ressortissants des différents pays.

Que va-t-il se passer pour les filiales d’Al-Qaïda, qu’il s’agisse d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (Aqpa), dont le siège est au Yémen, ou d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ?

Un responsable d’Al-Qaïda pour la péninsule Arabique a déjà qualifié, sous couvert d’anonymat, la mort de Ben Laden de « catastrophe », et le mot n’est sans doute pas excessif de son point de vue. La tourmente dans laquelle est plongé le Yémen depuis quelques semaines a mis en évidence la faiblesse d’Al-Qaeda dans ce pays. Elle y est apparue pour ce qu’elle est : une organisation d’une centaine de personnes, tout au plus, qui ne pèse que par sa capacité à jouer de l’icône qu’était Ben Laden. Plus généralement, les différentes succursales d’Al-Qaïda vont sans doute s’éloigner du centre, de la « base » (la signification, en arabe, du mot Al-Qaïda), donc, pour se recentrer sur leurs propres logiques nationales ou régionales.

Et pour Aqmi ?

En ce qui concerne Aqmi, il est probable que la mort de Ben Laden accentuera les dissensions internes, notamment les divergences entre le commandant de l’organisation, Abdelmalek Droukdel, qui avait été adoubé par Ben Laden, et Abdelhamid Abou Zeid, qui détient toujours plusieurs otages occidentaux (NDLR: dont les quatre Français enlevés à Arlit, au Niger, en 2010).

La branche maghrébine Aqmi est directement issue du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui était une organisation djihadiste algérienne…

Tout à fait. La transformation du GSPC en Aqmi s’est traduite par la montée en puissance de ceux qui souhaitaient s’insérer davantage dans le djihad global, face à d’autres commandants dont la logique était plus « algérianiste », davantage marquée par des préoccupations nationales. Les tensions entre ces courants, pour l’heure latentes, vont sans doute s’accentuer sans que l’on puisse dire à ce stade comment les choses évolueront.

Est-ce que l’on peut qualifier la disparition de Ben Laden de deuxième mort dans la mesure où Al-Qaïda était déjà en perte de vitesse ?

Complètement. Al-Qaïda a perdu sa tête après avoir perdu sa voix. Et sa voix, elle l’a perdue en restant silencieuse, ou en ne disant plus rien de pertinent, face aux grandes manifestations du mouvement démocratique arabe. A mon avis, la conjonction entre cette perte de sens d’Al-Qaïda face à un mouvement historique, qui représente le développement le plus important qu’ait connu le monde arabe depuis fort longtemps, et la disparition de Ben Laden pourrait bien être fatale à la centrale terroriste.

Que représentait encore Ben Laden pour un jeune « Facebooker » égyptien ou tunisien ?

Plus grand-chose. Peut-être encore le souvenir d’une certaine puissance, la symbolique d’une figure dont personne n’imagine voir Zawahiri ou un autre chausser les bottes. D’autant que le retour d’Al-Qaïda à ses sources pakistano-afghanes s’était accompagné, ces dernières années, d’un phénomène de « désarabisation ».

Quelles peuvent être les conséquences du raid américain et de la mort de Ben Laden pour le Pakistan ?

Je crois que ni l’Etat ni l’armée au Pakistan ne peuvent apparaître comme complices de la mort de Ben Laden. Mais, au final, à mon avis, elle les arrange plutôt. Cela va leur permettre de dire aux Américains que la crise afghane doit maintenant être disjointe du combat contre Al-Qaïda. C’est d’ailleurs ce que vient de déclarer le président afghan, Hamid Karzaï.

Propos recueillis par Dominique Lagarde * Les Neuf Vies d’Al-Qaida, par Jean-Pierre Filiu. Fayard (2009).

Wanted !

Ayman al-Zawahiri, le n° 2 d’Al-Qaïda. Ce médecin égyptien âgé de 60 ans était l’éminence grise de Ben Laden. Partisan du rétablissement du califat, il a fourni à Al-Qaeda ses racines idéologiques. Il serait le « cerveau » du 11 septembre 2001 ainsi que le principal organisateur des attentats contre les ambassades des Etats-Unis en Afrique en 1998 et contre le destroyer USS Cole, en 2000. Donné pour mort (à tort) en 2007, il a, en 2009, menacé la France de représailles pour sa position sur le voile islamique à l’école.

Nasir al-Wuhayshi, l' »émir » de la péninsule. Ancien secrétaire de Ben Laden en Afghanistan, l' »émir » d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique dirige l’organisation terroriste dans cette région depuis sa base du Yémen. Agé de 35 ans, ce Yéménite serait le cerveau de l’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Sanaa, en 2008.

Abdelmalek Droukdel, le chef d’Aqmi. Leader historique d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), cet Algérien de 41 ans avait revendiqué les attentats à la voiture piégée à Alger en 2007 (52 morts). Il se cacherait en Kabylie.

Abdelhamid Abou Zeid, le ravisseur. Réputé pour sa violence, ce quadragénaire algérien détient les otages français du Niger. En 2003, il s’était fait connaître en kidnappant 32 touristes dans ce pays. Aujourd’hui, il se poserait en rival d’Abdelmalek Droukdel pour le leadership d’Aqmi.

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