Mike Burry (joué par Christian Bale) est le premier trader à avoir décelé la faille. Les banques lui ont ri au nez. © JAAP BUITENDIJK

Banques: Les escrocs et les rapaces

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Adapter au cinéma Le casse du siècle, le livre sans doute le plus intelligent sur la crise des subprimes, était un défi. Le réalisateur Adam McKay l’a fait. Brillant et virulent. Pari gagné. Récit d’une incroyable arnaque.

Rien qu’aux Etats-Unis, 8 millions de personnes ont perdu leur emploi et 6 millions leur logement. C’est le résultat désastreux de l’arnaque organisée par les banques de Wall Street, avec la complicité des agences de notation. La crise des subprimes, vous connaissez ? Ou vous croyez connaître… En 2010, Michael Lewis, un ancien de la banque Salomon Brothers, publie un incroyable récit de non-fiction. Il relate le pari insensé d’une poignée de spéculateurs clairvoyants qui ont misé des millions de dollars contre les banques américaines, car ils étaient persuadés que le système des prêts hypothécaires subprimes allait s’effondrer.

A travers le regard corrosif de ces investisseurs excentriques, le récit documenté de Lewis, désormais adapté au cinéma (1), dissèque, avec une cruelle minutie, le krach de 2007 et donc l’inconscience calculée avec laquelle les banques américaines ont mis au point des outils financiers complexes dans le but de prêter de l’argent à des gens qui ne pourraient jamais rembourser. L’industrie des subprimes a réussi, en quelques années, à devenir le générateur de profits le plus puissant de Wall Street, avant de s’effondrer.

Au départ, l’idée était simple. Il s’agissait d’élargir le marché immobilier américain à tous les ménages, même les plus fragiles. Les crédits hypothécaires subprime (soit de moindre qualité, en anglais) étaient accordés à des emprunteurs moins fiables auxquels on imposait, en compensation, un taux d’intérêt plus élevé, variable, et sans qu’il y ait, pour ces prêts, de garantie de l’Etat. Pour appâter les emprunteurs, le crédit subprime était conçu par palier, avec des mensualités basses au départ, puis plus lourdes au fil des années.

Evidemment, les banques prenaient un risque. Pour disperser celui-ci, elles ont imaginé de titriser ces crédits, soit de transformer ces créances en titres financiers, en l’occurrence des obligations regroupées dans des fonds de placement. Dans ce système, c’est l’acheteur de titres qui bénéficie des remboursements d’intérêts des prêts. La banque, elle, touche une commission à chaque prêt et à chaque titre vendu. Tout le monde est gagnant. La machine des subprimes a vite tourné à plein régime. En 2005, ces prêts hypothécaires représentaient 625 milliards de dollars, contre 55 milliards cinq ans plus tôt.

Le problème est que les titres recouvrant des crédits risqués ne pouvaient recevoir une note favorable, proche du triple A, de la part des agences de notation, ce qui les rendaient moins faciles à vendre. Les banques – Goldman Sachs en premier – ont contourné l’obstacle en bricolant un nouveau produit financier. Lequel consistait à mélanger plusieurs types de prêts à la consommation, des moins risqués et des plus risqués, dans des fonds de placement dont les titres étaient appelés CDO (Collateralized Debt Obligation). Chaque CDO se composait donc de plusieurs tranches de prêts en fonction de leur risque de défaut de paiement.

Ce sont ces CDO qui feront chuter Wall Street, en 2007, car les banques se sont montrées de plus en plus voraces en cherchant à toujours améliorer la performance de ces titres, sans jamais s’interroger sur leur effet pervers. Les CDO sont devenus de plus en plus sophistiqués, certains étant eux-mêmes formés de CDO. En 2007, ces produits dérivés étaient d’une telle opacité que ni les investisseurs ni même les agences de notation ne pouvaient évaluer le degré de solvabilité des dettes hypothécaires auxquelles les titres étaient adossés.

Cueilleur de fraises mexicain

Or, les crédits immobiliers risqués étaient accordés à tour de bras. Certains prêts, baptisés  » ninja « , étaient même octroyés sans vérifier si l’emprunteur avait un boulot et des revenus. Dans son livre, Lewis cite le cas, en Californie, d’un cueilleur de fraises mexicain, ne parlant pas un mot d’anglais, qui gagnait 14 000 dollars par an et s’était vu octroyer un crédit hypothécaire de 724 000 dollars. Le rendement des CDO, et donc leur risque, ne dépendait pas directement des actifs qu’ils contenaient, mais plutôt de la méthode retenue lors de leur fabrication. Ainsi, nombre de CDO notés triple A contenaient des subprimes pourries…

Et aucun financier n’a anticipé le tsunami annoncé ? A Wall Street, tous étaient persuadés que, tant que les prix de l’immobilier grimpaient, le système – comparable à une pyramide de Ponzi – tiendrait bon et ils ne voyaient pas pourquoi les prix de l’immobilier ne grimperaient plus. Tous ? En 2005, loin de l’aveuglement cupide des grandes banques, quelques investisseurs lucides ont prédit l’explosion de cette bulle immobilière et parié à la baisse contre le marché des subprimes, s’en mettant in fine plein les poches. C’est leur pari que raconte Le casse du siècle.

Le premier de ces oracles, le Californien Mike Burry (joué par Christian Bale), ex-neurologue, borgne, fan de heavy metal, atteint du syndrome d’Asperger, a étudié, dès 2005, des milliers de prêts individuels adossés aux CDO les mieux notés et a découvert que ceux-ci étaient de véritables bombes à retardement. Il a alors convaincu Goldman Sachs de créer un produit d’assurance, soit un Credit Default Swap (CDS), pour couvrir le risque des CDO. A la banque, on lui a ri au nez mais les CDS ont néanmoins été lancés, vu que Burry voulait y investir des millions de dollars pour shorter (en jargon boursier), soit parier sur la baisse des CDO.

Ayant eu vent de la stratégie de Burry, un trader machiavélique de la Deutsche Bank, Greg Lippmann (Ryan Gosling), a persuadé le directeur atrabilaire du hedge fund new-yorkais FrontPoint, Steve Eisman (Steve Carell), de shorter également le marché immobilier des subprimes en investissant dans ces CDS. Ce qu’Eisman et son équipe ont fait, après avoir mené leur investigation notamment sur les défauts de paiement qui se multipliaient en Floride. A Berkeley (Californie), deux jeunes investisseurs amateurs, spécialisés dans l’achat des options à long terme en prévision de drames financiers, Charlie Ledley et Jamie Mai, ont misé sur le même cheval, avec l’aide de leur ancien voisin Ben Hockett (Brad Pitt), un financier repenti.

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Les CDO avariés ont continué à se vendre jusque mi-2007. Les banques ont été jusqu’à imaginer le CDO synthétique, constitué de… CDS. Alors même que le nombre de défauts de paiement explosait, les grandes banques cotées en Bourse ont résisté jusqu’au dernier moment, faisant douter nos investisseurs iconoclastes qui ont tout de même fini par gagner leur pari, empochant plusieurs milliards de dollars. Un pari amer, car ils savaient que ce système était une vaste escroquerie dont les victimes, des Américains peu aisés, allaient se retrouver à la rue. Eisman n’a cessé de dénoncer le jeu de dupes des banques, des agences de rating et de l’ancien président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan,  » qui savait ce qui se passait mais qui a laissé faire « .

 » Les gens disent que le système est truqué et il est difficile de prétendre le contraire « , confiera Charlie Ledley à Michael Lewis. Comme pour confirmer ce constat, en septembre 2008, le gouvernement américain débloqua 700 milliards de dollars pour éviter de nouvelles faillites bancaires, après la chute de Lehman Brothers. Finalement, les pertes des banques cotées en bourse, en raison de leurs mauvais investissements, furent transférées au contribuable. En mettant en scène cette incroyable arnaque, le film événement de McKay, assez fidèle au livre de Lewis (excepté les noms qui ont été changés), fait office d’oeuvre de salubrité publique. Difficile de lever les yeux de l’écran, au générique final, sans être envahi par un sentiment de révolte.

(1) Le casse du siècle, en salle dès le 30 décembre.

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