Le roi marocain Mohammed VI et le président sénégalais Macky Sall © AFP/Seyllou

Au Maroc, le roi reprend la main sur la vie politique

Le Vif

Le nouveau gouvernement marocain nommé mercredi par Mohammed VI consacre la mainmise des hommes de confiance du Palais sur les postes ministériels les plus stratégiques, au détriment du Parti justice et développement (PJD, islamiste), arrivé pourtant premier aux législatives.

C’est le « retour décomplexé de la monarchie exécutive », résumait jeudi le site d’information Le Desk.

Au regard de son score aux élections législatives d’octobre 2016 (125 sièges sur 398, soit plus que les cinq autres partis de la majorité réunis), le parti islamiste se retrouve dilué dans un gouvernement majoritairement technocratique, même si son numéro deux Saad Eddine El Othmani dirigera le gouvernement.

Il perd trois portefeuilles stratégiques, ne dirigera aucun ministère régalien et se contentera de portefeuilles de second plan.

Les départements de souveraineté (Affaires étrangères, Intérieur, Défense et Affaires islamiques) seront dirigés par des hommes ayant les faveurs du Palais. Au même titre que l’Éducation, désormais aux mains de l’ancien ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad.

Le Rassemblement national des indépendants (RNI), constitué de notables et de libéraux, se retrouve en position de force alors qu’il n’est arrivé que quatrième aux législatives. Il conduira de nouveau l’essentiel du pôle économique (Industrie et commerce extérieur, Agriculture, Economie), ainsi que l’important portefeuille de la Justice auquel tenait l’État-major du PJD.

– ‘Figuration’ –

Le patron du RNI, le milliardaire Aziz Akhannouch, a comme prévu été reconduit à la tête du ministère de l’Agriculture et la pêche maritime.

Ce gouvernement « marque la défaite cinglante des islamistes qui comptaient conforter leur influence politique », estimait jeudi Le Desk, pour qui le PJD est « cantonné à faire de la figuration » dans ce gouvernement malgré ses victoires électorales.

« La parenthèse ouverte en 2011 a été fermée », note pour sa part Nabila Mounib, figure de la gauche au Maroc, dans une déclaration au site Lakome2.

En 2011, des jeunes du « Mouvement 20 février », la version marocaine des Printemps arabes, réclamait des réformes politiques et l’instauration d’une monarchie constitutionnelle.

Le roi Mohammed VI avait alors entamé une réforme de la Constitution, renforçant notamment les pouvoirs du Premier ministre, tout en préservant sa prééminence politique et religieuse.

Le PJD avait remporté dans la foulée une première victoire historique lors d’élections anticipées, et son charismatique chef Abdelilah Benkirane avait été nommé Premier ministre.

Après cinq ans aux affaires, le PJD a conservé sa popularité et même gagné une vingtaine de sièges supplémentaires en dépit d’un bilan jugé mitigé. Reconduit à son poste en 2016 après une nouvelle victoire de son parti, M. Benkirane a buté sur la formation d’une majorité en raison de divergences avec M. Akhannouch, un proche du roi qui multipliait les conditions pour participer au gouvernement.

Si une partie de la presse imputait la responsabilité du blocage à M. Benkirane et son « entêtement », une autre voyait en M. Akhannouch une courroie de transmission du Palais pour contrer les islamistes.

Benkirane avait fini par être remplacé à la mi-mars par le numéro deux du parti, M. Othmani, considéré comme un homme de consensus, qui a rapidement cédé aux exigences d’Akhannouch.

– ‘Recalibrage’ –

Arbitre au-dessus des partis qui garde la haute main sur les affaires étrangères, la défense, la sécurité ou encore les secteurs clés de l’économie, Mohammed VI a opéré un « recalibrage de la vie politique », décrypte pour l’AFP le politologue Aziz Chahir.

Il a opté pour « une cohabitation de collégialité et de compromis, entre des représentants élus qui jouissent d’une légitimité démocratique et des technocrates expérimentés », analyse-t-il encore.

Cette situation suscite remous et dissensions dans les rangs de la formation islamiste, déjà affaiblie par la mise à l’écart de son chef, grand artisan de ses succès électoraux. Elle pose la question de savoir comment le PJD va gérer cette crise, alors que la presse locale fait d’ores et déjà état d’une « effervescence » et d' »accusations de trahisons » dans ses rangs.

« Ce gouvernement porte en lui toutes les conditions et les raisons de faiblesse, d’incohérence et d’implosion », estime dans une chronique le chercheur Abdellah Tourabi.

Tandis que le taux d’abstention est traditionnellement fort au Maroc, « le premier risque et danger est d’installer un climat de méfiance et d’irrespect à l’égard des institutions politiques. Les mots élections, vote, choix populaire, voix des urnes (…) sonneront creux et faux aux oreilles des Marocains », prévient-il.

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