Yvan Benedetti, leader de l'OEuvre française, un parti fasciste. © Christophe Morin/belgaimage

Au lit avec les fascistes

Le Vif

Prix Albert-Londres 2014, le journaliste et écrivain français Philippe Pujol publie une enquête intimiste, Mon cousin le fasciste. Ce cousin, c’est Yvan Benedetti, l’allégorie de la haine assumée. Cadre du Front national jusque en 2012, leader de l’OEuvre française, « le plus extrême des partis fascistes français », aujourd’hui dissous. Mais pour Pujol, ce type est aussi un souvenir d’enfance.

Depuis la sortie de votre livre, comment se passent les repas de famille ?

C’est compliqué à gérer parce que pour la famille proche, ce qui était secret devait rester un secret. Mais l’activité d’Yvan n’en est pas un. Il a même créé un média, Jeune Nation. Comme plusieurs écrits se préparaient sur lui, et sur moi par ricochet, j’ai préféré prendre les devants. Nous avons des ennemis communs au FN.

Votre cousin était-il partant pour ce livre ?

Il m’a dit :  » Je ne suis pas contre.  » Il est pour la liberté d’expression, lui qui en réclame une totale pour lui. Je lui ai fait relire le texte avant publication. Il ne m’a proposé aucun changement. Il m’a fait comprendre son désaccord avec la plupart des commentaires et aujourd’hui je pense qu’il a déjà oublié que le livre existe. Il est sur un combat bien plus profond pour lui. J’ai eu la possibilité d’intégrer un monde qui n’est pas accessible aux journalistes. De pouvoir accompagner le pèlerinage de l’organisation d’extrême droite La Phalange à l’île d’Yeu, pour aller fleurir la tombe de Pétain. Le livre commence avec Yvan et moi assis dans un lit. C’est  » in bed with fascists « . Cette proximité est d’une efficacité redoutable, elle me permet de raconter ce qui ne l’est pas.

Philippe Pujol.
Philippe Pujol.© Philippe Matsas/Reporters

Etait-ce une médiatisation bienvenue ? Yvan Benedetti n’est ni très suivi, ni très médiatisé.

Ne pas raconter les fascistes aujourd’hui, c’est certes ne pas leur faire de pub, mais c’est aussi leur laisser gagner la victoire de la rhétorique, du langage, des idées. Je pense qu’il faut les raconter parce qu’on ne combat efficacement que ce qu’on connaît bien.

On sourit à la lecture de certains passages. Est-ce grave de rendre les facistes humains ?

Ils le sont. Imaginer que les fachos sont des gros boeufs qui se bagarrent et boivent de la bière en permanence ne va pas nous aider à les comprendre, à nous battre efficacement contre eux. Hervé Ryssen, l’essayiste révisionniste et antisémite, ne s’est jamais bagarré. Il a une vie normale mais une idéologie extrême.

On est très proches d’eux mais à la fin de l’ouvrage, sur les vingt dernières pages, vous vous en écartez pour porter un regard plus analytique.

L’idée était d’être au plus près, de raconter cet impressionnant tourisme fasciste. Il fallait ensuite placer ces activités dans le contexte. Je voulais faire un zoom arrière, remettre en perspective notre histoire personnelle et intime, qui devient une histoire de groupe puis nationale, voire européenne.

Entre Yvan Benedetti et vous, il y a ce lien familial, mais aussi un respect entre idéologues. Vous publiiez à La Marseillaise, journal communiste.

J’ai été dans le camp des pires, les  » bolchs « . Je reçois le respect qu’on doit à ses ennemis. L’adversaire, c’est ce qui permet d’exister quand vous êtes en guerre. Et pour Yvan, je ne suis pas vendu au système : je suis dans le combat du système. Selon lui, nous aurions ça en commun. Ce n’est pas totalement faux sauf qu’il parle d’un système avec un grand S, d’une grande conspiration, alors que je parle de dysfonctionnements de société.

Il n’a jamais cherché à vous convaincre ?

Il ne l’a fait avec aucun membre de la famille. Il s’est donné cette règle. Il sentait bien que c’était déjà compliqué pour lui avec la famille. Il chantait des chants fascistes, évoquant le général Salan, chef de l’OAS en Algérie. Et moi, je répétais sans savoir de quoi ça parlait. Il a été formé pendant toutes les années 1980, en Espagne, par Léon Degrelle. C’était un grand monsieur pour lui.

Il se revendique fasciste.

Oui. Et il ne prononce pas  » fachiste  » mais  » façiste « . C’est à ce c cédille qu’on reconnaît les vrais. Ils font référence au faisceau. Un faisceau des forces de la nation vers le dictateur pour le bien-être de la nation. C’est une idéologie marquée, compréhensible. On appelle fachos les populistes mais la plupart n’en sont pas, politiquement parlant. Même Marine Le Pen ne l’est pas. Elle est d’extrême droite mais pas fasciste. Par contre, pratiquement tous les copains fascistes d’Yvan, sauf lui, sont dans le FN. Ils forment un noyau dur et n’ont qu’une envie : que Marine Le Pen prenne le pouvoir pour ensuite la faire sauter. Un mouvement en deux temps. Ils ne sont pas nombreux mais sont dans la police, dans l’armée, commencent à être dans la justice. Ce sont plutôt des gens qui réfléchissent, qui ont des stratégies, avec une grosse capacité de persuasion chez les gens vulnérables. Ils tiennent de grands discours avec beaucoup d’héroïsme. Et le héros finit toujours de manière dramatique. Ils sont hyperactifs. Ils ne sont pas démocrates, ils ne visent pas le pouvoir par les urnes. L’important, c’est d’être là, prêts au bon moment. Lors d’une phase de troubles de deux ou trois jours.

C’est une erreur de les résumer à du folklore nauséabond ?

Les marches, les discours, tout ce cadre, ce protocole, ce culte du chef : c’est folklo mais c’est leur force aussi. Ce que je ne soupçonnais pas, c’est l’intensité du tourisme fasciste. Ils passent leur temps à se visiter, commémorer, rappeler la doctrine, les ainés. José Antonio Primo de Rivera a mis Franco au pouvoir, il est mort en 1936, mais il est toujours avec eux. Ils clament  » José Antonio « , et l’un d’eux crie  » présent !  » Ils font l’appel des morts. C’est militaire. Ils n’oublient pas ceux qui sont tombés au combat. Je ne connaissais pas le rôle d’Yvan, très actif dans cette Europe fasciste. Il a organisé le Forum de l’Europe, le rassemblement annuel de fascistes européens. Il visite Aube dorée, en Grèce, se rend très souvent en Belgique. Avec ce lien permanent, ils se connaissent tous. C’est le village des fachos.

Mais Yvan Benedetti a été exclu du FN en 2012.

Pour la dédiabolisation. C’est logique. Pour dédiaboliser, vous faites partir les diablotins en premier. Yvan et quelques autres se sont fait virer parce qu’ils sont le FN le plus dur qui soit. Mais d’autres, qui ont su tenir leur langue, restent et soutiennent Yvan de l’intérieur. Quand des proches d’Yvan réactivent le PNF (NDLR : Parti nationaliste français, extrême droite), c’est Jean-Marie Le Pen qui écrit une lettre en disant qu’on a besoin d’eux. Le lien avec ce noyau dur existe via Jean-Marie Le Pen et son bras droit, Bruno Gollnisch.

Le premier ennemi d’Yvan Benedetti est le  » système politique judaïque « . Il surfe peu sur l’islamophobie.

Il est nationaliste. Ce sont les identitaires qui sont islamophobes et crient au califat sur la France. Yvan veut revenir à une France des villages, avec un système de castes. Il a une idéologie précise, bien marquée, un peu monarchique, pétainiste. Pour lui, l’ennemi, c’est la mondialisation. Soit, pour un fasciste, les yankees et les juifs. Il considère que les musulmans qui luttent en Palestine contre Israël sont nécessaires. C’est pour ça qu’il est aussi très proche du général Aoun, catholique et président libanais. Yvan connaît très bien l’histoire, c’est un érudit. Bon, cela dit, il n’est pas amoureux des Arabes…

On l’a vu hurler pour l’expulsion des migrants lors de réunions à Calais.

Bien sûr, mais pour Yvan, ce sont les juifs qui nous envoient les migrants. Les conspirationnistes arrivent toujours à rendre cohérente leur pensée. Son ennemi prioritaire, assumé, matraqué, c’est le judaïsme politique, donc le juif, ensuite les homosexuels parce qu’ils représentent la destruction de la famille, et enfin les musulmans.

Ce noyau dur de fascistes constitue une menace réelle ?

C’est une menace qui existe. Forte ? Je n’en sais rien. Mais ces gens sont le coeur du FN, ce qui fait exister ce parti. La dédiabolisation, même si elle est réelle pour certains, n’est qu’en surface. Quand je vois voter FN des juifs, des Arabes, des Espagnols ou Italiens dont les grands-parents ont fui Franco ou Mussolini… Ils doivent se rappeler que les membres du noyau dur du FN se considèrent comme les héritiers de gens qui ont massacré leur famille.

L'opération de dédiabolisation du FN, oeuvre de Marine Le Pen, n'agit qu'en surface.
L’opération de dédiabolisation du FN, oeuvre de Marine Le Pen, n’agit qu’en surface.© Jeff J Mitchell/Getty images

Avec le vote FN, vous évoquez une intégration par le racisme…

Je l’ai constaté à Marseille et ailleurs. Vous êtes un Algérien de troisième génération. Vous êtes un Français, mais on continue à considérer que vous n’êtes que  » Momo « . Vous allez dans votre bar PMU jouer au bingo ou au tiercé. Un jour, avec les Espagnols et les Italiens, vous dites :  » Allez, Marine « . Et vous commencez à faire partie de la famille. Vous êtes Français puisque vous votez pour les nationalistes, les souverainistes. Il n’y a pas plus français que de voter pour un parti qui prône la France d’abord. Pour être complet dans cette intégration par le racisme, le dernier arrivé ferme la porte. Le dernier migrant est persuadé que lui était obligé de venir mais que le prochain est de trop. Ajoutons la peur de déclassement. Les  » intégrés  » ne veulent pas revenir en arrière. Ils veulent a minima rester là où ils sont. Cette peur est le principal moteur du FN.

Comment, en tant que journaliste, change-t-on le cours de choses ?

On veut influer sur le monde même si je ne me fais aucune illusion. J’espère une influence en cascade. Je suis lu par des journalistes qui eux-mêmes agissent. Et je crois au fait de réhumaniser le débat, d’abaisser les tensions et renvoyer le FN là d’où il vient. J’y crois. Si le parti ne prend pas le pouvoir en 2017, alors qu’ils auront eu toutes les planètes alignées… Aujourd’hui, ils ont toutes les cartes en main : une gauche désunie, une droite qui est minée par les affaires, des attentats, Trump, le Brexit. Et des médias qui s’en amusent pour l’audimat. C’est un régal.

Entretien : Olivier Bailly.

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