Luc Delfosse

« Au fond, à part les bananiers et un ciel si bas, rien ne ressemble plus au Panama que la Belgique »

Luc Delfosse Auteur, journaliste

Ce qu’il y a de moche pour ces gens-là, c’est que le TGV Amérique (du Sud)-Paris (Nord) mettrait plus de 1 h 25 pour rallier leur QG. Il ne faut pas se cacher la face : voilà pourquoi – pour, au fond, une ridicule affaire de pendule – des milliers d’échappés de l’impôt considèrent que Bruxelles est encore et toujours un little Panama.

Au fond, à part les bananiers et un ciel si bas, rien ne ressemble plus au Panama que la Belgique

Notez, au risque de vous en étonner, que, mis à part les bananiers, les deux pays ont de ces ressemblances dignes de frapper les esprits ! Regardez donc : deux confettis sur la carte du vaste monde, des canaux remarquables, des systèmes bancaires ultrasophistiqués (et les prouesses d’innombrables fiscalistes qui font la paire), un taux de chômage carabiné, des faveurs mirobolantes accordées aux multinationales, plusieurs langues indigènes…

En commun aussi, un certain amour des galurins, des chefs d’Etat qui aiment à siroter un jus frais dans un spa quand la situation est trop tendue et même des dinamiteros derrière lesquels courent d’innombrables robocops. Ces guerriers sont évidemment forcés d’intervenir parce que, ici comme là-bas, soyez-en sûr, il n’y a jamais un peso de disponible quand il s’agit d’investir dans l’essentiel : les services de proximité, l’enseignement, le logement… Et ne parlons pas de culture. Mais ici comme là-bas, nos deux nations, au nom de la liberté, ne manquent jamais de milliards pour renouveler un armement lourd qu’il faudra bien roder au-delà de nos petites frontières.

Il y a cependant une différence majeure entre eux et nous. Au Panama, la caste restreinte des cousus d’or, qui entendent logiquement faire fructifier leur fortune, n’a qu’à traverser la rue. Et hop : « Bonsoir, ce serait pour un placement… » Ici, la manoeuvre est plus longue. Ça se mérite, le Panama ! Entrent en scène des entremetteurs, puis des Nobels de l’ingénierie fiscale et, enfin, des Houdini du pognon black. Or, rien n’est plus poreux que ces officines où l’on dit cultiver le secret comme nous les rosiers. Un jour, avec cette armée de « fouille-merdes en mal de copie », c’est l’embardée. Les gazettes crachent des noms. Et, mazette, quels noms ! Les plus grands ! Les plus forts ! Les plus sanguinaires ! Bref, les plus madrés dont la planète entière a vu mille fois la trombine et entendu les « exploits  » supposés. On ouvre un instant la bouche comme la baleine de Jonas. Puis, avouez : on se dit qu’on le savait. On le savait même de père en fils que ces gens-là…

Plutôt, on le devinait. On le chuchotait à propos de certains voisins « bien dans leurs papiers ». On en souriait, l’air un peu gêné. Les privilégiés, « ceux qui en avaient un peu sur le côté », finissaient par se refiler les bons tuyaux dans le Bruxelles (Midi)-Luxembourg (Terminus). Ah ! c’était le bon temps. Le temps d’avant la ou plutôt, les DLU. Lesquelles, il faut tout de même en convenir, n’ont jamais atteint que le seul et ridicule montant du compte de l’un des oncles Picsou planqués à Panama. Une broutille.

Oui, mais la morale ? Bof. Comme la fortune : une question d’échelle. Et cette propension à voir la poutre dans l’oeil de l’autre, forcément s’il est bronzé ou tangue aux sons des mariachis, est absolument universelle.

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