Sur la route entre Butembo et Goma, l'OMS procède à la désinfection des mains d'un pilote de moto-taxi. © J. wessels/afp

Au Congo, le combat sans fin contre Ebola

Le Vif

Voilà plus d’un an que la fièvre hémorragique ravage l’est de la République démocratique du Congo. Si de nouveaux traitements ravivent l’espoir, l’insécurité et la défiance des communautés affectées entravent la lutte.

Une lueur d’espoir dans un ciel sépulcral. Lueur fragile et un rien énigmatique pour les non-initiés, car elle émane de deux formules absconses : Regn-EB3 et mAb114. En clair, les noms de deux nouveaux traitements de la fièvre hémorragique Ebola, terrifiant virus hypercontagieux, transmis via les fluides corporels, sang, salive, sécrétions, vomissures ou excréments. A en juger par l’essai clinique conduit par une agence américaine en République démocratique du Congo (RDC), ces molécules seraient à même de réduire le taux de mortalité des malades infectés par ce virus, le ramenant à 30 % environ, contre 50 % avec les médicaments en usage, et près de 70 % en l’absence de toute démarche curative.

Le temps presse. Déclaré le 1er août 2018, le nouvel épisode épidémique – le dixième en RDC depuis 1976, date de la découverte du premier foyer, dans le nord du Zaïre d’alors – apparaît comme le plus virulent après l’hécatombe survenue entre décembre 2013 et janvier 2016 en Afrique de l’Ouest (11 300 morts entre Liberia, Sierra Leone et Guinée-Conakry, selon une estimation minimaliste). A ce jour, on dénombre plus de 2 006 décès.

Certes, la flambée en cours paraît circonscrite aux provinces orientales du Kivu et, à un moindre degré, de l’Ituri. Mais flotte sur le coeur du continent le spectre d’une contamination de centres urbains densément peuplés, voire de la propagation du mal au-delà de frontières poreuses, vers le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi ou le Soudan du Sud. Il aura d’ailleurs fallu attendre la détection à la mi-juillet d’un premier cas confirmé à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu et carrefour commercial aux 1,5 million d’âmes, pour que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) consente à élever l’épidémie au rang d' » urgence de santé publique de portée internationale « .

 » Le phénomène est hors de contrôle, constatait, le 12 août, sur les ondes de RFI Jean-Hervé Bradol, de Médecins sans frontières. D’où un certain désarroi.  » Plusieurs facteurs amplifient les ravages de la fièvre tueuse. A commencer par l’insécurité chronique qui accable depuis des lustres l’est de la RDC, paradis des rebelles, des pillards, des violeurs et des tyranneaux en uniforme. Pour preuve, les exactions perpétrées dans les alentours de Beni, l’un des épicentres de l’épidémie, par les miliciens des Forces démocratiques alliées, un groupe islamiste à l’idéologie indéchiffrable né en Ouganda. Citons encore, dans le même secteur, les combattants Maï-Maï, actifs dans les deux Kivu. A ce stade, les experts les plus pointus recensent dans les parages une bonne centaine de groupes armés.

D’autres écueils, culturels ceux-là, entravent l’exténuante bataille contre le virus. Au premier chef, l’ignorance, mais aussi la méfiance qu’inspire, au sein de populations délaissées ou asservies, l’action – ou l’inaction – d’un Etat exécré. On n’efface pas aisément les stigmates d’un demi-siècle de dictature, qu’elle fût incarnée par le maréchal Mobutu ou par les Kabila père et fils. Au mieux, les communautés réfractaires se réfugient dans le déni ; au pire, elles avalent les rumeurs conspirationnistes les plus démentes, volontiers colportées par des politiciens locaux en quête d’audience et de clientèle. A en croire diverses études, de 25 à 40 % des civils exposés croient dur comme fer que le virus Ebola n’est qu’une fiction. Ou que, s’il existe, il serait inoculé sciemment par, au choix, les autorités de Kinshasa ou des comploteurs étrangers, afin d’exterminer telle collectivité ethnique ou de prélever en catimini des organes.

Au Congo, le combat sans fin contre Ebola
© art presse

Un rejet de tout ce qui vient de Kinshasa

Adossé à l’alibi Ebola, le report des scrutins présidentiel, législatif et provincial du 30 décembre 2018 dans les régions de Beni et de Butembo, acquises pour l’essentiel à l’opposant Martin Fayulu, challenger privé de sa victoire au prix d’un grossier montage, a bien entendu politisé la crise et dopé la suspicion. Sur ces terres hostiles, tout ce qui vient de l’Etat ou de Kinshasa suscite un rejet radical. Qu’il s’agisse du fonctionnaire, du médecin, du policier ou du soldat.

D’autant que le pouvoir central, ou ce qui en tient lieu, a toujours brillé par son absence et son incurie, quand les soudards de toutes obédiences, la rougeole, la malaria et le choléra dévastaient impunément bourgs et campagnes. De même, les prescriptions sanitaires dictées par la nécessité vitale de contenir l’épidémie heurtent les usages ancestraux, tels les rituels funéraires, très tactiles. Voilà pourquoi on cache les malades et on planque les cadavres. Voilà aussi pourquoi on incendie les centres de traitement Ebola (CTE), perçus comme des mouroirs opaques, on entrave les campagnes de vaccination et on pourchasse les agents de santé venus d’ailleurs, cibles d’appels au meurtre récurrents, et dont beaucoup s’acquittent avec vaillance d’un sacerdoce suicidaire.

L’OMS et les ONG ont fait le compte : 200 attaques en un an à peine. Ici, on fauche à la machette un chauffeur ou un volontaire coupable de plaider en faveur d' » enterrements dignes et sécurisés « . Là, on décapite un infirmier rançonné en vain. Le 19 avril dernier, le Dr Richard Mouzoko, un épidémiologiste camerounais de l’OMS, a été assassiné par balles dans l’enceinte de l’hôpital de Butembo. Parmi les commanditaires identifiés, quatre médecins locaux, sans doute mus par la jalousie. C’est que l’argent déversé pour la cause et l’afflux de 4 x 4 dernier cri attisent rancoeurs et convoitises. Au fond, pour les prédateurs de l’Est congolais, Ebola est un business parmi d’autres, au même titre que les gisements d’or et les minerais rares.

Nul doute que l’OMS, Kinshasa et le ministère congolais de la Santé ont commis de coûteuses erreurs tactiques. Notamment en  » militarisant « , à coups d’escortes fournies par une armée détestée, la protection des équipes sur le terrain, ou en acheminant de force des malades réticents jusqu’aux CTE. De même, sans doute eût-il été plus avisé de prendre appui sur les dispensaires locaux plutôt que de bâtir ex nihilo des cliniques à la modernité inquiétante. Et plus pertinent de privilégier le recours aux chefferies coutumières, au lieu de s’adosser aux politiciens locaux.

Reste à miser sur l’inflexion amorcée en juillet, censée traduire dans les faits l’impératif de transparence. Intronisé six mois plus tôt, le président Félix Tshisekedi a alors confié la coordination de la riposte à Jean-Jacques Muyembe, virologue respecté et aguerri. Et tant pis si la promotion de ce pionnier a précipité la démission du ministre de la Santé, hostile, quant à lui, à l’introduction d’un second vaccin expérimental.

Point de remède miracle. La lutte reposera toujours sur le triptyque vaccination préventive, recherche minutieuse des personnes ayant côtoyé les individus contaminés, traitement curatif. Le 13 août, Kinshasa a annoncé la guérison de deux des quatre malades identifiés à Goma. En l’occurrence, l’épouse d’un orpailleur décédé onze jours plus tôt et leur garçonnet de 1 an. Le prénom de Madame ? Espérance.

Par Vincent Hugeux.

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