© Belga

Au Brésil, la lutte anticoronavirus minée par la politique

Le Vif

Minimisation de la pandémie, remise en question du confinement, cacophonie entre les différents niveaux de pouvoir: au Brésil, les profondes divisions politiques sont un frein à la lutte contre le coronavirus, avec déjà un lourd bilan humain.

Le week-end dernier, ce pays de 210 millions d’habitants aux dimensions continentales a franchi la barre des 10.000 morts et 150.000 cas confirmés.

Cela n’a pas empêché le président d’extrême droite Jair Bolsonaro de continuer de critiquer le confinement appliqué par les gouverneurs de presque tous les Etats, arguant que l’économie et le retour à l’emploi étaient prioritaires.

Son discours est même allé à l’encontre des directives de son propre ministre de la Santé, qu’il a fini par limoger fin avril, après d’incessantes divergences étalées au grand jour.

« Quand il y a une telle cacophonie, un tel désaccord sur les politiques publiques à mettre en place, ça ne peut déboucher que sur une tragédie », prévient l’historien brésilien Sidney Chalhoub, professeur à Harvard.

Il cite en exemple une épidémie de choléra qui a fait plus de 10.000 morts à Hambourg, plus grand port d’Allemagne, à la fin du XIXe siècle.

« La seule grande ville européenne touchée à l’époque était Hambourg, parce qu’elle était gouvernée de façon autonome par des commerçants, qui ont refusé toute mesure de quarantaine », raconte-t-il.

« Les intérêts économiques de l’élite politique ont prévalu sur les questions de santé publique, causant au final une catastrophe économique bien plus importante », poursuit l’historien.

Polarisation par la peur

Selon un sondage de l’institut Datafolha fin avril, 67% des Brésiliens jugent la distanciation sociale nécessaire pour endiguer la pandémie de coronavirus.

Mais ces dernières semaines, des partisans de M. Bolsonaro ont organisé, avec la bénédiction présidentielle, des manifestations dans plusieurs villes pour réclamer la fin du confinement. Ils s’en sont pris avec virulence à la Cour suprême et au Parlement, qui n’ont eu de cesse de tenter d’entraver les décisions du chef de l’Etat.

A Brasilia, le ministre des Affaires étrangères, Ernesto Araujo, est allé jusqu’à évoquer un complot international pour « utiliser la pandémie afin d’instaurer le communisme ».

Le chef de l’Etat lui-même est apparu, à plusieurs reprises, haranguant des supporters massés devant son palais présidentiel, sans masque, et n’hésitant pas à serrer de nombreuses mains.

Pendant ce temps, les gouverneurs de Rio ou Sao Paulo s’échinaient à faire passer le message « Restez chez vous » à des habitants déboussolés et respectant de moins en moins le confinement.

Au-delà des questions idéologiques, les divisions ont dépassé depuis le début de la pandémie le clivage droite-gauche, à son apogée lors de l’élection de M. Bolsonaro en 2018.

D’après une étude menée par le politologue Carlos Pereira, de la Fondation Getulio Vargas auprès de personnes se disant de droite ou de centre droit, 56% sont d’accord avec la façon dont le président gère la crise sanitaire, mais 40% la rejettent.

« Plus les gens sont touchés par la contamination ou la mort de proches, plus ils s’éloignent de la posture de Bolsonaro », explique le chercheur à l’AFP.

Discours antiscience

Pour la sociologue Debora Messenberg, de l’Université de Brasilia, on parle aujourd’hui d’un « débat entre démocratie et autoritarisme ».

« Nous sommes en présence d’un gouvernement d’extrême droite, antidémocratique », estime-t-elle ajoutant que certains de ses partisans se reconnaissent dans des « idéaux fascistes ».

Des manifestations pro-Bolsonaro ont dégénéré, avec des agressions de journalistes ou même d’infirmières qui protestaient symboliquement contre le manque de moyens des services de santé.

Des scientifiques de Fiocruz, institut de recherche en santé publique de référence, ont reçu des menaces sur les réseaux sociaux en raison de résultats préliminaires d’études remettant en cause l’efficacité de la chloroquine, défendu comme le remède miracle par M. Bolsonaro.

Pour Sidney Chalhoub, le Brésil, tout comme les Etats-Unis, doit faire face à la pandémie avec un président qui « milite contre la connaissance ».

Pour lui, le fait d’opposer de façon « irrémédiable » la catastrophe sanitaire et la catastrophe économique, est une vision « totalement nocive », qui risque d’entraîner une aggravation des deux crises.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire