"Une convergence d'échéances électorales associée à une forte mobilisation peut encore faire capoter les choses." © FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

« Attention, le TTIP n’est pas enterré ! »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Pour ses opposants, la fin annoncée du traité USA – UE est une manoeuvre de diversion pour mieux faire passer le Ceta, l’autre traité transatlantique entre l’Europe et le Canada, dont la signature est imminente.

Le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel a annoncé que le traité transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis n’aboutirait pas avant les élections américaines. La France s’apprête à demander l’arrêt des négociations, lors de la réunion des ministres du Commerce extérieur de l’UE à Bratislava, le 22 septembre. Une réunion lors de laquelle les mêmes ministres doivent préparer la signature finale du Ceta, le partenariat entre l’Europe et le Canada. Pour les anti-TTIP, dont fait partie Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE (CSC-employés), on tente de nous leurrer.

Le traité transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis est-il enterré, comme on l’a annoncé ?

Non, pas du tout ! On assiste à une manoeuvre de diversion des gouvernements allemand et français qui ciblent désormais le TTIP. Or, dans l’agenda politique, ce n’est pas le TTIP qui est à l’ordre du jour, mais le Ceta, le partenariat transatlantique avec le Canada, déjà négocié, qui doit être ratifié le 27 octobre. Le Ceta, nous le disons depuis longtemps, est le cheval de Troie du TTIP. Si le premier est adopté, il sera très difficile d’arrêter le second, parce que les deux traités sont jumeaux et que 80 % des multinationales étasuniennes ont des filiales au Canada. En outre, le Ceta sera d’application dès le 28 octobre prochain, provisoirement, en attendant la ratification par les Etats.

La mobilisation des mouvements citoyens reste donc intacte ?

Elle doit l’être. Les gouvernements européens, dont celui de Charles Michel qui a inscrit la ratification des deux traités dans son accord de majorité, sont en train de gagner la bataille. Le 20 septembre, il y aura une action importante à Bruxelles, rue de la Loi.

Le secrétaire d’Etat français Matthias Fekl dit que le Ceta est un bon traité qui n’a pas les défauts du TTIP. Faux ?

Felipe Van Keirsbilck :
Felipe Van Keirsbilck : « La position wallonne peut bloquer les projets de traité transatlantique. »© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Soyons sérieux, ces deux traités visent surtout à lever les barrières commerciales non tarifaires, car les barrières tarifaires, comme les droits de douane, n’existent quasiment plus entre l’Amérique du Nord et l’UE. Les barrières non tarifaires, ce sont les normes écologiques, sociales, dont le droit du travail, et les politiques économiques nationales. Le Ceta interdit aux Etats, par exemple, de limiter la taille des entreprises financières et le volume des transactions. Huit ans après la crise bancaire… Le Ceta prévoit aussi un mécanisme d’arbitrage privé, permettant aux multinationales d’attaquer les Etats, similaire à celui qui est dénoncé pour le TTIP. Même si, ici, les juges arbitraux seraient permanents, on est très loin d’un tribunal public avec des magistrats représentatifs d’une instance démocratique, ne fût-ce que parce qu’ils seraient partiellement payés par les parties au conflit. Or, une décision arbitrale peut avoir des conséquences énormes.

Depuis le Brexit, le TTIP n’a-t-il pas moins de raisons d’être, les Britanniques étant les meilleurs alliés des Américains ?

Le Brexit ne tuera pas le TTIP, car, au sein de l’UE, le rapport de force reste très favorable au traité. Sauf manoeuvres telles que celle évoquée, aucun gouvernement d’Europe ne s’est prononcé contre. Du côté américain, un accord reste important. Et cela n’empêchera pas les Etats-Unis de conclure un accord parallèle avec le Royaume-Uni.

La mobilisation anti-TTIP et Ceta peut-elle être déterminante ?

Pour le TTIP et le Ceta, il est clair qu’une convergence d’échéances électorales associée à une forte mobilisation peut faire capoter les choses. Il y a trois ans, en Belgique, la mobilisation se résumait à la CNE, la CGSP-Bruxelles et les agriculteurs wallons. Lors des premières manifs, on était cinquante… Le 20 septembre, j’espère qu’on sera 10 000. La coalition stopttip.be réunit des dizaines d’associations de tous bords. Et pas seulement d’extrême gauche, comme l’a déclaré Didier Reynders. Ou alors Test-Achat, Greenpeace, la mutualité libérale, la CGSLB… sont d’extrême gauche ! Par ailleurs, même l’Union des classes moyennes (UCM) estime que le TTIP est dangereux pour les PME. En dehors de la FEB, du MR et de la N-VA, qui est encore favorable à ces traités ?

Fin avril, le parlement wallon a voté une résolution contre le TTIP et contre une mise en oeuvre provisoire du Ceta. Cela peut-il aussi entraver la machine ?

Oui, puisque le gouvernement fédéral ne peut pas, en principe, engager la Belgique sur le Ceta s’il n’a pas l’accord des Régions. Il sera obligé de s’abstenir le 22 septembre, lors de la réunion des ministres du Commerce, et puis en octobre. Peut-on avaliser le traité s’il y a une abstention ? Les juristes du Conseil de l’Europe en débattent, pour le moment. On verra si le ministre- président Paul Magnette, qui doit sans doute subir d’énormes pressions de l’Europe, tiendra. Car la position wallonne est isolée. Un retournement de veste serait incroyable, mais on en a déjà vu d’autres en Belgique. Nous restons vigilants.

Sur le plan géopolitique, l’Europe peut-elle se permettre de stopper le Ceta et le TTIP, alors que le TransPacific Partnership (TPP), négocié entre les Etats-Unis, le Canada et l’Asie (hors la Chine), est bien avancé ?

On ne peut bien sûr l’ignorer. Mais si les Etats-Unis négocient des traités sur les deux flancs, pacifique et atlantique, qui couvriront 80 % du commerce mondial, c’est pour rester au centre du jeu. Le TTIP est un Otan économique. L’Europe va-t-elle rester une dépendance de Washington, comme dans l’Otan ? Ou doit-elle développer sa propre vision d’un commerce international acceptable et négocier aussi avec de grands acteurs comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et, pourquoi pas, la Chine ?

Le problème de l’UE n’est-il pas d’avoir raté son intégration industrielle face à des géants américains comme Amazon, Monsanto ou Caterpillar ?

Tout à fait. On le voit aussi avec la fiscalité et les privilèges irlandais accordés à Apple. Raison de plus pour ne pas accepter un traité qui permettrait à ces multinationales de décider demain quelles sont les normes en matière environnementale ou sociale. Il ne faut pas oublier que l’Europe reste, de loin, la première puissance commerciale du monde. Forte de cet atout, comment pourrait-elle rogner le modèle qui protège ses citoyens ? Il y a d’autres voies que le Ceta et le TTIP pour assouplir le commerce international, sans faire tant de concessions sur un modèle social performant ou des pouvoirs démocratiques fondamentaux comme la justice.

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