Le Bataclan © REUTERS

Attentats de Paris: au Bataclan, carnage et jeux pervers

Le Vif

En plein bain de sang au Bataclan, l’un d’eux rit et tapote un xylophone. Les trois kamikazes tuent d’abord en rafale, racontent les survivants aux enquêteurs, puis au coup par coup. A plusieurs reprises, ils préviennent: « Celui qui bouge, je le tue! ».

Il est 21H40 environ, vendredi 13 novembre, au coeur de Paris. Une Polo noire immatriculée en Belgique s’arrête devant la célèbre salle de spectacles. Trois hommes en sortent, armes de guerre à la main, ceintures explosives, visages découverts: Foued Mohamed-Aggad, Omar Mostefaï, Samy Amimour.

L’un d’eux envoie, à 21H42, un SMS vers un numéro belge: « On est parti, on commence ».

Boulevard Voltaire, un passant parvient de justesse à se jeter derrière une voiture pour éviter les tirs. Les premières victimes s’écroulent sur le trottoir. Le chef des vigiles du Bataclan, « Didi », se rue à l’intérieur.

Le concert des Eagles of Death Metal bat son plein devant 1.500 personnes. Les rockeurs californiens abordent « Kiss the devil » (« Embrasse le diable ») quand retentissent des détonations. Le bassiste, Matthew Mc Junkins, voit des « éclairs » déchirer l’obscurité.

Des corps s’effondrent, l’odeur de poudre envahit l’air. Hurlements dans la foule. La musique s’arrête, le groupe quitte la scène.

Des dizaines de spectateurs fuient par des issues de secours ou par le toit. D’autres se cachent comme ils peuvent.

« Comme des lapins »

Dans la fosse, un mouvement de foule: tous à terre, comme des « dominos ». Les lumières se rallument. Une mère de famille voit l’un des tueurs: « Il tirait en souriant, calmement ». « Je sentais le sang qui coulait par terre », raconte à l’AFP Loïc, 33 ans, « l’onde de choc des gens qui tombaient autour de moi ».

Les jihadistes délivrent leur message dans un français sans accent: « C’est pour nos frères en Syrie et en Irak », « ce que vous vivez, nos femmes et nos enfants vivent ça tous les jours », « c’est la faute de François Hollande ».

Des blessés crient, d’autres tentent de se dissimuler sous des corps. Une femme supplie les tueurs d' »arrêter ». L’un d’eux prévient: « Le premier qui bouge, je le tue! ». Bam. Bam. « Je t’avais dit de pas bouger ».

Puis ils « s’amusent », décrit un témoin: « Levez-vous, ceux qui veulent partir, partez ». « Tous ceux qui se sont levés se sont fait tirer dessus. » Le manège recommence plusieurs fois. « Ça les faisait rire. »

Une sonnerie de portable, bam, un râle, bam. « On se faisait tirer comme des lapins », racontent plusieurs témoins. « Y’en a qui craquaient, qui pleuraient », dit à l’AFP Samuel, 42 ans, « d’autres qui disaient +chut+, parce qu’on craignait que ce soit notre tour ».

De petits groupes s’échappent quand ils rechargent leurs armes. Pour certains, c’est le temps des adieux. Une femme blessée caresse le visage de son compagnon mourant avant de s’enfuir.

Deux jihadistes montent à l’étage. « Quelqu’un a crié qu’ils étaient partis », dit Anthony, « j’ai glissé dans une mare de sang très épaisse, on a rampé, on se montait les uns sur les autres… »

Sur les balcons, les assaillants changent de tactique: ils rassemblent plusieurs otages, dont aucun ne sera tué.

Plusieurs sont calfeutrés dans des toilettes, locaux techniques, combles… Ils contactent la police et les secours, préviennent leurs proches qu’ils sont « vivants », postent des messages: « Pitié, ne m’appelez pas ».

« Tiens, il s’est fait exploser! »

22H00, un commissaire de police entre et tire sur Samy Amimour, resté au rez-de-chaussée. La veste de celui-ci explose. Des lambeaux de chair sont projetés jusqu’au balcon. Un témoin a l’image de « cotillons » qui retombent et raconte que Mostefaï et Mohamed-Aggad s’esclaffent: « Tiens, il s’est fait exploser! »

A nouveau quelques tirs, puis le silence. La tuerie aura duré 20 minutes. A l’étage, les jihadistes se retranchent avec une douzaine de spectateurs dans un couloir. Commencent deux heures d’un huis clos effarant.

Le tueur aux yeux bleus, Mostefaï, demande si quelqu’un a un briquet. A l’otage qui se manifeste, il tend une poignée de billets et lui ordonne de les brûler.

Certains otages sont préposés au guet à la fenêtre, d’autres doivent écouter à la porte tout en servant de bouclier.

Les jihadistes semblent désorganisés, tirent par la fenêtre, réquisitionnent les portables et tentent en vain de contacter des médias. Ils palabrent, évoquent un certain « Souleymane ». L’un intime à l’autre de parler arabe, langue qu’ils maîtrisent mal, selon plusieurs témoins. Pris d’un rictus nerveux, un otage sent une balle lui frôler l’oreille. L’assassin le prévient: la prochaine fois, il mourra.

22H15: la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) arrive sur place. « On n’entend aucun tir », relate un policier. Même pour ces hommes aguerris, la vision est cauchemardesque, « l’Enfer de Dante ». « Une boucherie », dit un autre. Les enquêteurs parlent d’une « volonté d’exécution massive », d’une « méthodique mise à mort ».

Dans les poches des morts, les téléphones sonnent. Lentement, les policiers d’élite avance. Il faut sécuriser chaque recoin, vérifier qu’aucun jihadiste n’est mêlé aux victimes. Les spectateurs valides reçoivent progressivement le feu vert pour sortir. Les blessés graves seront évacués plus tard.

A 23H15, la BRI est devant la porte du couloir. Un contact est noué par téléphone. Les jihadistes demandent aux policiers de reculer, veulent un négociateur, préviennent qu’ils ont des otages « à décapiter » et des ceintures explosives. Aux otages, ils parlent de l’organisation Etat islamique (EI), disent qu’ils ne sont pas pressés.

00H18, c’est l’assaut. Derrière un bouclier roulant de 180 kg, les policiers avancent sous le feu des jihadistes, entourés d’otages. Dès qu’ils peuvent, ils tirent. Mohamed-Aggad se fait exploser, Mostefaï est abattu.

Les jihadistes, âgés de 23, 28 et 29 ans, ont tué 90 personnes au Bataclan. Au total, les attentats de Paris, les pires jamais commis en France, ont fait 130 morts et des centaines de blessés.

AFP

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