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Attentat Bangkok : de nombreuses questions restent en suspens

Le Vif

L’attentat sans précédent de Bangkok lundi a déconcerté les observateurs par son ampleur, sa brutalité et le moment choisi, fauchant travailleurs et touristes en pleine heure de pointe au coeur de la capitale. Analyse.

La Thaïlande est le théâtre de violences politiques meurtrières depuis environ une décennie et Bangkok a vécu des épisodes de déchaînement de violence, en particulier pendant les manifestations de rue de fin 2013-début 2014 lorsque plusieurs bombes ou grenades avaient explosé dans la capitale, faisant plus de 25 morts.

Mais jamais la ville n’avait connu une attaque comme celle de lundi soir, qui a fait 20 morts dont onze étrangers, et ces derniers avaient jusqu’ici été globalement épargnés. Les soupçons se sont tout d’abord portés sur deux principaux groupes: d’un côté, les insurgés musulmans du sud du pays, de l’autre le puissant mouvement des Chemises rouges, qui soutiennent l’ancien gouvernement chassé du pouvoir après des mois de manifestations suivis par un coup d’Etat. Ces dernières heures, les regards se sont plus particulièrement tournés vers ces derniers. D’après Prayut Chan-O-Cha, chef de la junte et Premier ministre depuis le coup d’Etat de mai 2014, la police enquête sur des messages Facebook mettant en garde d’un danger imminent avant le drame. Ces publications, a-t-il précisé, proviennent d’un « groupe anti-junte » basé dans le nord de la Thaïlande, bastion des Chemises rouges. Ces militants incarnent la face rurale et défavorisée de la Thaïlande, fidèle à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra et à sa famille, face à la classe moyenne urbaine et à l’élite royaliste, soutenue par une partie des militaires et du système judiciaire.

Le pouvoir a semblé écarter pour l’heure la piste des rebelles musulmans du sud qui revendiquent une plus grande autonomie. Le chef de l’armée, Udomdej Sitabutr, a ainsi jugé qu’il était « peu probable » qu’ils soient derrière l’attaque, qui « ne correspond pas » à leurs modes opératoires.

Dans cette région limitrophe de la Malaisie annexée par la Thaïlande il y a un siècle, en proie à un conflit qui a fait plus de 6.400 morts depuis 2004, les attentats sont fréquents mais bien moins meurtriers. Et aucune attaque n’a jamais été confirmée à l’extérieur de cette région malgré les années de guerre.

Prudence

Les analystes interrogés par l’AFP ont cependant appelé à prendre avec des pincettes ces premières allégations. « Je ne pense pas qu’il soit possible de rayer quelqu’un de la liste à ce stade », juge Zachary Abuza, spécialiste du mouvement de rébellion du sud du pays. « Mais ce qui est étrange, c’est que cette attaque ne rappelle aucun mode opérationnel connu, ni celui des insurgés musulmans ni celui des groupes anti-militaires », relève-t-il. « Les affirmations de la junte doivent être traitées avec la plus grande prudence », ajoute M. Abuza. Selon le politologue Pavin Chachavalpongpun, les Chemises rouges ne s’en prendraient pas à un sanctuaire religieux dédié au dieu hindou Brahma, qui attire chaque jour des milliers de fidèles bouddhistes, dans un pays hautement superstitieux et sensible au concept du karma. « A en juger par l’étendue de l’attaque, je ne pense pas qu’elle soit animée par des manoeuvres politiques intérieures », dit-il. Certains ont émis l’hypothèse selon laquelle l’attentat de ce temple prisé des touristes chinois visait en fait Pékin, en riposte à l’expulsion par la Thaïlande d’une centaine de musulmans ouïghours vers la Chine. A la suite de cette décision, des manifestations violentes avaient éclaté en juillet à Istanbul et Ankara, pour dénoncer la politique des autorités chinoises envers cette minorité musulmane et turcophone.

Mais si les militants islamiques ont pu mener des attaques dans plusieurs pays d’Asie du sud, en particulier sur l’île indonésienne de Bali en 2002, la Thaïlande n’a à ce jour pas été une cible. D’autres évoquent le possible rôle d’obscurs groupes gravitant autour de l’armée au plus fort des crises politiques. « Si on veut savoir qui est derrière cet acte, il faut se demander qui a une telle force de frappe », souligne Paul Chambers, de l’Institut des affaires d’Asie du sud-est situé à Chiang Mai. Selon la police, l’engin explosif était sophistiqué et assez puissant pour disperser du verre, des morceaux de béton et des corps sur une grande partie de l’une des artères les plus fréquentées de Bangkok, réputé pour ses immenses centres commerciaux et ses hôtels de luxe.

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