Gérald Papy

« Assauts de cynisme en Syrie »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La guerre de Syrie, qui avait connu une accalmie après la reconquête fin 2017 de Raqqa et des territoires sous le joug de Daech, enregistre depuis un peu plus d’un mois des développements inquiétants qui font craindre un déchaînement de violences encore plus tragique que ce que le pays a subi depuis la révolte populaire de 2011.

Le 20 janvier dernier, l’armée turque a lancé l’offensive Rameau d’olivier contre l’enclave d’Afrin aux mains des rebelles kurdes, au nord-ouest de la Syrie. Dans la nuit du 7 au 8 février, un avion israélien a été abattu par la défense anti- aérienne syrienne après l’intrusion au-dessus du territoire de l’Etat hébreu d’un drone iranien. Deux jours plus tard, les troupes américaines déployées dans la région de Deir ez-Zor en soutien aux Forces démocratiques syriennes ont affronté l’armée de Damas et ses alliés, tuant une centaine d’adversaires, dont des mercenaires russes. Enfin le 18 février, le régime de Bachar al-Assad a entrepris de reconquérir la région de La Ghouta à l’est de la capitale par l’entremise, dans un premier temps, d’une campagne de bombardements qui ne fait pas de quartier parmi les civils. Plus de 530 morts ont été recensés en quelques jours.

Que retenir de ces convulsions ? Israël et Iran, Etats-Unis et Russie sont emportés dans des face-à-face extrêmement périlleux. La Turquie, pourtant membre, comme les Etats-Unis, de l’Otan, combat les rebelles kurdes du Parti de l’unité démocratique, principale composante des Forces démocratiques syriennes que soutiennent… les Américains. Les Kurdes de Syrie s’allient tantôt avec la coalition internationale (pour la reprise de Raqqa) tantôt avec le régime syrien (pour la défense d’Afrin). Les Russes, les seuls qui ont l’oreille de la plupart des parties en présence (régime syrien, Iran, Hezbollah libanais, Turquie, rebelles kurdes, Etats-Unis, Européens) échouent à imposer leur pax russiana.

Israël et Iran, Etats-Unis et Russie sont emportés dans des face-à-face extrêmement périlleux

Tous les ingrédients d’une poudrière sont réunis parce que chaque protagoniste poursuit son objectif propre, parce que les Etats-Unis ne font plus peur et ne dissuadent plus les uns et les autres de se lancer dans une aventure et parce que la Russie n’a pas les moyens de soumettre ses alliés à ses vues. Bref, parce que le cynisme domine à tous les étages alors que les enfants de La Ghouta orientale se meurent dans les caves. L’expert militaire français Pierre Servent en donnait une illustration éloquente l’autre jour sur le plateau de l’émission C dans l’air de France 5 en imaginant ce que pourrait être la vérité d’une rencontre entre le maître du Kremlin et le boucher de Damas.

Vladimir Poutine :  » Je suis ravi de vous accueillir. Votre régime est formidable. Maintenant, une nouvelle ère s’ouvre. Il est temps de négocier, etc.  »

Traduction :  » Mon coco, tu as intérêt à venir sur le terrain politique. J’en ai marre de soutenir tes armées et de réparer tes conneries puisque tu continues à utiliser l’arme chimique alors que je suis le garant du désarmement chimique (NDLR : l’accord de 2013 qui a évité à Bachar al-Assad de possibles bombardements américano-français). Il est temps que tu te mettes au boulot.  »

Bachar al-Assad :  » Ce que la Russie a fait pour nous est formidable. Vous connaissez l’attachement des Alaouites à la souveraineté de notre pays face au terrorisme puisque vous partagez le même combat contre les terroristes.  »

Traduction :  » Tu peux aller te faire voir. Bien sûr, j’ai pris tes soldats, tes missiles, etc. Mais je n’en ai rien à faire. Les Alaouites, nous sommes là depuis la nuit des temps. Ce n’est pas un moujik (NDLR : paysan russe) slave orthodoxe qui va me dicter ce que je dois faire…  »

En attendant une improbable solution négociée, c’est le civil syrien qui encaisse et souffre. Depuis sept longues années.

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