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Arabie Saoudite : le combat d’une Française pour sa fille

Candice Cohen-Ahnine tente d’obtenir le retour en France de sa fille, Haya, dont le père est un membre de la famille royale saoudienne. Pour la première fois, un tribunal français lui a donné raison.

La justice française a tranché. Le 12 janvier dernier, le Tribunal de Grande Instance de Paris a pris la décision de confier la garde d’Haya à sa mère, Candice Cohen-Ahnine. C’est une première victoire judiciaire pour cette jeune Française qui a été enlevée en juillet 2008 avec sa fille par le père de celle-ci, un prince de la famille royale saoudienne.

Candice Cohen a passé plus de sept mois enfermée dans une cellule à l’intérieur du Palais royal à Riyad. Après s’être réfugiée pendant trois mois à l’Ambassade de France à Riyad, Candice a été exfiltrée en juin 2009 par le Quai d’Orsay mais sans sa fille de dix ans. A son retour en France, elle porte plainte pour soustraction d’enfant, ainsi que pour les violences subies. Elle a raconté son histoire dans un livre paru l’an dernier (Rendez-moi ma fille, Editions l’Archipel, octobre 2011) et ouvert un site web.

Que va-t-il se passer maintenant sur le plan judiciaire?

Si le père d’Haya, Sattam, refuse de me rendre ma fille, un mandat d’arrêt international sera lancé contre lui.

Vous avez été exfiltrée d’Arabie Saoudite avec l’aide du Quai d’Orsay. Vous êtes pourtant très critique à l’égard des autorités françaises. Pourquoi?

Ils ont tout fait pour éviter des incidents diplomatiques. Madame Touma, consule de France en Arabie Saoudite, a tenté de me faire signer un abandon d’enfant. Maître Catherine Zviloff, l’avocat conseillé par le Quai d’Orsay, a saboté le dossier. Lorsque je suis arrivée à l’ambassade de France, après avoir réussi à m’échapper, on m’a convaincue de revenir d’où je venais. J’ai entendu aussi:  »Vous êtes jeune et jolie, vous pouvez tourner la page et refaire votre vie! » J’ai les preuves de tout ce que j’affirme, j’enregistrais mes conversations avec mon téléphone portable dès que je pouvais. Je sais ce n’est pas très bien mais c’est comme ça que je m’en suis sortie. J’étais seule au monde à ce moment-là. En plus, j’ai découvert des télex échangés entre l’Arabie Saoudite et la France pendant que j’étais emprisonnée affirmant que j’étais folle et que je risquais de poser des problèmes à la famille royale. Les autorités françaises reprenaient sans vérifier ce que racontaient les Saoudiens. Alors que j’ai toujours été juive, on m’a même accusée d’être une Musulmane convertie au judaïsme, ce qui est passible de la peine de mort en Arabie Saoudite. C’est extrêmement grave.

Vous faites malgré tout confiance à la justice?

Je fais confiance à la justice française bien sûr, aux autorités non.

Revenons un instant sur votre enlèvement. Lorsque vous avez été enfermée, à partir du 12 juillet 2008, comment avez-vous fait pour ne pas sombrer dans la folie, alors même que tous les membres de la famille royale qui vous entouraient vous faisaient passer pour folle, même aux yeux de votre fille?

Comment on ne sombre pas dans la folie? Grâce à l’instinct de survie et… vous avez vu le film La Vie est belle de Roberto Benigni? Je n’aime pas faire ce genre de comparaisons bien sûr, mais dans ce film le personnage sait que c’est la fin. Et pourtant il fait comme si tout était un jeu aux yeux de son fils. C’est ce que j’ai essayé de faire aussi, parce que ma fille était terrorisée.

Maintenant, je sais que j’ai été manipulée. Au début, je ne comprenais pas, j’étais en état de choc. Ensuite, c’est l’instinct de survie qui a pris le dessus. J’avais devant moi une petite fille de six ans et demi, super courageuse qui se battait. Elle venait en cachette m’apporter des tubes de dentifrice, du savon, de la nourriture. A plusieurs reprises, pour cela, elle a été battue devant moi. Emotionnellement, c’était très dur. Mais j’ai toujours gardé espoir. Je me disais que j’étais Française, qu’on allait venir nous chercher. Et puis beaucoup de gens que je ne connaissais pas m’ont aidée…

Vous voulez parler des réseaux sociaux?

Tout à fait. Quelques mois avant de partir en Arabie Saoudite j’avais ouvert un compte Facebook. Une fois à Riyad, lorsque j’ai réussi à m’échapper une première fois pour aller à l’ambassade de France, avant de retourner dans ma cellule, j’ai acheté un téléphone portable. Je l’ai utilisé pour envoyer des messages sur Facebook. C’est ce qui a permis une mobilisation. Il y a eu une marche blanche entre l’Elysée et l’ambassade d’Arabie Saoudite à Paris. Au Quai d’Orsay, ils ont été obligés de recevoir mes parents. C’est ainsi que les négociations ont commencé. Peu après, j’ai pu me réfugier à l’ambassade de France à Riyad.

Pourtant, à ce moment-là, les médias en France ne parlent pratiquement pas de votre affaire?

Le Quai d’Orsay avait exigé de mes parents qu’ils ne médiatisent pas l’affaire. C’était, leur avait-on dit, la condition sine qua non pour que je puisse être libérée. Nous avons joué le jeu. Mais les négociations entre ma famille et celle du père d’Haya n’ont rien donné. La famille royale a seulement consenti à ce que je puisse voir ma fille trois fois par an pendant une semaine.

Que ressentez-vous aujourd’hui envers Sattam et sa famille?

Je n’ai pas de haine. J’ai de la peine pour ma fille. La justice affirme que le père n’a plus aucun droit. Il a juste le droit de rendre visite à sa fille sous très haute surveillance, en me prévenant indirectement au moins un mois à l’avance. Je souhaite que Sattam et tous ceux qui nous ont fait ça soient jugés. Ce n’est pas parce que c’est la famille royale qu’ils sont au-dessus de leurs propres lois!

Avez des nouvelles de votre fille?

Je lui parle au téléphone toutes les deux ou trois semaines. Mais, à chaque fois, ce sont des intermédiaires qui décrochent. Quelqu’un à côté d’elle va lui dire quoi me répondre. Et comme je ne veux pas qu’elle se fasse punir, nous n’avons que des discussions anodines. C’est une petite fille qui a toujours été très équilibrée, je ne pense pas qu’elle se laisse influencer par ce qu’ils lui disent sur moi. La complicité entre nous existe toujours. Parfois, elle me passe des messages codés par téléphone, par exemple en inventant une poésie.

Après cette victoire judiciaire, vous sentez-vous menacée?

Oui. Il y a des menaces depuis qu’on a commencé à médiatiser un peu l’affaire, et cela m’inquiète. J’ai porté plainte.

Propos recueillis par Valentina Logreco

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