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Arabie saoudite: l’attaque pétrolière qui enflamme le Golfe

Muriel Lefevre

Une attaque de drone a mis à l’arrêt la moitié de la production pétrolière saoudienne, pays qui est le plus gros exportateur mondial d’or noir. C’est une provocation sans précédent dans cette poudrière qu’est le Golfe. Le prix du pétrole va-t-il flamber et est-on aux prémices d’une grave crise internationale ? Voici ce que l’on sait.

L’attaque de ce week-end sur deux importantes installations pétrolières saoudiennes aura été sans précédent puisque L’Arabie saoudite produit dix pour cent du pétrole brut échangé dans le monde. Et pas moins de la moitié de cette production a été touchée ou arrêtée samedi pour des raisons de sécurité. Elle aura aussi fait vaciller le statut de super puissance du pays, ce qui risque d’avoir des conséquences mondiales sur les prix du carburant, mais aussi sur l’équilibre géopolitique de la région. Au cours des derniers mois, plusieurs attaques ont déjà eu lieu contre des pétroliers dans le golfe Persique, poussant les États-Unis et l’Iran à jouer des muscles. Depuis, la situation semblait s’être quelque peu calmée dans le Golfe. Sauf que les précédents incidents sont de la petite bière si on les compare à ce qui s’est passé samedi. Cette attaque a d’ores et déjà provoqué un regain de tension entre Washington et Téhéran, qu’un responsable américain a accusé d’être derrière une « attaque sans précédent contre l’approvisionnement énergétique mondial ». Le point sur une situation potentiellement explosive.

Quelle est la gravité de l’attaque?

L’infrastructure énergétique saoudienne a déjà été touchée à de nombreuses reprises par les rebelles Houthis du Yémen, mais cette attaque est d’une autre ampleur: elle a ciblé le site d’Abqaiq, à 60 km au sud-ouest de Dahran. Il est le principal siège du géant pétrolier et abrite la plus grande usine de traitement du pétrole d’Aramco, selon son site internet. Khurais, à 250 km de Dahran, est l’un des principaux champs pétroliers de l’entreprise publique.

Elle aurait été menée à l’aide de dix drones sans pilote. Elle a obligé la société à suspendre temporairement environ la moitié de sa production. Toutefois, l’ampleur réelle des dégâts et les armes utilisées restent incertaines. Les journalistes n’ont pas été autorisés à s’approcher des installations. L’attaque n’a fait aucun blessé, a déclaré à l’AFP le porte-parole du ministère, Mansour al-Turki.

Qui est responsable?

Les rebelles Houthis affirment avoir tiré un essaim de drones, dans ce qui serait leur attaque la plus ambitieuse. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a accusé Téhéran. Mais il n’a pas expliqué comment l’Iran était impliqué ni d’où provenaient les armes. Dimanche, l’Iran a qualifié ces accusations d' »insensées ». Des responsables américains et saoudiens enquêtent, selon le Wall Street Journal, sur la possibilité que l’attaque ait été menée avec des missiles de croisière lancés depuis l’Irak ou l’Iran. Bagdad a réfuté dimanche tout lien.

Un conflit plus large est-il à craindre?

La suite des choses dépend de deux facteurs. Le premier est de voir si l’Arabie saoudite va pouvoir remettre rapidement sa production sur les rails. La seconde est de savoir qui est réellement derrière l’attaque.

Si la responsabilité directe de l’Iran était établie, un nouveau casse-tête de sécurité nationale s’annoncerait pour Donald Trump, et l’inflexion naissante de la position américaine face à Téhéran serait mise à mal. En juin, le président américain avait annulé une frappe contre l’Iran. M. Trump cherche par ailleurs à organiser un sommet avec son homologue iranien lors de la prochaine assemblée générale de l’ONU, qui s’ouvre la semaine prochaine à New York.

Les frappes vont continuer d’exacerber la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, grands ennemis régionaux. Le puissant prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a déclaré que le royaume était « capable » de répondre à cette « agression terroriste », sans autres détails. M. Dorsey estime toutefois peu probables des représailles directes, car « les Saoudiens ne veulent pas d’un conflit ouvert avec l’Iran ». Si l’implication des Houthis dans l’attaque était avérée, les pourparlers que Washington a confirmé avoir démarré ce mois avec les Houthis pourraient en revanche être reportés.

Autre effet probable de l’attaque : « cela va attirer l’attention sur la guerre au Yémen », où l’Arabie saoudite intervient depuis 2015 à la tête d’une coalition armée, estime James Dorsey, expert à la S. Rajaratnam School of International Studies à Singapour. « Ce conflit cesse progressivement d’être une guerre dans un coin perdu du Golfe », ajoute-t-il.

Arabie saoudite: l'attaque pétrolière qui enflamme le Golfe
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Pourquoi Ryad ne parvient-il pas à arrêter ces attaques?

Après cette troisième attaque du genre en cinq mois contre des infrastructures du mastodonte pétrolier, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a affirmé que son pays avait « la volonté et la capacité de faire face et répondre à cette agression terroriste », au cours d’un entretien téléphonique avec le président américain Donald Trump. L’Arabie saoudite a en effet investi des milliards de dollars dans du matériel militaire lourd, mais son arsenal s’est révélé inefficace contre les Houthis, une milice tribale désordonnée mais très motivée et spécialisée dans les tactiques de guérilla. Les développements récents ont aussi mis en lumière la menace forte que représentait l’amélioration continue de l’armement des Houthis, des missiles balistiques aux drones sans pilote. Selon des chercheurs de l’ONU, ils auraient ainsi récemment acquis un nouveau type de drone, UAV-X, qui pourrait atteindre jusqu’à 1 500 kilomètres.

Si les puits de pétrole du royaume, essaimés sur une vaste zone géographique, sont une cible difficile, ses installations de traitement sont beaucoup plus exposées. L’usine d’Abqaiq est la plus « vulnérable », selon le Center for Strategic and International Studies, basé à Washington. Le vaste réseau d’oléoducs, de stations de pompage et de terminaux d’Aramco le long du Golfe et de la mer Rouge est également exposé. En mai, l’attaque de deux stations de pompage par un drone avait provoqué un arrêt des opérations de plusieurs jours.

L’approvisionnement mondial en pétrole est-il affecté?

L’Arabie saoudite, poids lourd de l’Opep, pompe 9,9 millions de barils par jour, soit près de 10 % de la demande mondiale. Ces attaques, qui ont dans leur sillage réduit de 6% l’approvisionnement mondial en pétrole, on fait grimper les prix de l’or noir lorsque les marchés se sont rouvert lundi.

Le cours du pétrole s’est en effet envolé lundi. « C’est la plus grande perturbation ponctuelle de l’offre de pétrole de toute l’histoire » affirme Ipek Ozkardeskaya, analyste pour London Capital Group. Vers 08H45 GMT, le pétrole bondissait de 8,62% à 65,41 dollars à Londres, où est coté le baril de Brent de la mer du Nord, et de 8% à 59,24 dollars à New York pour le « light sweet crude », référence américaine du brut. A l’ouverture, les cours ont bondi de 20% à Londres, le plus fort mouvement en cours de séance depuis 1991 et la guerre du Golfe.

Mais leur impact réel dépendra de la rapidité avec laquelle les Saoudiens reprendront leur production. L’Arabie saoudite annonce qu’elle devrait rétablir lundi au moins un tiers de la production perdue. Le bulletin spécialisé Energy Intelligence a indiqué, en citant des sources industrielles, que le géant saoudien Aramco était « sur le point de rétablir jusqu’à 40 % » de la production perdue, soit environ 2,3 millions de barils par jour. Citant des sources proches du dossier, le Wall Street Journal écrit qu’il faudrait des semaines pour rétablir la pleine capacité de production. Toutefois, l’une de ses sources a déclaré : « Nous devrions pouvoir remettre (sur le marché) deux millions de barils par jour (…) d’ici demain (lundi) ». La firme de consultants Energy Aspects a également estimé que le pays serait en mesure de restaurer près de la moitié de la production perdue dès lundi.

Amin H. Nasser, president de Aramco
Amin H. Nasser, president de Aramco© Reuters

Le groupe Aramco a déclaré qu’il puiserait dans ses stocks pour compenser partiellement la baisse. Le ministre saoudien de l’Energie, le prince Abdel Aziz ben Salmane, a déclaré dimanche que le royaume utilisera ses vastes stocks pour compenser en partie la perte de production (le royaume dispose également d’une capacité inutilisée d’environ deux millions de barils par jour qu’il peut utiliser en période de crise) et les États-Unis ont également autorisé le recours à leurs réserves.

Un impact à la pompe en fin de semaine

L’impact de l’attaque sera perceptible au plus tôt jeudi ou vendredi à la pompe, prévoit lundi la fédération des négociants en carburants Brafco. Il reste toutefois difficile à estimer. « Le prix à la pompe dépend de nombreux facteurs », précise Johan Mattart, directeur général de la Brafco. « Mais, a priori, l’impact ne sera pas catastrophique. » Des seuils ont été intégrés dans le calcul des prix maximum à la pompe en Belgique et les fortes hausses sont lissées. « Les augmentations de prix à la pompe ne seront donc perceptibles que plus tard cette semaine, jeudi ou vendredi », anticipe Johan Mattart. Cela ne s’applique toutefois pas au prix du mazout, qui suit les marchés internationaux. Une légère baisse est prévue mardi car le prix de clôture de vendredi est pris en compte. Mais à partir de mercredi, l’impact des attaques en Arabie saoudite sera déjà perceptible pour le mazout.

Aramco: un mastodonte pétrolier

L’Arabie saoudite a déclaré samedi qu’elle fournirait une mise à jour sous 48 heures sur les attaques et tous les regards restent tournés sur une communication officielle qui pourrait rassurer les marchés. L’incident pourrait néanmoins ébranler la confiance des investisseurs envers le géant pétrolier, c’est l’entreprise énergétique la plus grande et rentable au monde, au moment où il prépare son entrée en Bourse.

Depuis la découverte du premier gisement de pétrole en Arabie saoudite en 1938, appelé « puits de la prospérité », le géant pétrolier d’Etat Aramco a généré une richesse colossale pour ce royaume désertique. Aramco naît d’un accord de concession signé en 1933 par le gouvernement saoudien avec la Standard Oil Company of California. La prospection démarre en 1935 et trois ans plus tard, le pétrole commence à couler à flots. En 1949, la production de pétrole atteint un niveau record de 500.000 barils par jour et continue d’augmenter après la découverte de grands champs pétroliers dont Ghawar, le plus grand du monde, avec environ 60 milliards de barils de réserves. En 1973, en pleine flambée des prix liée à l’embargo pétrolier arabe, imposé aux États-Unis en raison de leur soutien à Israël, le gouvernement saoudien acquiert 25% d’Aramco, portant sa part à 60% et devenant actionnaire majoritaire. En 1980, l’entreprise est nationalisée et, huit ans plus tard, renommée Saudi Arabian Oil Company, ou Saudi Aramco. Depuis les années 1990, Aramco a investi des centaines de milliards de dollars dans des projets d’expansion, portant sa capacité de production à plus de 12 millions de barils par jour. Actuellement, Aramco possède quelque 260 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole, ce qui place l’Arabie saoudite derrière le Venezuela, qui détient les premières réserves du monde.

Basée à Dhahran, la société opère aussi à l’international, où elle a multiplié acquisitions et créations de coentreprises. Aramco a également construit un réseau national et international d’oléoducs et de raffineries et étendu sa présence dans l’industrie pétrochimique. En avril, le groupe a ouvert ses comptes pour la première fois, annonçant un bénéfice net de 111,1 milliards de dollars en 2018, en hausse de 46% par rapport à l’année précédente, et un revenu annuel de 356 milliards de dollars. L’ouverture de ses comptes est destinée à accroître sa transparence avant son introduction en Bourse, pierre angulaire d’un plan de réformes nommé « Vision 2030 » et lancé par le puissant prince héritier Mohammed ben Salmane pour diversifier l’économie du royaume très dépendante du pétrole. Ryad espère tirer 100 milliards de dollars de cette opération en vendant 5% de son capital sur la base d’une valorisation de l’ensemble de l’entreprise estimée à 2.000 milliards de dollars. L’introduction a été retardée à plusieurs reprises en raison notamment de conditions défavorables sur les marchés.

Avec AFP

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