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Antonio Manfredi, l’homme qui brûle l’art pour le sauver

Le Vif

Objectif ? Protester contre les coupes budgétaires dans le secteur de la culture. Comment ? En brûlant des oeuvres. Pour se faire entendre, Antonio Manfredi, directeur et fondateur du musée d’art contemporain de Casoria, près de Naples, n’a pas hésité à recourir à l’autodafé. Interview, deux ans après. Et à la veille des élections européennes.

Prémonitoire. C’est ce que l’on se dit deux ans après l’autodafé d’oeuvres d’art contemporain organisé par Antonio Manfredi, le 17 avril 2012, au CAM, « son » musée d’art contemporain de Casoria, dans les faubourgs de Naples.

Bientôt rejoint par 150 artistes, dans le monde entier, il dénonçait, avec son projet CAM Art War, le faible investissement de l’Etat italien dans l’art et la culture (0,21% du budget général) alors que l’Italie recèle la moitié du patrimoine culturel mondial. A la veille des élections européennes, les budgets de la culture dans une Europe en crise ne sont guère plus reluisants – diminués de 40 % en Espagne, d’un quart aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, sous tension en France et en Belgique.

Le Vif/L’Express : Pourquoi brûler des oeuvres d’art ?

> Antonio Manfredi : La violence en art est parfois utilisée pour faire changer les choses. C’était mon idée pour CAM Art War : ne pas détruire pour détruire, mais détruire pour construire. Détruire des oeuvres pour établir un lien, un réseau avec des artistes, des musées et avec les gens pour qu’ils comprennent que la figure de l’artiste est importante dans la société, tout comme la sauvegarde de l’art. Ne pensez pas que j’étais heureux de détruire des oeuvres. Je ne l’étais pas ! J’ai investi pour constituer la collection du musée. Mais je les ai brûlées parce que la municipalité de Casoria voulait le fermer. J’ai dû évidemment expliquer ma démarche aux artistes concernés et demander leur autorisation. Mais je me suis dit que si les oeuvres du CAM n’étaient pas importantes pour les gens, les politiques, l’Italie, l’Europe, alors peut-être était-il plus important de les détruire. Ainsi pouvaient-elles évoquer à la face du monde les vrais problèmes de l’art. Détruire l’art pour sauver l’art.

Votre situation a-t-elle changé après cet acte très médiatique ?

> Non. Je n’ai toujours pas de subsides. Cela dit, les gens ont compris que le musée était important. Des écoles ont commencé à le fréquenter et nous avons des visiteurs de partout en Italie et en Europe. Ainsi, d’autres continueront-ils la révolution et peut-être les choses changeront-elles.

Que pensez-vous des coupes sombres dans le secteur de la culture en Europe que l’on présente par ailleurs comme le 5e pilier de la construction européenne ?

> Je vais parler de mon gouvernement. Le politique ne comprend pas que donner de l’argent pour la culture, spécialement en Italie, c’est un investissement – la meilleure part de la culture dans le monde se trouvant en Italie. Cela dit, il ne faut pas seulement donner pour l’art ancien, mais aussi pour l’art moderne, l’art contemporain. Cette myopie a gagné toute l’Europe aujourd’hui, comme en témoigne CAM Art War, y compris dans les pays riches. L’Europe ne comprend pas que la culture est la meilleure part d’elle-même, son fondement. Pourquoi les Japonais et les Américains viennent-ils visiter l’Europe ? Pour l’art ! Aussi devons-nous y investir.

Quelle est aujourd’hui la porte de sortie pour les artistes ? Créer des réseaux internationaux et s’organiser eux-mêmes ?

> Oui, le networking est essentiel. Pour notre part, nous avons constitué un grand réseau dans le monde. Cela ne doit pas se jouer qu’au niveau des musées et des galeries. L’important, c’est que les artistes comprennent que ce n’est pas en travaillant seuls dans leur studio qu’ils pourront changer quoi que ce soit. Vous vendrez peut-être une oeuvre, mais, en dix ans, vous n’aurez rien réalisé. Par contre, je ne pense pas que les artistes puissent constituer un parti politique ou un syndicat. Je n’aime pas cette idée. Mais fédérer des énergies peut montrer aux politiques que l’art est fondamental pour la société.

CAM de Casoria (Naples) : www.casoriacontemporaryartmuseum.com

Propos recueillis par Xavier Flament, à Naples

>>> L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec l’avis d’Antonio Manfredi sur l’emprise de la mafia et sur le rôle des musées.

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