Babis © Reuters

Andrej Babis, le « Trump tchèque »

Le Vif

Mécontents de leur classe politique et de l’intégration européenne, les Tchèques devraient placer un « Trump tchèque » aux manettes. Le vainqueur semble connu, mais pas la suite. Portrait.

Les Tchèques ont recommencé à voter samedi, au deuxième et dernier jour des législatives, censées apporter la victoire au milliardaire Andrej Babis mais qui risquent aussi d’ouvrir une période d’incertitude.

Le mouvement populiste ANO (« Oui ») du « Trump tchèque » devrait recueillir entre 25% et 30% des suffrages, selon les sondages, et son chef a promis à son pays une « nouvelle étape ».

Mais, avec neuf partis qui pourraient franchir le seuil d’éligibilité de 5% et se partager les sièges restants, la configuration de la future coalition que M. Babis sera probablement chargé de mettre en place est impossible à prévoir.

D’autant que si certains partis politiques ont laissé entendre qu’ils pourraient former une coalition avec l’ANO, ce serait à la condition que son fondateur et dirigeant charismatique ne soit pas Premier ministre.

Une condition que le « Trump tchèque » n’a nullement l’intention d’accepter. Il peut compter sur l’appui du président Milos Zeman qui devra d’abord charger le vainqueur des élections d’engager des pourparlers de coalition, puis désigner le chef du futur gouvernement.

– ‘Nouvelle étape’ –

« Je m’attends à ce que la République tchèque entame une nouvelle étape », a déclaré vendredi M. Babis après avoir glissé son bulletin dans l’urne. Le pays a surtout besoin d’un gouvernement qui « va réellement régler les problèmes des gens ».

Le milliardaire controversé a réitéré à la veille du vote son hostilité à l’accueil des migrants et à la zone euro, sans pour autant prôner la sortie de l’UE. Membre de l’Union européenne depuis 2004, la République tchèque a conservé sa monnaie nationale, la couronne.

« Je pense que sa politique est faite pour les gens », a dit à Prague à l’AFP une retraitée, Alena Kolarowa, disant avoir voté pour l’ANO.

« Il a remis de l’ordre dans ce pays en ce qui concerne les finances et la collecte des impôts et c’est important », explique-t-elle dans une allusion au passage de M. Babis au ministère des Finances, entre 2014 et son départ houleux en mai dernier.

Le principal rival de M. Babis, le ministre pro-européen des Affaires étrangères Lubomir Zaoralek, tête de liste du parti social-démocrate CSSD, a souhaité vendredi à Ostrava (est) que le futur gouvernement « fasse tout pour que la République tchèque ne se retrouve pas à la périphérie » de l’UE.

Mais son désaccord sur l’Europe avec le chef de l’ANO n’est pas total. « Il n’y aura pas de quotas (de migrants à accueillir – NDLR), je peux le garantir et le promettre », a affirmé M. Zaoralek. Et « personne ne nous oblige maintenant à entrer dans la zone euro ».

Un certain euroscepticisme, à des degrés variables, semble donc être le dénominateur commun de plusieurs formations qui briguent les voix des électeurs.

Celle qui va le plus loin dans ce sens et semble en mesure d’entrer au Parlement, voire au gouvernement, est le parti d’extrême droite SPD (« Liberté et démocratie directe ») du Tchéco-Japonais Tomio Okamura. Ce dernier, fermement opposé à l’intégration européenne et à l’immigration, est porté par un courant d’opinion présent aussi ailleurs en Europe de l’Est. Il a reçu le soutien de la présidente du Front National français, Marine Le Pen.

Dans ce contexte, des commentateurs tchèques font état d’inquiétudes de voir le résultat du scrutin mettre en danger la démocratie libérale.

« La société est mécontente et préoccupée, elle accuse les partis démocratiques traditionnels d’être responsables de ses problèmes », écrivait ainsi vendredi le quotidien Hospodarske Noviny.

« Nous nous trouvons au seuil d’un succès sans précédent de partis qui peuvent (…) perturber le système de fonctionnement de la démocratie libérale en tant que tel », a averti le commentateur de ce journal économique, Petr Honzejk.

A l’issue d’une campagne inhabituellement terne, jusqu’à neuf partis pourraient franchir le seuil d’éligibilité de 5%, ce qui risque d’ouvrir une période d’incertitude avant la constitution d’une coalition.

Riche et ennuis avec la justice

Fondateur du géant agroalimentaire, chimique et médiatique Agrofert, M. Babis, 63 ans, également qualifié de « Berlusconi tchèque » est donc aux portes du pouvoirs. Et Cela malgré ses ennuis avec la justice, après une inculpation pour fraude aux fonds européens et des accusations de collaboration avec la police secrète communiste StB avant 1989, allégations qu’il rejette.

« Si vous voulez être Premier ministre et en même temps être poursuivi en justice, personne à l’UE ne décrochera le téléphone pour vous parler », a lancé son principal rival social-démocrate, le pro-européen Lubomir Zaoralek, au cours de l’ultime débat diffusé hier soir à l’antenne de la chaîne de télévision privée TV Nova.

– « Descendant de la noblesse communiste » –

« Un descendant de la noblesse communiste, informateur de la police secrète, poursuivi par la justice en liaison avec une possible fraude aux subventions, devient un symbole d’un choix protestataire », ne mâche pas ses mots dans ce contexte Bohumil Pecinka, de l’hebdomadaire Reflex.

Il ne semble pas que l’inculpation visant M. Babispuisse ébranler ses électeurs : « Il est inculpé, mais cela ne veut pas dire qu’il est coupable. On devrait le considérer comme innocent pour le moment, je pense », a dit à l’AFP Jiri Milota, 77 ans, un retraité de Prague.

« Babis devrait pouvoir avoir la chance de réaliser ce qu’il a promis », a-t-il ajouté.

Les résultats devraient être connus samedi en fin de journée.

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