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Allemagne : le président Wulff aux abois

Outre-Rhin, le président de la République a une fonction honorifique, mais exemplaire. Soupçonné de conflit d’intérêts, en guerre avec l’un des journaux les plus puissants d’Europe, le chef de l’Etat, élu avec l’appui d’Angela Merkel, s’accroche à son poste. Jusqu’à quand ?

Les relations entre politiques et journalistes, outre-Rhin, relèvent souvent de l’amour vache, où les coups de coeur annoncent des coups de griffe. Christian Wulff aurait dû se méfier… En juillet 2010, quand les parlementaires l’élisent à la présidence de la République, les journaux populaires applaudissent. Souriant et amoureux, ce quinquagénaire et sa nouvelle épouse, Bettina, une grande et belle blonde, de quatorze ans sa cadette, apportent une touche de glamour sur la scène politique nationale, dominée par l’austère Angela Merkel.

Dix-huit mois plus tard, le voici empêtré dans plusieurs affaires de conflit d’intérêts. Plus dure sera la chute? Pour une grande partie de la presse, le débat est déjà clos: Wulff n’est plus digne d’exercer son mandat. Le chef de l’Etat allemand n’exerce qu’une fonction honorifique, mais sa démission éventuelle affaiblirait la coalition emmenée par la chancelière.

Des airs de gendre idéal

Le drame commence le 20 décembre 2009. Alors ministre-président de la Basse-Saxe, Wulff emmène sa famille passer Noël au doux soleil de Floride, chez son vieil ami Egon Geerkens – un entrepreneur de sa région qui a fait fortune dans la bijouterie, l’immobilier, les vieilles voitures et les antiquités. Dans l’avion pour Miami, les Wulff ont pris place en classe affaires, alors qu’ils ont payé des billets de classe économie: le patron de la compagnie aérienne Air Berlin leur a gentiment offert ce surclassement, un cadeau de 3000 euros. Lorsque l’anecdote est révélée, Christian Wulff présente ses excuses et s’empresse de régler la facture. A Hanovre, on ne rigole pas avec l’éthique politique: la loi interdit aux membres du gouvernement local d’accepter tout cadeau d’une valeur supérieure à 10 euros. Quelques mois plus tard, contraint de s’expliquer, Wulff fait préciser devant son Parlement qu’au cours des dix dernières années il n’a entretenu aucune relation d’affaires ni avec Egon Geerkens, ni avec le PDG de la compagnie aérienne. Fin du premier acte.

En mai 2010, afin de remplacer en urgence Horst Köhler, qui venait de démissionner, Angela Merkel impose ce quinquagénaire catholique à la présidence de la République. A ce poste, s’il n’a guère de pouvoir politique, il se doit de représenter son pays et joue un rôle d’instance morale. Avec ses airs de gendre idéal, Wulff semble taillé pour le job.

Mais le deuxième acte du drame s’ouvre le 13 décembre 2011, à la Une du Bild Zeitung, l’un des journaux les plus influents d’Europe, avec ses 12 millions de lecteurs quotidiens. L’enquête révèle que Wulff a menti à son Parlement: il a omis de mentionner un prêt de 500 000 euros, à 4% d’intérêt, contracté en 2008 auprès de la femme de son ami Egon. Au château de Bellevue, la résidence officielle à Berlin, le porte-parole dément toute accusation de mensonge : le président aurait correctement répondu à la question posée par les Verts de la Basse-Saxe, qui ne concernait qu’Egon Geerkens, et non sa femme…

« Il n’a pas menti mais il n’a pas dit la vérité », ironise le choeur des journalistes. Rentré d’un voyage au Koweït, l’intéressé présente ses excuses et promet toute la transparence. Dans la foulée, il fait publier la liste des nombreux séjours de vacances qu’il a passés chez des amis fortunés au cours des dernières années, et précise que tout ce qui devait être payé de sa poche l’a bel et bien été, crédit et intérêts compris.

Ultime rebondissement, avant la pause des fêtes de fin d’année: il s’avère que Wulff a contracté un nouveau prêt auprès d’une banque – afin de rembourser le précédent, devenu compromettant – à un taux défiant toute concurrence. Or l’établissement bancaire en question – sa maison mère, pour être précis – a été sauvé de la faillite quelques années plus tôt par le même Christian Wulff, lorsque celui-ci était à la tête de la Basse-Saxe, grâce au plan de rachat de Porsche par Volkswagen, auquel il avait largement contribué. Y a-t-il eu échange de cadeaux? Mystère.

Au troisième acte, l’intrigue tourne à la tragi-comédie et le public découvre un autre personnage, derrière l’image policée jusqu’à l’ennui de cet homme politique apparemment sans histoires. Les 1er et 2 janvier, la presse révèle que le « gentil président », comme on l’appelait, avait cherché à joindre le directeur de la rédaction de Bild, le 12 décembre, la veille de la parution du premier article le mettant en cause. Ne parvenant pas à lui parler directement, il laisse un message furieux de quatre minutes sur sa boîte vocale, lui promet la guerre, des poursuites judiciaires et la rupture définitive avec tout le groupe Springer, auquel le quotidien appartient. Malgré ses protestations, le voilà accusé d’une tentative de censure.

D’autant qu’il n’en est pas à son premier coup d’éclat: l’été dernier, déjà, le chef de l’Etat avait invité à sa résidence un reporter de Welt am Sonntag, un hebdomadaire, afin de « discuter » d’un article consacré à sa demi-soeur… Le scandale s’enrichissant chaque jour de nouveaux éléments, le « héros » tente un ultime recours: une interview à la télévision. Il s’est laissé emporter, explique-t-il, visiblement fatigué par cet « acharnement » contre sa vie privée. « Vous n’imaginez pas tous les fantasmes circulant sur Internet et concernant ma femme! » lâche-t-il aussi, faisant référence aux rumeurs persistantes sur la Toile (et jamais confirmées) sur le passé d’escort-girl de la belle Bettina, toujours appréciée de la presse people, notamment pour son tatouage à l’épaule droite…
Vraie crise, alors, ou tempête dans un verre de bière? « En France, le champ d’action du président est exclusivement politique, analyse le député libéral Erwin Lotter (FDP), premier à droite à avoir exigé publiquement la démission de Christian Wulff. Mais chez nous, le président de la République se doit d’être exemplaire. Son arme, c’est la parole. Comment pourrait-il être crédible aujourd’hui s’il devait prononcer un discours défendant la liberté de la presse en Hongrie ou fustigeant l’avidité des marchés financiers? »

Autour d’Angela Merkel, dans les rangs des chrétiens-démocrates de la CDU, dont Wulff est issu, les hochements de tête consternés, en coulisse, dès les premières semaines du scandale, ont laissé la place aux spéculations sur un possible remplaçant. Des voix s’élèvent pour réclamer le départ de celui qui, autrefois, avait endossé un temps le rôle du « dauphin » de la chancelière. Celle-ci continue à le soutenir. Peut-elle faire autrement? C’est elle qui l’a imposé.

Et une nouvelle élection, même à ce poste honorifique, constituerait une épreuve supplémentaire pour son autorité, car elle n’est pas sûre d’obtenir une majorité solide en faveur d’une autre personnalité. Merkel a d’autant moins intérêt à précipiter les échéances que les démissions dans le camp conservateur virent déjà au comique de répétition. Après le départ, au printemps dernier, du très médiatique ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, accusé de plagiat pour sa thèse de doctorat, une autre défection ferait mauvais genre.

En attendant le dénouement, le vocabulaire allemand s’est enrichi d’un nouveau mot. Après le verbe « guttenbergen » (copier-coller), le terme « wulffen » vient d’apparaître. Il signifie déposer un message furieux et interminable sur une boîte vocale.

Blandine Milcent

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