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Affaire Merah : fallait-il diffuser les conversations ?

Sur fond de protestations du ministre français de l’Intérieur Manuel Valls et des familles des victimes, la question se pose sur le bien-fondé de la diffusion par TF1 des enregistrements des conversations entre le tueur de Toulouse Mohamed Merah et les policiers chargés de l’arrêter.

TF1 a décidé de diffuser des morceaux de conversations entre l’assassin de Toulouse, Mohamed Merah, et les policiers. Fallait-il diffuser le contenu de ces échanges ? Dans un communiqué, le ministre français de l’Intérieur, Manuel Valls, s’interroge « sur les moyens par lesquels le diffuseur a pu se procurer ledit enregistrement« .

Emmanuel Chain, producteur de l’émission Sept à huit, dans laquelle les propos ont été diffusés, a expliqué que la décision de les rendre publics a été murement réfléchie. « Nous avons beaucoup réfléchi, décidé de diffuser ce document qui a une forte valeur d’information (…) On apprend comment Merah s’est formé avec Al-Qaïda, sa détermination, on apprend beaucoup de choses, il a été très contextualisé« , a-t-il déclaré à RTL. Toutefois, il est d’avis qu’aucune entrave à la justice n’a été commise, car seuls des fragments ont été diffusés. Et d’ajouter que l’émotion des familles a constamment été au coeur du processus de décision. Parallèlement, le Conseil supérieur de l’audiovisuel français avait déconseillé à TF1 de diffuser ces extraits de conversation.

Du côté des familles, c’est l’indignation. Les proches y voient une manière de «  laisser le dernier mot » à l’assassin. Me Samia Maktouf, avocate du père de l’une des victimes, a déclaré au quotidien Libération : « Les familles des victimes ont l’impression que la justice ne va pas assez vite et, en même temps, prennent connaissance du déroulement de l’instruction par la télévision. Il s’agit d’une atteinte grave et manifeste au secret de l’instruction« . Son associée, Me Béatrice Dubreuil, précise par ailleurs que « Les juges avaient assuré aux familles que ces enregistrements seraient placés sous scellés et qu’un dispositif d’alerte serait mis en place« .

Indignation en France

Face à la très vive émotion des proches et plus généralement de l’opinion publique, ne faudrait-il pas restreindre l’accès à de tels documents aux seuls acteurs de la Justice ?

À juste titre, les familles redoutent désormais que les images des meurtres filmées par l’assassin ne se retrouvent sur internet. À quoi sert d’avoir entendu les propos haineux et violents d’un meurtrier qui se sait acculé et qui n’a plus rien à perdre ? D’autant plus que tout le monde connaît le contexte et le dénouement de l’affaire. Ce qui est choquant dans ces propos, outre la violence et la détermination, c’est aussi la gratuité, comme le caractère presque spontané d’aller tuer des enfants, et la rancoeur vengeresse, palpable dans son intention d’en mettre « une en pleine tête » à son interlocuteur de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, qu’il accuse de l’avoir instrumentalisé. Orgueil froissé d’un jeune influençable ? Comment dans ce cas personne n’a pu détecter les failles d’une personnalité au danger latent ? Réelles convictions idéologiques ? Alors pourquoi n’a-t-il pas été intercepté plus tôt puisqu’il devait être surveillé ?

Les familles des victimes doivent ressentir une double violence : celles d’avoir perdu un proche et celles d’être trahies par un niveau encore indéterminé des rouages de la Justice. Quelqu’un quelque part a pris sur lui de transmettre ces enregistrements à un média. La déontologie, tant de la part du judiciaire que du journalistique, est de ce fait renvoyée à elle-même. Qui a accepté de faire « fuiter » ces documents, que pudeur et respect auraient dû retenir, et pourquoi un journaliste a décidé de les diffuser ? Au-delà de la simple marche de la Justice après cette tragédie, les conséquences sont plus diffuses que prévu et chacun lié à l’affaire de près ou de loin doit désormais faire son examen de conscience.

Alexandre Huillet

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