Nicolas Cage charme Laura Dern dans le sulfureux Sailor et Lula, de David Lynch (1990). © Belgaimage

Acteurs en roue libre : Nicolas Cage, de l’Oscar à la risée d’Internet

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Tout l’été, le Vif/L’Express retrace la carrière d’acteurs au parcours en dents de scie, et aux choix pas toujours avisés. Cette semaine, Nicolas Cage, flamboyant jeune premier trop tôt égaré dans le surjeu grimaçant et les excès capillotractés.

Son arbre généalogique raconte à lui seul une petite histoire du cinéma. Fils d’un professeur de littérature et d’une danseuse chorégraphe, il est le petit-fils du compositeur Carmine Coppola, le neveu du réalisateur Francis Ford Coppola (la trilogie du Parrain, Apocalypse Now) et de l’actrice Talia Shire (Adrian dans la saga Rocky) ainsi que le cousin germain de Roman Coppola (réalisateur de CQ, coscénariste de Moonrise Kingdom), de Sofia Coppola (l’auteure de Virgin Suicides et Lost in Translation) et de Jason Schwartzman (acteur fétiche de Wes Anderson, de Rushmore à The Grand Budapest Hotel en passant par The Darjeeling Limited). A ses débuts, à l’entame des années 1980, on lui reproche logiquement d’avoir des connexions, à défaut de talent. Mais, fier comme Artaban, il refuse de capitaliser sur son héritage, partant du principe que s’il peut faire le succès d’un film à lui seul, on finira par oublier d’où il vient. Né Nicolas Kim Coppola, il change alors son nom en Nicolas Cage, en référence au superhéros Luke Cage, alias Power Man, de la galaxie Marvel, premier personnage afro-américain à obtenir sa propre série de comic books. Le désir louable de voler de ses propres ailes se teinte déjà d’un brin de mégalomanie, mais c’est bien chez son célèbre oncle qu’il fera patiemment ses classes, de Rumble Fish à Peggy Sue s’est mariée en passant par Cotton Club.

Remarqué chez Alan Parker (Birdy), il explose en idiot voleur d’enfant aux cheveux en pétard (déjà…) chez les frères Coen (Arizona Junior), mais il faudra encore attendre le tout début des années 1990 pour la véritable consécration. Celle-ci sera sauvage, décadente et vicieuse. A Cannes, en effet, le Sailor et Lula de David Lynch, cavale incendiaire de deux amants licencieux se consumant d’un désir absolu, fout littéralement le feu à la Croisette, raflant la Palme d’or au nez et à la barbe de l’intelligentsia cinéphile. Durant le dîner officiel qui s’ensuit, le président du festival lui demande de chanter. Lynch le weirdo l’encourage : « Vas-y, Nixter (NDLR : son surnom lynchien) ! Monte sur la table et chante ! » Cage s’exécute, et son Love Me Tender crooné résonne en déchirante confession. A l’écran, déjà, la chose est patente : ce grand gaillard cramé à la veste en python et aux yeux de cocker triste transpire le besoin d’amour. Pas un problème en soi : les astres semblent alignés et le petit monde du cinéma le lui rend plutôt bien.

A l'avant-première de Joe, en 2014, au Texas. Un maigre sursaut.
A l’avant-première de Joe, en 2014, au Texas. Un maigre sursaut.© Michael Buckner/Getty Images

La vie de château

Les films s’enchaînent. Cinq ans plus tard, Cage est au sommet de son art cafardeux en voie de cabotinage dans le Leaving Las Vegas de Mike Figgis où, en épave alcoolique impénitente, il titube entre une prostituée au grand coeur et la dive bouteille. Pour ce film, le Californien accepte d’être payé une somme dérisoire et remporte le jackpot : l’Oscar tant convoité du meilleur acteur. Plus dure sera la chute.

Embrasse-moi, vampire et le calamiteux Deadfall de son frangin (décidément…) Christopher Coppola avaient déjà signalé son penchant naturel pour le jeu outré et les personnages grimaçants. Désormais complètement libéré du carcan familial et de l’anonymat, Cage s’en donne à coeur joie et en fait des caisses, s’orientant massivement vers le cinéma d’action le plus bas du front. Quelques films surnagent dans le potage, Bringing Out the Dead de Scorsese (1999) et Adaptation de Spike Jonze (2002) en tête, mais les années 2000 sont essentiellement pour lui celles de la culture du navet. En caméléon du mauvais goût, il y multiplie les looks incertains et les coupes de cheveux douteuses, du blond peroxydé de 60 secondes chrono au filandreux médiéval de Season of the Witch. L’impitoyable radar d’un Net alors en plein boom ne peut pas le rater et le transforme instantanément en mème culte, phénomène de foire viral dont on se gausse à toutes les sauces. Les bidouilleurs 2.0 photoshopent et intègrent son drôle de visage mouvant dans les situations les plus absurdes : Cage devient tour à tour Mona Lisa, Skrillex, une princesse Disney, Charles Foster Kane ou un cornichon. Certains compilent ses scènes les plus mal jouées, d’autres prétendent, rigolards, photo du XIXe siècle à l’appui, que l’acteur est un vampire. Il est la risée du monde connecté.

Pour Nicolas Cage, les années 2000 seront celles de la culture du navet.

Fasciné par James Dean, Cage roule plein pot sur l’autoroute à voies multiples de la célébrité la plus dévorante et flambe tout ce qu’il possède en belles bagnoles, avions privés, comics, reptiles et autres… crânes humains. En 2009, son ex le poursuit pour rupture abusive de contrat en lien avec leur ancienne propriété et le fisc lui réclame 14 millions de dollars : la plupart de ses biens immobiliers, dont un improbable château gothique en Allemagne, sont saisis. Cage enchaîne les tournages montés autour de scénarios miteux pour se refaire une santé financière et touche le fond du panier artistique. Deux ans plus tard, il est escorté par la police après une bagarre dans un bar puis jugé pour violences conjugales sur sa troisième épouse avec qui il a un fils, Kal-El (oui, comme Superman…).

Reniant d’abord le cinéma d’auteur qui l’a révélé sous prétexte que tout ce qui l’intéresse est de faire des entrées, il finit par reconnaître que les années 2000 l’ont vu enchaîner les  » merdes » les plus affligeantes. Au journal Le Monde, en 2014, il déclarera : « On peut dire que j’ai fait n’importe quoi. Mais en aucun cas que je n’ai rien foutu. » Cage est un bosseur, en effet, qui prépare ses rôles à fond et les investit, dit-il, de manière chamanique, se connectant à une force primitive jusqu’à ce que son personnage l’habite comme un démon. L’ésotérisme est un vilain défaut et l’acteur, bien sûr, en raffole.

Dans la foulée du Joe de David Gordon Green, sa filmo à venir laisse pourtant entrevoir une maigre lueur d’espoir : dans les prochains mois, Cage apparaîtra ainsi dans le nouveau film d’Oliver Stone, autour des révélations faites par Edward Snowden, ou encore dans le Dog Eat Dog de Paul Schrader aux côtés de Willem Dafoe, le Bobby Peru au visage explosé de Sailor et Lula. Façon de boucler la boucle et de repartir du bon pied ? Sous le regard narquois du dieu Hollywood, le destin des brebis égarées est une longue histoire à suivre…

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